2 heures du matin, s’écharper sur un mot. Sans compter que c’est drôlement inhibant. Chacun sait bien ce qu’il lui faut. Chacun à l’endroit où il est sait ce qu’il lui faut, il s’en fout de tes leçons.
Des comités, ne pas hésiter à former des comités.
L’agora populaire que sont les réseaux sociaux ?
Ni association, on n’en veut plus, ni syndicat, ni partis, tu le sais, les hommes et femmes d’appareils, fini.
Il faut rassembler, rassembler.
On a besoin des médias.
On n’a pas besoin des médias.
Dans mon roman noir, Tommy l’amoureux d’une des héroïnes, part se battre en Espagne. Une femme quittée par son époux qui cherchait le frisson et le redoutait en même temps dit à l’héroïne, aux Etats Unis en 1936 : se battre, mais pourquoi ?
Tommy écrit des lettres amoureuses et l’amoureuse qui est une fille qui sait rire et vivre (qui sait surtout rire et vivre et attendre l’amoureux) voit dans ses rêves et pensées en temps et heure ce qui arrive à l'amoureux, à Tommy qui se bat contre les fascistes, se bat avec ceux-là qu’on laisse seuls se battre et perdre.
Tommy perd une jambe, est soigné mais meurt en faisant des petits bruits de glouglou.
Il pense à la fille amoureuse qu’il a quittée pour se battre contre les fascistes.
En 1932 en Catalogne 99% de la population demandait l’indépendance.
C’est une solidarité politique qu’il faut que.
De peuple à peuple et imaginer les choses à la base. Si je fais pour toi je fais pour moi. On est d’accord mais attention de ne pas devenir gnangnan ni pédagogue ni, ça part d’ici, tu vois, pas des théories qui sont belles comme le jour mais. On n’a pas une idée ou pas d’idéologie ce n’est pas en tout cas l’idéologie qui nous rassemble.
C’est assez faux ce que tu dis, là. On a deux trois points communs.
Rires.
Mais quand quelqu’un a faim il s’agit de faire pousser les patates ; quand quelqu’un a mal il s’agit d’aller l'aider à ramasser les patates.
S’ils se sont plantés ceux du printemps c’est de n’avoir pas installé le mouvement dans le peuple.
On écrirait des discours, on les médiatiserait.
Toi tu n’as pas de monstres à montrer.
On ferait une fête, on déplierait nos serviettes pour un repas partagé oh rien du tout mais partagé.
On suivrait les gens avec nos repas et nos textes et quoi encore ?
Franchement tu crois que tu peux parler à quelqu’un ?
On a eu des idées.
On n’a pas eu d’idées.
On a bien voulu écrire des textes des poèmes des choses avec des mots flottants qui se transforment.
On a rien vu de surnaturel.
A moins que.
A moins qu’on l’ait vu, qu’on ait eu super peur de le voir, qu’on ait fait semblant de ne rien voir.
On s’est découragé.
Tommy dans le glouglou entend les infirmières apporter le brancard, le bruit du brancard il sait ce que ça veut dire, il aurait aimé parler un peu avant la fin mais c’est une fin sans paroles, il voit l’amoureuse penchée sur son épaule de l'autre côté de l'Atlantique mais penchée quand même sur son épaule et elle est malade de maladie d’amoureuse qui perd son Tommy, il la rassure, il voit l’être surnaturel qu’elle est dans cette lumière blanche, elle fait des glouglou elle aussi, non, elle avale les nuages et la boue qu’il y a à l’intérieur des nuages, on ne savait pas très bien jusque-là la boue qu'on trouve quand on croque les nuages, on n’imaginait pas, eh bien les nuages en sont pleins, l’amoureuse a de la boue partout, comme une barbe ça lui fait, elle a une auréole de boue de nuage, c’est normal, on en rit tous les deux, elle et moi pense Tommy. Tommy qui s’est battu avec les brigades internationales voit l’être surnaturel jusqu’au bout et c’est donc ça, le regard d’extase.
La violence dans sa continuité. Chienlit 2015 pour désigner ceux qui font tomber la chemise d’un DRH s'interrogeant publiquement sur les possibilités du travail des enfants, regrettant les lois du Qatar contre les grévistes, répondant par le silence à toute question ; s’excuser mielleux auprès de qui on vend des avions et armes qui bombardent le Yemen mais c’est 10 milliards d’euros de contrats ; un chef d’état qui fait le buzz surveille les tweets qui le concernent, un chef d’état qu’on n’apprécie pas mais qu’on adooooore, voilà, disent ses fans (qu’habite la trouille), voilà ce que ça nous provoque d’avoir eu le PKK aux élections, mais c’était des élections n’est-ce pas, oh ils ont terrifié les gens pour que.
Et tout comme ça.
