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Billet de blog 8 octobre 2015

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"si ça continue..."

Les années passées à voir la machine à durcir et à fermer durcir et fermer. A vouloir se battre, à tenter de le faire, par les mots, assez inutiles au fond, pas inutiles pour y chercher et trouver du soulagement mais inutiles pour transformer les angoisses de ceux qui peinent sans avoir l’idée, pour la peine, de déchirer la belle chemise de ceux qui se moquent des peines.

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Les années passées à voir la machine à durcir et à fermer durcir et fermer. A vouloir se battre, à tenter de le faire, par les mots, assez inutiles au fond, pas inutiles pour y chercher et trouver du soulagement mais inutiles pour transformer les angoisses de ceux qui peinent sans avoir l’idée, pour la peine, de déchirer la belle chemise de ceux qui se moquent des peines.

Les années passées à savoir ou à sentir, sans savoir faire, qu’il fallait faire ensemble, des choses, quelque chose. Payer son pain en monnaie locale, créer du lien entre nous, participer à un club de lecture et à un club de prêt de machins et machines qu’on ne peut pas ou ne veut pas acheter, adhérer au ciné-club du quartier, se battre pour l’ouverture d’une classe trilingue dans le collège ZEP du coin, repérer les participes présents dans ce texte de Sénèque, les ablatifs, les circonstances.
Dans le dernier film de Philippe Faucon, Fatima, la maman, impuissante avec sa fille cadette menace : si ça continue elle va enlever son foulard et aller dans la rue.
Si ça continue, l’impuissance, je vais faire quelque chose qui sera choquant, pour moi et pour les autres.
Si ça continue la folie et l’impuissance, je vais faire quelque chose.
Nous, ça continue et on ne fait rien. On a tout entendu. On continue à tout entendre et les débats, ce n’est pas maintenant que ça a commencé, en 2007 déjà nous étions au courant, ont plus d’un siècle de retard. On en est à parler de la race blanche qui peuple l’Europe. Ou Nadine Morano a étudié dans un manuel scolaire des années 1870 et ne comprend rien à rien (elle est capable de comparer son trait à l’élégance de celui de NKM qui a rhabillé pour l’hiver qui vient -ou pas- les climato-sceptiques), ou bien elle a une idée de ce qu’elle est en train de faire et peu importe qu’elle perde l’investiture, elle passe son tour, les cerveaux seront un plus disponibles. Disponibles pour quoi ? Elle n’a pas le temps d’y penser. C’est ça de pris. De fait. Se vouloir rapide, se vouloir efficace, penser qu’on peut dire tout haut ce que personne, au fond, ne pense tout bas, mais patience, ils penseront, on leur souffle les idées et les peurs, ça passe, on avance, on dit, on ne sait pas ce qu’on dit, tout ça a peu de valeur, ce qui compte c’est de dire, dire ce qu’on juge, de loin, dans le brouillard, productif, plutôt plus productif que moins. Au petit bonheur - ou malheur. On rentre dans le tas.
Et on dégringole. Je veux dire : nous, nous tous ensemble, nous dégringolons. Nous dégringolons, et il y a ce qui reste assourdissant autour de nous (les émissions de télé, celle par exemple où un faux gentil animateur tout rigolard invite à dire, pernicieux, les pires choses, se réjouit que l’on dise les pires choses, pas parce qu’il aime les pires choses mais pour gratter où ça fait mal puisqu’il sait qu’il n’aura jamais vraiment mal, comme dans Astérix en Helvétie, en un temps où les riches s’ennuient, on a vachement envie de perdre son petit morceau de fromage pour recevoir les coups de bâtons et se faire ligoter au fond du lac, enfin).
Le bruit que ça fait.
L’insupportable bruit que ça fait.
Nos petits actes, nos petits textes, à côté, pèsent peu : à côté des peines, à côté de perdre son travail, à côté de  travailler trop et trop stressé, à côté d’être mal traité, de voir les études des enfants comme des montagnes qu’on va pas franchir, à côté d’être managé, à côté d’apprendre à changer de vocabulaire, à dire qu’on « mûrit la matrice » pour dire qu’on va changer de comportement dans l’entreprise, à côté de l’impression qui n’est pas une impression qu’on ne peut rien décider, soi-même, pour sa vie.
Si ça continue j’enlève mon voile et je vais dans la rue.
Nue je vais me promener dans les champs.
Je fais un scandale.
Je déchire ta chemise.
Et puis rien.
On n’a pas besoin d’attendre 2017 pour savoir que ça y est, quelque chose n’est plus à craindre, qui est là, déjà.
A Strasbourg, Hollande tente de distinguer souveraineté et souverainisme. Mais l’ironie ou le trait d’esprit est à la mode et Marine Le Pen s’en sert pour venger ceux qui ne savent pas comment faire pour faire :  « merci Mme Merkel de venir avec votre chancelier, administrateur de la province France ».
Vain de dénoncer le cercle vicieux : les sociaux démocrates européens, qui écrasent un gouvernement indépendant en Grèce cet été se croient, avec leur petit pourcentage d’électeurs et leur capacité complètement usurpée (abstention et jeux sur la peur) de remporter pourtant, peut-être, et de justesse, des élections, se croient l’obstacle républicain aux fascismes qu’ils se mettent à appeler souverainismes, en réalité ils le créent, ce néo-fascisme, qui n’a besoin de personne d’autre qu’eux ;  néo-fascisme - disons cette drôle de chose molle et horizontale dans laquelle on a dégringolé à force de ne pas savoir comment faire pour faire.
Un mercredi ordinaire dans une ville de province.
Quelques rencontres de hasard, de voisinage et de vie quotidienne.
Des moments, du bavardage, mais quel bavardage.
Des rencontres, trois, chacune très sympathique.
Un moment entre deux moments, un vrai moment, quand on perd ou prend un peu de temps entre les courses et la piscine.


