K ne tient pas en place. C’est un cours d’aide au travail, un de ces cours, en 6ème, où un professeur aide un groupe d’enfants en difficulté à s’organiser. K, me dit son professeur, n’est pas vraiment en difficulté, malgré son attitude il a d’assez bons résultats, il veut venir pourtant. K ne s’assied pas. Enfin assis il n’ouvre pas son cahier de maths. Il se relève. Il se rassied, ailleurs. Je m'installe à côté de lui, nous commençons à réciter les angles, obtus, droit, etc. Il sait. Soudain, il oublie de répondre. Il se lève. Il se rassied. Il a perdu son stylo. Il le cherche sous la table. Il se redresse, sans stylo mais plein sourire.
Cependant que S est toute chiffonnée. Les deux lettres d’excuse, reçues aujourd’hui, avec une grosse faute, B a écrit je sui désolais, fait-elle remarquer, ne suffisent pas à lui faire oublier les insultes de mardi.
Ils sont un peu bêtas, ces garçons, mais ils ne connaissaient pas le sens de ces mots, ils se disent désolés. C’est l’effet de l’ignorance.
C’est vrai, disent les garçons concernés, on est pour de bon désolés. On savait pas. Maintenant on nous a expliqué.
Les insultes que vous lancez sont d’ordre tellement intime que c’est comme si vous vous en preniez au corps. Et le corps de S, votre corps à chacun, personne ne peut y toucher malgré vous. Les insultes dont vous avez agressé S touchent le corps. Elles sont sexuelles.
Personne ne ricane.
K qui était debout s’assied. Il dit : l’intime c’est la conversation que j’ai sur mon portable, par exemple.
Pour une fois que K participe à la conversation, tout le monde hoche la tête.
Cependant que S est inconsolable. Elle dit : dans mon cas c’est pas pareil. Elle veut retourner voir la CPE, l’infirmier. Elle voudrait que les garçons soient punis encore. Elle dit : c’est vrai qu’au fond L et B ne sont pas méchants. Mais dans mon cas.
L finit par demander, alors que K, debout, aiguise son 4ème crayon puisque je les les lâchés, lui et les mathématiques : mais enfin, c’est quoi ton cas ?
S explique à tous que son père est en prison parce qu’il lui a fait subir des attouchements. Pire. Du harcèlement. Pire. Un viol. Elle dit qu’elle l’a vu une fois encore, après, dans un point-rencontre, puis plus jamais. Elle dit qu’elle a plein de photos de lui. Qu’elle en a une, surtout, où il est aux côtés de sa mère. Elle demande : une enfant peut aimer son père après ça ? Elle dit qu’elle a hésité à découper la photo de son père, pour ne garder que sa mère, elle dit qu’elle ne l’a pas fait. Elle ne savait pas si ça ferait plaisir à sa mère ou non qu’elle coupe son père sur la photo où ils sont tous les deux. Elle ne veut pas lui faire de peine.
Et toi, S, ça te fait plaisir d’avoir la photo de ton père avec ta mère ?
Elle dit oui.
Peut-être ton père comprendra, peut-être il ne comprendra jamais mais ce qui compte c’est que toi tu comprennes qu’il a fait une chose interdite. Que c’est un crime. Ce que je crois ? Que personne ne se réduit à la saloperie qu'il fait mais qu'on doit fuir les saloperies.
Mais, dit L, c’est pas du tout pareil, quand nous on t’a dit des bêtises. On est désolé. On ne savait pas. C’est pas du tout pareil.
Il a raison, je dis, ce n’est pas du tout pareil, ce sont les bêtises normales de garçons de 11 ans, un peu bêtas et ignorants.
S rit un peu. Elle répète bêtas. Elle dit : ils sont bêtas ces garçons, mais ils sont désolés quand même. L fait de l’humour : désolés avec plein de fautes d’orthographe. K ne travaille toujours pas mais ne bouge plus. Il répète intime, plusieurs fois.
Mathématiques, je clame. Au boulot. Mais M pleure. Il dit qu’il voudrait bricoler. Allons bon. Ce n’est pas l’heure de bricoler, c’est l’heure des mathématiques. C’est, dit-il, qu’avec mon père je bricole. C’est donc l’heure des pères. Avec mon père, je bricole mais je ne le vois qu’un mois par an et encore, quand il peut payer le train, parce qu’il est loin, et des fois il ne peut pas.
Son copain lui dit : n’en parle pas, ça te fait pleurer.
Au contraire, dit M, pleurer c’est bon pour ce que j’ai, pour mes problèmes.
Le copain de M dit que lui aussi il a souvent de la peine. C’est parce que son père a une hernie, il dit un infarctus du dos, non pardon, une hernie, alors il a perdu son travail et quand il l’a su il a défoncé l’armoire, à la maison, d’un coup de poing.
Le copain de M dit qu’ils ont beaucoup pleuré, la nuit, son père et lui.
S fait de l’anglais. K regarde son portable. L travaille, ou essaie. Il s’interrompt souvent. Il dit à M : pleure, ça fait du bien.
M voudrait bricoler, c’est fichu pour les maths.
Quand j’aurai 13 ans je pourrai demander à vivre avec mon père mais je ne veux pas faire de peine à ma mère.
Eh les enfants, la peine des adultes c’est les adultes qui s’en occupent, ok ?
C’est bien vrai, dit L.
J’aime bien ça, dit S.
Au boulot.
K ne fait rien.
K, tu vas choisir, ou avoir 11 ans et rester ici, avec nous. Ou avoir 2 ans et nous quitter parce qu’ici on ne sait pas faire avec les enfants de 2 ans, on est pas adaptés.
J’ai 11 ans, dit K.
A la bonne heure. Voyons un peu.
S dit qu’elle ne veut plus que les garçons soient punis, d’ailleurs ils l’ont déjà été et en plus ils ont écrit la lettre d’excuse, je sui désolais. Elle rit. Puis elle s’excuse. Elle avait besoin de parler.