Un chef d’état adulé par ceux qu’il effraie et par ceux qui le reçoivent en Europe envoie des gaz lacrymogènes sur blessés, morts et survivants d’un terrible attentat, ça c’est un fait, parmi les probabilités ce serait pas nouveau que des barbouzes jouent la terreur pour de la vieille histoire électoraliste mais l’Europe s’incline : au fait, l’homme d’état en question, il nous ferait pas un piège à Syriens ? A marée humaine à réfugier qui on ne veut pas réfugier ? Il nous prendrait pas le tour de la Libye ? On a des buts communs, le truc électoraliste - enfin dans notre cas ça ne marchera pas, on est vraiment trop cons, ça ne marchera même pas, ce cynisme-là, c’est fini. Ah la lutte des classe, voyous contre voyous, imaginez : recevoir 20000 personnes quand nos compatriotes perdent 20000 boulots ? On serait contents peut-être que nos compatriotes perdent leur 20000 boulots ? Zéro migrant comme communique je ne sais même plus qui parce qu’ils disent tous la même chose et on rend leur boulot aux salariés d’Air France ? Allons donc.
Zéro migrant et zéro boulot et zéro lutte des classes, zéro lutte tout court.
2015 la Catalogne demande son indépendance.
Ce n’est pas nouveau. Le Pays basque la désire. Processus d’autonomie, de réunification de deux pays l’un d’un côté des montagnes l’autre de l’autre, ce n’est pas nouveau et qu’est ce que tu as dit, mon ami ? Tu as dit repli nationaliste ? Pourtant tu jettes tes yeux du côté kurde, tu vois les barbouzes ou ce qu’on imagine barbouzes, tu pleures. Tu ne te souviens pas des années 84-87 juste à côté de chez toi, dans ce que tu appelles la France ? Tu le sais, qu'un drapeau qui n’existe pas n’est pas un drapeau, est un rêve, un désir de drapeau, qu’il faut l’avoir pour le quitter et que pour l’avoir on est morts sur les places et qu'on meurt encore, souviens-toi, 1932, en Espagne, rappelle-toi que le passé ne passe pas, respire, ouvre, pense et ne pense pas trop, c’est à dire ne pense pas trop vite.
Et puisqu'on y est : oublie les débats engluants, oublie les intellectuels médiatiques comme on dit - à qui les Laurent Joffrin tout aussi médiatiques s’opposent, ne nous fais pas le coup, oublie les intellectuels, bons produits pour les Laurent Joffrin, produits médiatiques (comme lui et comme on dit) qui sont comme tout le monde : disent tant de conneries destinées à être entendues et parmi les conneries parfois un truc pas trop faux, qui sont comme toi et qui sont comme moi, ont pas mal de chance dans la vie, connaissent le confort et sont tout à fait névrosés, certains ont une histoire passée qui ne passe pas et ce défaut d’analyse que donne un traumatisme rigidifié, d’autres un narcissisme accompagné d’une sorte de haine envers ceux qui ont marqué l’histoire de la pensée, on fait des résumés de pensées, on cherche le sensationnel - mais quand on dit que tu as besoin de définir le peuple parce que tu ne connais pas le peuple c’est plus vrai que le contraire, tu ne connais pas le peuple, tu te fiches même, pardonne-moi, de ne pas connaître le peuple, parmi toi il y en a même qui pensent que le peuple est con qui va voter comme il va voter parce qu’il pense en deux temps, se fait avoir, a perdu la boule, écoute les conneries et la télé, a perdu ses raisons d’être, comme on dit, ne bataille plus.
Octobre 2015. C’est un village, et c'est pas loin de chez moi.
Non, il n’est pas 2 heures du matin.
Non, on ne s’écharpe pas sur les mots - on ne les a pas tant que ça.
C’est pas complètement la fête.
Pas facile, et ça tient à un fil et il y a ceux qui pensent un peu en avant et ceux qu’il faut convaincre, les fatigués, c'est normal.
Les habitants se réunissent, c’est un projet de village hors tout truc électoraliste, c’est une idée, une idée vaste dans un petit et magnifique village, une ancienne bastide, on a des terrains, on a des lieux et envies à partager, on a des problèmes aussi, on a des névroses (parions qu’on trouve ici celle celui qui rabâche les choses, celle celui qui a besoin d’être flatté(e) et écouté(e), celle celui qui emmerde tout le monde et avec qui on ne peut pas travailler), on a tout ça mais on a une idée : si on créait une maison d’accueil ?
Pour qui ?
Mais pour qui a besoin. T’en as de bonnes.
Papiers ou sans papiers ?
Eh ! On ne veut pas savoir. Réfugiés pas réfugiés et mon beau-frère qui est en rade. Ce serait un lieu de culture et un lieu de dormir. Un lieu de vivre et un lieu de passer. On y ferait de la musique, on y apprendrait les chansons.
On n’en dit pas trop. Parler, parler, c’est toujours trop. Manquerait plus que ce soit inhibant.
Politique ?
Rires.
Mais qu’est ce que tu connais toi qui n’est pas politique (rit un monsieur) ?