Dans les Femmes de Messine, un jeune homme déterminé adosse à un remblai une jeune fille à qui il dit, plein de confiance et de joie : je t’ai dit que je te prendrais et je te prendrai. C’est une satisfaction que beaucoup ont eue, répond la jeune fille qui s’appelle Syracuse. Quand le jeune homme approche, la jeune fille s’élève, monte le buste pour éviter la bouche. Elle veut éviter la bouche à tout prix. Le reste elle s’en fiche un peu. Mais la bouche. A deux doigts de l’échec elle crie au visage du jeune homme : fasciste ! De sa bouche à la bouche du jeune homme, fasciste. Le jeune homme qui a une tête de voyou sympathique s’assied. Pourquoi tu dis ça ? Le jeune homme n’est plus fringant du tout, il est funèbre, écrit Vittorini. Il se concentre, s’agenouille, se relève, s’agenouille de nouveau. Fasciste ! Alors qu’il violait la jeune fille contre le remblai. Fasciste ! Il s’arrête.
Le 6 août 2010, dans un contexte politique français dont on s’accorde internationalement à dire et à comprendre qu’il excite, pour des raisons étroites et saugrenues, une xénophobie nouvelle, au tribunal de Grande Instance de Bayonne paraissait un jeune homme, né en 1986, brésilien et installé depuis plus de dix ans au Portugal. Monsieur Ferreira, après un séjour de quelques jours à Paris, rentrait au Portugal. Il le faisait dans le bus Eurolines. Monsieur Ferreira possédait son passeport et le récépissé de sa demande de prolongation de son titre de séjour au Portugal. On est le 4 août 2010, le 5 il recevra à Lisbonne sa nouvelle carte de séjour, il est en route. Il est à Biriatou, à l’endroit de l’ancienne frontière entre la France et l’Espagne. Côté espagnol. On peut contrôler un bus ou l’identité de ses passagers. Ou les deux. Le bus est immatriculé dans l’espace Shengen. Le bus est parti d’Allemagne et va comme Monsieur Ferreira, qui l’a attrapé à Paris, au Portugal. Les policiers (sur ordre de leur hiérarchie et non sur réquisition du Procureur) contrôlent les passagers du bus Eurolines dans lequel Monsieur Ferreira voyage. Si Monsieur Ferreira avait ce jour là, le 4 août, en sa possession, outre son passeport et son récépissé de demande de titre de séjour (avec la date d’arrivée du titre de séjour fixée au lendemain et qu’il va chercher au moment même où il est contrôlé, traversant cette ancienne frontière entre la France et l’Espagne), son ancienne carte de séjour, périmée, les policiers le laisseraient poursuivre son voyage. A défaut, les policiers ramènent M. Ferreira du coté français de la frontière, le placent en garde à vue, l’enferment au centre de rétention administratif d’Hendaye. Monsieur Ferreira passe devant une juge des libertés et de la détention. Tout ira bien : depuis qu’en avril 2010, la cour de cassation a soulevé une difficulté concernant les contrôles effectués dans « la bande de vingt kilomètres » tout autour des anciennes frontières - et que la cour européenne a répondu en refusant à la France le droit de contrôler systématiquement aux frontières, sinon à nier l’espace Shengen, depuis que la Cour Européenne a avancé que les contrôles, s’ils pouvaient être poursuivis, devaient absolument être justifiés soit par une réquisition du Procureur (qui demande expressément que de telle à telle heure, de tel jour du mois à tel jour, les policiers cherchent dans les trains et les bus des étrangers éventuellement en situation irrégulière en France – qu’ils quittent en général) ou par l'attitude violente (ou ainsi interprétable) de l'étranger passant par là, depuis qu’en avril donc la Cour Européenne a rendu son avis sur les contrôles aux ex-frontières de l’espace Shengen, nombre de procédures sont annulées, au TGI de Bayonne. Lorsque les policiers n’ont pas sur les P.V justifié les contrôles opérés ou lorsqu’ils ne l’ont pas fait sur ordre du Procureur, les procédures sont annulées. Monsieur Ferreira n’a pas été contrôlé sur réquisition du Procureur, rien ne justifie son contrôle, il sera libre ce soir. Il n’aura que deux jours de retard sur son programme, ce qui est évidemment deux longs jours de trop, angoisse et privation de liberté. Il vient de conclure à Lisbonne un CDI et ce retard l’inquiète.
Cela n’inquiète pas Madame Chaussier, habituellement Juge pour enfants à Bayonne, ici en fonction de Juge des Libertés et de la Détention. Le représentant de la Préfecture lui propose de suivre un autre article, l’article 611-1, qui stipule que tout étranger doit, où qu’il se trouve, présenter une pièce justifiant sa présence régulière en France. Le bus est immatriculé « à l’étranger » (dans l’espace Shengen !). Ceci est un signe sûr d’extranéité, argumente le représentant de la Préfecture. Il y a en effet des chances qu’en contrôlant tous les voyageurs à cet endroit de frontière qui jusqu’en avril fournissait au CRA d’Hendaye presque tous ses pensionnaires, l’on tombe sur des étrangers quittant la France et que l’on pourrait y ramener, obéissant au bon plaisir des chiffres ou à celui tout simple d’obéir. Et que les avocats ne parlent pas de « contrôles au faciès ». Il n’y a pas eu de contrôles au faciès : l’immatriculation du bus (allemand, on insiste) est signe suffisant d’extranéité…
Madame Chaussier suivit la Préfecture.
Monsieur Ferreira attend que le Portugal « le réadmette », cela prendra plusieurs jours.
On contrôle dans la bande des vingt kilomètres : sujet – verbe - complément circonstanciel de lieu.
Enlevons le complément circonstanciel de lieu et l’on tombe sur le 611-1.
D’urgence : mettons-nous au droit, et à la grammaire
Et à la lecture de Vittorini.