Thriller, saison 3 (ou autre - on ne compte plus), l’épisode de jeudi soir a semblé, sur le moment en tout cas, drôlement décevant. Mais peut-être les héros (dont l’un s’est tiré dans le couchant, à cheval, le thriller n’est pas regardant avec le genre qui vire western), préparent-ils un sacré coup de retournement de situation ? Peut-être ont-ils, les cowboys, des plans, des billes, des objectifs ?
Voyons un peu : on commencerait par le retour d’un personnage un peu oublié ces derniers jours mais on sait comme les scénario se débrouillent bien avec ça, les retours de personnages oubliés, trois saisons qu’on ne les avait pas vus et c’est comme s’ils n’avaient jamais manqué. C’est donc ici le CADTM, son rapport sur la dette odieuse, insoutenable. Eric Toussaint, le retour.
Voyons encore : le plan d’austérité aurait été mal lu et il comporterait des compensations que les commentateurs n’ont pas appréciées à leur juste mesure - ou les compensations ne sont pas clairement écrites mais Tsipras les réclamera de vive-voix, restructuration de la dette, annulation partielle mais annulation pas complètement symbolique quand même, ou alors complètement symbolique mais on estimera que le symbolique peut suffire, que sans humiliation l’austérité peut passer à coups de promesse de restructurations symboliques, le principal étant de se donner des outils démocratiques pour contrer l’impression (qui n’est pas une impression) qu’on vit sous le joug de lois européennes variables et opaques - c’est à dire n’importe où sauf en démocratie. On aura fait comme si. On aura grignoté quelque chose. On aura gagné un mot. Restructuration. Difficile de mettre un nom au futur mais c’est pourtant ce qu’on fait. Restructuration, mot-valise, sans précision, et au futur.
Comme Varoufakis, parti dans le couchant, l’a dit, le ministre des finances allemands ne veut rien savoir, même si on sait, et maintenant, c’est formidable, tout le monde le reconnaît, Jean-Claude Juncker en tête, la dette est insoutenable. Le nouveau plan, qui ressemble, nous dit-on, à celui proposé en juin par la Grèce, sera-t-il accepté par l’euro-groupe en juillet ? C’est donc ce qu’aurait gagné le passage par le référendum ? Un mot, un retour en arrière avec une issue différente ?
Mais n’oublions pas : le ministre allemand veut et prépare le Grexit. Si jamais l’Europe accepte le plan d’après référendum, c’est donc que ceux qui se seront opposés à lui avaient vraiment la frousse. Et qu’on ne pourra pas s’empêcher de se dire que sur cette frousse on aurait pu jouer un peu plus les cowboys.
Mais voilà, hein, c’est le point de vue de qui, avec plus de moyens, pourrait aller chaque jour au distributeur. Et va chez le médecin normalement.
Et si les créanciers, tiquant sur la restructuration indéfinie ou bien convaincus par Schäuble et se moquant bien, pour des raisons de technocratie et de morale à la fois (ce drôle de mélange), que la sortie de l’euro coûte plus cher que la fameuse restructuration, se moquant aussi d’un même élan de l’exemple ou du précédent grec et des élections à venir en Espagne (parce que pour y penser il faudrait compter sur le temps, la durée, la cohérence et c’est exactement ce qui, chez eux, est mort : le temps), si les créanciers, donc, n’acceptaient pas le plan qui ressemble à celui du moins de juin ?
Alors ce serait joué, non ? Le gouvernement grec n’y serait pour rien, le peuple s’acheminerait, comme nous nous y acheminons, vers l’acceptation, voire le souhait de la sortie de l’euro.
Allez, dernière hypothèse, pour le même résultat : le parlement grec n’accepte pas le plan. Retour aux référendums et à la démocratie. On est allé aussi loin qu’on a pu mais voyez, tristes sires des tristes couloirs des pièces fermées, voyez donc, mon peuple ne veut pas. Il y a au-dessus des lois de l’Europe les lois des hommes, les lois de la justice et de l’humanité. On trafiquerait un peu Sophocle.
