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Billet de blog 3 septembre 2013

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alors, l'Education nationale... ?

Au début du mois de juillet, je m'étonnais de ce qui nous arrivait, à nous les profs. Nous étions infantilisés, mal respectés. Il n'y a pas mille exemples à aller chercher : parmi les adolescents que nous connaissons, pas un, pas une, qui désire faire ce métier. Plus tard, peut-être, à 21 ans, avec une licence et un master, on s'y fait. Il y a de magnifiques exceptions, évidemment, et j'en connais.

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Au début du mois de juillet, je m'étonnais de ce qui nous arrivait, à nous les profs. Nous étions infantilisés, mal respectés.

Il n'y a pas mille exemples à aller chercher : parmi les adolescents que nous connaissons, pas un, pas une, qui désire faire ce métier. Plus tard, peut-être, à 21 ans, avec une licence et un master, on s'y fait. Il y a de magnifiques exceptions, évidemment, et j'en connais.

Ce que je cherche à remuer ici est intime.

A peu à voir avec ce que vit l'Educaton nationale aujourd'hui, avec le rêve de voir des adultes peu ou pas formés encadrer sur un long temps continu des enfants à qui on a renoncé à proposer le meilleur, si par meilleur on entend ce qui permet de choisir sa vie.

Si par meilleur on entend ce que Lacan appelle intellectualisation – celle-là même que jugent exécrable "tous ceux qui vivant eux-mêmes dans la crainte de s'éprouver à boire le vin de la vérité, crachent sur le pain des hommes, sans que leur bave au reste y puisse jamais plus faire que l'office d'un levain."1

Ce que je cherche à remuer a quelque chose à voir, mais pas tout, avec ce que devient l'Education nationale.

Le travail au collège tient, pour moi, à quelques fils.

C'est insuffisant pour faire une vraie "carrière", ça complique la vie, ça se heurte à pas mal d'incompréhensions : mais c'est comme ça. Après de nombreuses années j'ai appris à comprendre, à tirer sur les bons fils, j'ai appris à m'adapter.

Un des fils sur lequel il fait bon s'appuyer, ce sont les enfants. Encore heureux que ce fil soit le plus solide. Aller avec les enfants, qui apprennent ensemble, en groupe, vers une oeuvre, un texte, un bloc de phrase, ça tient. Bien sûr parfois nous avons des difficultés, des ennuis, de l'ennui. Mais en règle gérnérale, nous en tirons et des connaissances et du plaisir.

Les collègues, c'est pas mal non plus. Les échanges, même rapides (je ne parle pas du fameux "travail d'équipe" qui, quand on en fait un but et non plus un moyen, devient tarte à la crème ou prétexte à autre chose ou mode ou carcasse vide), les échanges, même rapides, me sont plaisants et nécessaires. Dans le collège où je suis, la plupart des échanges tournent autour des enfants, de ce qu'ils vivent, de comment ils le vivent, de leur réussite. Ça fait deux ans que je trouve cela émouvant. Et ça fait deux ans que je suis fière d'être de la partie.

 Alors, avec quoi s'accommoder ? Finalement, c'est très banal. Une fois exprimé, c'est même idiot. Pas de quoi se coucher ni rester couché : j'ai perdu le chargeur de l'ordinateur portable du collège, je ne retrouve les clefs d'aucun casier, je perds la date d'une réunion plénière remplaçant un jour férié perdu à cause d'une canicule que j'ai oubliée, il y a des choses que j'ai du mal à écouter.

Et je me fatigue vite.

 C'est ce dernier élément qui est le plus difficile à accommoder. J'ai beau chercher des solutions à ça, il n'y a rien à faire, je me fatigue vite et c'est peu de le dire. J'aime enseigner ; je le fais peu parce que je ne peux le faire que peu ; je m'autorise à le faire peu ; je pense même que c'est un mode de vie enrichissant de le faire peu, parce qu'alors je peux lire plus, écrire plus. Comme je pourrais aussi faire mon jardin, des confitures, soigner quelqu'un - tout autre chose, sans ordre de valeur.

Je travaille donc à mi-temps.

 Il y a quelques années (en quelques années il semble que nous ayons parcouru des décennies), dans un collège rural, J.J Callian, principal, gardait nos enfants quand nous avions besoin de nous réunir après 17 heures ou quand nous avions un problème de garde. C'est un exemple, ce n'était pas la règle, ça s'improvisait, c'était un arrangement, il n'y avait rien d'idéal, il y avait même parfois des mots plus hauts que les autres. C'était il y a quelques années, aujourd'hui ça nous paraît un autre temps.

Mais quelque chose de bien plus important a changé, en très peu de temps : il y a quelques années nous n'allions pas au travail, je crois, en sachant que nous étions soupçonnés. Souçonnésde quelque chose d'indicible, de flou.

Ce qui est arrivé dans nos vies de profs, c'est ce soupçon.

Nous sommes soupçonnés.

Chacun le vit selon les fils qui le tiennent à son boulot.

Hier, jour de pré-rentrée, je l'ai entendu en grande franchise, le soupçon qui me concerne. Je l'ai entendu clairement : vous êtes un électron libre.

Et puis : "j'ai fait en sorte dans votre emploi du temps que vous soyez davantage sur place, parce qu'un professeur doit être davantage sur place."

Le résultat, on s'en doute, c'est 5 demi-journées de présence pour 9 heures de cours.

Je ne suis pas un électron libre, et malheureusement sans doute. On le sait, on arrive bien peu à toucher la liberté, même quand toutes les conditions sont réunies.

C'est ce qu'on tente pourtant, cet exercice de liberté, pour nous et pour les petits à qui on enseigne le latin, etc. Qu'ils apprennent ensemble à rester libres. Qu'ils comprennent qu'ils sont toujours un peu ailleurs que là où ils parlent. Qu'ils soient capables d'échapper aux contraintes par la force des métaphores.

C'est exactement le contraire de ce qui se passe pour nous, je veux dire les profs. Que l'on veut saisir là, clouer. Que l'on veut tenir dans la caserne. Quelle peur, quelle peur s'exprime là : la peur qu'on s'échappe, la peur qu'on n'y tienne plus, à l'école, qu'on n'y tienne plus du tout, à la réussite de tous et à ce qui nous a fait rêver et nous lever le matin. Il faut alors y aller par la brimade. Vous mangerez ici. Vous resterez jusqu'à 17 heures. Je vous attaque le mardi (sic). Etc. Il est question d'attaquer.

C'est dire que les fils s'effilochent, c'est dire que le combat devient dur à mener.

C'est une question perdue au milieu d'une foule d'autres questions très précises et très techniques : alors, l'Education nationale, tu es d'accord pour penser que tes profs sont moitié d'équipe et moitié électrons s'essayant à la liberté ? Tu es d'accord pour leur faire un peu de confiance, tu es d'accord avec l'idée qu'on peut aller à cheval et décortiquer pendant 9 heures les phrases de Tacite en essayant d'écrire la vie d'Henry Beyle dans le temps d'à côté, ou de faire des confitures ou de soigner quelqu'un ? Alors, l'éducation nationale, tu es d'accord pour qu'on recommence par là : le plaisir d'y être à l'école, pas tenu, pas attaché, pas brimé, pas soupçonné ?

1L'instance de la lettre dans l'inconscient, Folio.

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