Chaque fois : les enfants, les soucis, les boulots, la maladie, présente, la maladie, très.
Sur le trottoir, pas loin de la maison. P, 40 ans, secrétaire d’un médecin, je ne sais pas, en fait, c’est ce que j’ai compris il y a longtemps mais je n’ai pas redemandé. Son mari employé d’une grande mutuelle de santé, rudement traité l’année dernière, il s’en plaignait, ne s’en plaint plus. Il a eu un gros problème de santé, ils ont eu peur, il est tiré d’affaire, leur foi y est pour beaucoup, pense P. Ils pensent le miracle, et franchement sur le trottoir, ça ne fait pas bizarre, pourquoi pas.
Un des enfants fait une prépa dans une grande ville et une des chambres, dans la maison, est libre.
On va faire une chambre pour réfugié, dit P.
Vous êtes généreux, je dis - moi je n’ai rien fait de semblable jusque-là.
Oui enfin ça pose beaucoup de questions, quand même, dit P.
C’est vrai, je dis.
On va le faire parce que ces pauvres gens sont là et que voilà. Et puis on va le faire parce qu’on n’a pas besoin de nous dire ce qu’on va faire, d’accord ? Le pape fait honte aux catholiques en leur disant ce qu’il faut faire comme ça. Nous les catholiques on sait ce qu’il faut faire.
Vous oui peut-être mais.
Tous les catholiques.
Ah.
On va le faire parce que ces pauvres gens sont là mais franchement où on va comme ça ? C’est ça, la France ? Après il faudra pas s’étonner si. 