Thriller ou pas : le sens des mots et des actes, le sens symbolique et nouveau que prennent les uns et les autres. L’exemple du référendum. Outil démocratique (ce que les commentateurs, après les réformes proposées jeudi soir, se sont accordés à dire du référendum, comme soulagés, ou réveillés d’un rêve qui les avait rendus plus près d’eux-mêmes qu’ils ne l’avaient jamais été), on l’a fait glisser une première fois. On demandait au peuple s’il était prêt à aller vers plus de réformes d’austérité. Et les Européens traduisaient, responsables et journalistes : voulez-vous sortir de l’euro ? Le peuple comme on sait a répondu à la bonne et première question. A laissé l’autre de côté. Passablement intéressant du point de vue de la logique pure : non, a répondu le peuple grec, aux mesures d’austérité. Et c’est parce qu’il a répondu non que l’Europe serait plus prête que jamais à dire oui (ce n’est pas fait, la lutte des droites européennes doit se mener ardemment) ? Cette fois le référendum sonne comme menace, pistolets en mains, déchargés - je te tiens en joue : comment, vous voulez toujours pas négocier ? Si, si, répond l’Europe. On veut, on veut bien On est quelques-uns à vouloir bien, un peu, négocier.
Non, OXI, on le disait victoire symbolique. On n’imaginait pas à quel point il n’était que ça : symbolique, ne permettait que ça, un éventuel tout petit fléchissement du genou des créanciers, eux qui la même chose, le même plan, ou presque, en refusaient même l'idée il y a dix jours. On n’imaginait pas que ce ne serait que sur ce fléchissement minuscule (« on va étudier pour la dixième fois vos mesures mais cette fois elles prouvent les efforts que vous faites »), qu’il faudrait essayer de construire quelque chose d’un peu politique. C’est dire combien les poings nous sont liés. On n’en revient pas même quand on l’a vu, lu, entendu, compris déjà. On n’en revient pas mais personne n’en revient, en fait, certains c’est avec de la haine qu’ils n’en reviennent pas, de la haine et de l’irrationalité qui hélas peuvent les conduire vers la gueule bancroche des extrêmes droites.
Ce matin Michel Barnier se réjouit à la radio du courage et des efforts du premier ministre grec. Tsipras donne une leçon à Mélenchon et Marine Le Pen, dit-il, écrasant les uns sur les autres au passage, mais Barnier n’est pas le premier. Barnier est comme Villepin : il n’est pas question de diviser l’Europe, il n’est pas question de ne pas lutter ensemble contre le flux de migrants (tiens, tiens) qui arrive en Grèce, il n’est pas question d’abandonner Euripide et ses vieux copains.
Quand on a entendu toutes les insultes, les directes, nous ferons tomber vos banques, quand on a supporté la torture cinq mois, quand on a renoncé à expliquer à ceux qui ne demandent pas d’explication mais s’affolent tout seuls, que non, on n’est ni néo-nazi ni bolchevique, on doit avoir du mal, parfois, à y croire encore. On est dans le jeu politique, petit gain contre petit gain, pion après pion. On doit y perdre sa patience et son impatience aussi, d’ailleurs. On ne doit même plus savoir ce que croire veut dire. Dire qu’on voudrait poser l’autonomie minimale, même pas les grands soirs et les grands rêves, l’autonomie minimale d’un peuple, et après ça, voir. Dire qu’on croit aux lois d’humanité et de justice sociale et qu’on est obligé aux petits pions et petits gains. Quelle fatigue.
