Chaque débat nous vaut pléthore de sondages pour expliquer l’opinion des Français (et Françaises) et ce, avec des questions binaires intégrant la réponse quasiment dans la question et sans prendre la peine de mettre différents éléments en contre-point ou d’expliciter les enjeux.
Les questions migratoires nous en fournissent un bel exemple. Ainsi, lors de l’examen du projet de loi Darmanin, lesdits sondages ont fleuri et permettent de s’interroger. Ainsi, en novembre 2023, selon CSA pour CNEWS), 66% des “Français” estiment qu’il y a trop d’immigrés extra-européens en France1 (aucune explication sur ce qu’est un immigré, un étranger, etc.) Au même moment, plusieurs sondages indiquent que “les Français” sont largement favorables (entre 57 et 68 %) à la régularisation des travailleurs sans papier (seuls les électeurs du RN y sont majoritairement opposés). Evidemment la droite et l’extrême droite n'ont pas utilisé le second alors que le premier a été totalement instrumentalisé.
Pourtant enquêtes d’opinion et études sérieuses montrent une tolérance croissante de la population même si certains chercheurs soulignent que l’on est parti de très loin et que le positionnement varie énormément selon l’âge des personnes interrogées (les jeunes ayant une relation très ouverte à l’autre quel qu’il soit2) et leurs opinions politiques (aucun sujet n’est plus clivant électoralement). Et c’est ce que montre l'indice de tolérance élaboré chaque année par la CNCDH (commission consultative des droits de l’Homme)3. Il s’établit à 62 sur une échelle allant jusqu’à 100 (100 étant l’indice maximal de tolérance). Certes, il a légèrement régressé ces deux dernières années sans doute sous l’effet du matraquage subi depuis l’élection présidentielle de 2022 et la banalisation des idées d’extrême droite mais il reste très élevé au regard de son évolution au cours des trente dernières années4.
De quoi s’interroger sur la réalité de l’opinion de la société française et sa droitisation mise en avant par tant de sondeurs et de responsables politiques. C’est exactement ce à quoi nous invite le sociologue Vincent Tiberj5 en mettant en avant les différences d’opinion entre citoyens et électeurs, entre générations et en insistant sur la question de l’abstention électorale et ces motivations (parmi lesquelles non-prise en compte de la question sociale, sentiment de relégation et méfiance croissante vis à vis des politiques) et en expliquant que les motivations peuvent être différentes d’un scrutin à l’autre, voire d’un tour à l’autre.
Il y a là matière à réfléchir pour toutes celles et tous ceux qui veulent construire une alternative politique.