Ah tu peux me croire à faire les farouches avec Poutine et Bachar El Assad qu’est ce qu’on va gagner ? Le gros lot. On est trop bien peut-être pour négocier avec eux ? Nos socialo ils sont trop bien, peut-être, pour négocier avec eux ? Oui on prépare la chambre mais il faudra pas s’étonner.
Si ça continue.
Faudra pas s’étonner.
Plus tard dans l’après-midi. Il est avec le plus jeune de ses fils, quatre ans. S travaille la nuit, à la BAC. Il est jeune, ça fait pas dix ans qu’il fait ce métier. Il dit tout de suite qu’il en a marre. Il y a un paquet de cons. Heureusement c’est la nuit pour lui. Ainsi il peut voir ses enfants un peu plus et ses collègues un peu moins. Mais il craque, il craque. Les enfants, leurs études futures, il sont dans le privé, il faut pas qu’ils fassent comme leur père, rien à l’école, ça, c’est pas question.
Ici le quartier est sympa. Mais bon, les mauvaises rencontres c’est vite fait. Surtout avec ce boulot. L’autre jour il était dans le jardin avec les petits, et soudain, qui passe devant eux ? Un client.
Un client ?
Un dealer, quoi, un petit con. Il m’a vu là dans le jardin, avec ma femme et les enfants. Je me connais, je peux faire une connerie.
C’est à dire ?
Deux jours après qu’il m’a vu, la haie du jardin brûlait. Brûlait. Bon c’est loin de la maison. Mais elle brûlait. J’ai pas de preuve, mais je sais. Je vais mettre la maison en vente.
Sûr ?
Dommage, c’est un quartier sympa. Le problème c’est la racaille. Mes clients, c’est trop dangereux et si ça continue je finirai au trou.
C’est un petit con de quel âge ?
Mineur.
Tu peux pas lui dire quelque chose ? Tu peux pas l’engueuler ?
Je lui ai cassé deux côtes, ça c’est fait. La prochaine fois c’est au fleuve qu’il finit, il le sait. Au fleuve. Je te dis, si je reste là je finirai au trou. Je me connais.
Si ça continue.
Je me contrôle pas.
La journée a continué, elle.
Dans le coin il y a eu une longue lutte anti LGV, projet déraisonnable et inutile, empêchant le développement de lignes utiles de proximité qui nous feraient quitter les voitures en période pointe et bref, on croyait que c’était gagné.
Ces jours-ci on a appris que le projet imposé, inutile et très cher revoyait le jour.
On s’aime bien, il y a nos enfants, nos métiers, nos lectures, tel roman de rentrée dont parler, ce qu’on a fait ces derniers temps, on ne s’est pas beaucoup croisé, la Grèce, la question de la démocratie.
Puis la LGV, on nous remet ça.
T’as vu ? 
J’ai vu.
On ne peut plus parler de démocratie, c’est dingue.
On acquiesce : qu’est ce qu’on peut faire d’autre qu’acquiescer.
Petit passage sur, justement, le désir de faire quand faire devient impossible. 
On se dit ça. On se sent dépossédé. 
Puis : on devrait tirer au sort. Ils n’auraient pas le temps d’avoir leurs réseaux, les saints élus.
Puis, soudain : alors il y en a plein qui me disent qu’ils vont voter Marine, que j’ai qu’à voter Marine. Mais je vais pas voter Marine, ça m’embêterait, quand même. Pourtant je sais pas. Si ça continue. Je sais bien que ça serait pas le bazar, ça c’est sûr ce serait pas pire qu’avec les autres.
Vote ou pas, 2017 ou pas, la question, hier, me semblait réglée.
Ils ont réussi.  
Sarkozy depuis son discours de Dakar, depuis la création du ministère de l’identité nationale et du débat qui allait avec. Les autres. Copé, bien sûr. Guéant (ne plus l’imaginer qu’avec ses 1000 euros par mois en liquide, petits partages entre amis). Valls et la violence qu’il jette dans ses discours. Ceux qui vident les jungles camps et lycées réquisitionnés. Ceux qui démantèlent et découragent systématiquement les volontés de ceux qui font. Ceux qui parlent à tort et à travers. Ceux qui imitent les racistes du XIXème siècle et ceux qui parlent au nom de tout sauf le racisme mais il faut bien dire les choses, dire tout haut ce que tout le monde, à force, on le sait bien, finit par penser, c’est à dire ce que les quelques-uns qu’on entend disent tout haut, trop haut, disent ou crient, rigolards et ridicules - mais ça ne les tue jamais médiatiquement, on dirait.
Dans les trois moments de bavardage d’hier, il y a quelque chose comme un décalage.
Entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, il y a un monde.
Entre ce qu’on sent, constate, analyse et ce qu’on propose comme réponse au sentiment, à l’analyse, il y a un monde.
Quelque chose là à retisser, réparer, recueillir.
1/ Je vais accueillir un peu de la misère du monde au nom de ma foi chrétienne. Je ne le dis pas, je le fais. C’est presque un sacrifice puisque je sais que ça ne va rien donner de bon pour ma communauté. Islam vs catholiscisme. Terrorisme derrière et fantasme ou fantôme d’une guerre mondiale avec la Russie.
2/ J’ai besoin d’action, je me connais, je ne me laisse pas emmerder, j’ai été un sale gosse et je traite les sales gosses de petits cons, j’aime ce quartier où ils vivent et où j’ai vécu. J’ai tellement besoin d’action que je peux casser des côtes et me débarrasser des gosses, en tout cas je le dis, j’adore le dire. Je suis quelqu’un qui peux faire. Je peux faire.
3/ J’ai voulu agir dans mon quartier, ma ville, ma région et c’est tout à fait impossible, la preuve. On n’est plus en démocratie. La question de la démocratie ne se pose plus. Du coup, allons-y, je ne vais quand même pas voter MLP, c’est à dire que moi, qui viens d’un milieu, d’une famille, d’une culture où ce n’est pas possible de voter MLP, je pose la possibilité, sous forme encore négative certes, de voter MLP puisque ce n’est pas la question que ce ne soit pas un vote démocratique, on l’a déjà,  l’absence de démocratie. Ce n’est pas le question que ce soit un vote raciste, on l’a déjà, le racisme d’en haut. Ils peuvent pas faire pire. Alors ? Eh bien ce n’est pas non plus un avertissement parce que les autres on n’en veut pas, on n’en veut plus du tout.

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