Les couloirs fermés, les styles de chacun que le style décontracté d’un autre agace (le mot choisi est « irrite », Varoufakis irrite, l’irritation, c’est le rapport au corps, tu entends, tu as la peau irritée, par le soleil, une démangeaison, etc), les bulles, les pouvoirs des groupes informels, les refus et les acceptations qui ne se fondent sur aucun contenu mais sur les signaux qu’on veut ou peut donner, les idéologies promues par ceux-là mêmes qui ne comprennent pas que ce sont des idéologies, on sait bien qu’un jour tu peux te retrouver à gratter des papiers et à signer et à refuser et à accepter sans que ta signature, les mots que tu écris, aient le moindre rapport, pour toi, avec quoi que ce soit dans le réel, on sait bien que tu peux prôner "le nouveau colonialisme de l'austérité", comme dit le pape, et avoir le soir avec tes enfants des relations super sympathiques - de la vieille histoire.
Heureusement, tu t’irrites. Le corps parle à ta place. Tu cries, même. Tu utilises, inconscient, le transfert : alors Monsieur Tsipras, vous voyez, il ne fallait pas avoir peur de venir ici, au parlement européen. Tu gesticules. Tu donnes des leçons de morale. Tu uses de menaces directes, on a vu. Faire tomber. Journaliste, tu utilises des adjectifs qui te dépassent complètement. Fou, erratique, visionnaire. Un autre monde, aussi décollé du réel que celui de nos hommes des couloirs, un monde de folie. Tu te grattes. Tu t’irrites. C’est que voilà, quelque chose te révèle le sacré fichu mauvais rêve que tu fais depuis que tu y es, dans les couloirs. C’est que tu n’as pas la parole, c’est que tu n’as pas le temps. Tu fais la grimace et as les dossiers à signer et une idéologie dans laquelle tu vis sans l’interroger, au point qu’elle ne semble pas une idéologie mais l’ordre, le seul ordre, des choses. Heureusement pour toi, tu t’irrites, tu te grattes.
Un type part sur sa moto, dans le soleil couchant, on espère son retour, un autre est débout pas très loin des couloirs, il parle. Il prend le temps. Il est peut-être fatigué, il a peut-être du mal à croire comme on y croit encore à l’état de bonheur permanent, au droit de chacun à tous les privilèges, on lui dirait alors qu’il est neu-neu ou bisounours (oui, on a lu ça), un type parle, il n’ira pas vers une sortie sauvage de l’euro, il cherche un chemin entre l’austérité, la rigidité, l’autorité des institutions européennes et la parole du peuple, la sienne, il cherche, il faut chercher avec lui, il a gagné un peu, on a gagné un peu, il a gagné comme avaient gagné les Communards, en mai 1871, alors même qu’ils se faisaient massacrer - puisque quelques années plus tard, cela même pour quoi ils s’étaient mis debout et étaient morts s’instituait : réduction de temps de travail, école pour tous, séparation de l’église et de l’état.
Les Communards en ont irrité quelques-uns, des journalistes et des écrivains. Pas les pires d’entre eux : ceux qui avaient cru à quelque chose une vingtaine d’années plus tôt, dans leur jeunesse, puis avaient oublié qu’ils avaient cru, ceux qui avaient le ventre plein et la plume facile. Ils n’hésitèrent pas, en 1871, à user d’adjectifs à Communards et de métaphores sympathiques.
"Les animaux féroces se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements sauvages. Des cages ouvertes s'élancent les hyènes de 93 et les gorilles de la Commune », écrivait Théophile Gautier.
Encore mieux, peut-être plus subtile et en tout cas hyper contemporaine, Georges Sand. Elle prouve que la communication à l’envers n’est pas réservée à Bernard-Henry Levy. La Commune, écrit-elle, est « le résultat d'un excès de civilisation matérielle jetant son écume à la surface, un jour où la chaudière manquait de surveillant. La démocratie n'est ni plus haut ni plus bas après cette crise de vomissements. Ce sont les saturnales de la folie ». Mouvement démocratique jugé anti-démocratique et mouvement populaire selon elle inspiré par des assiettes trop pleines.
Ce n’est pas, comme ce n'était pas le cas des ouvriers 1871, le cas des Grecs, les assiettes trop pleines.
Mais ceux qui se grattent, sont irrités, s’emballent, grands gestes, gros cris, sont bel et bien ceux qui ont perdu, le savent et piétinent, furieux.