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Billet de blog 17 janvier 2010

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Au TGI, à Bayonne

Au TGI je retrouvai de manière régulière le porte-parole de la préfecture, Monsieur L.Quelques policiers.Laurence Hardouin, présidente du groupe Cimade à Bayonne et avocate.Maître H. Georges et Sarah, pour qui il s’agit toujours d’agir, jour à jour, et que je remercie 

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Au TGI je retrouvai de manière régulière le porte-parole de la préfecture, Monsieur L.Quelques policiers.Laurence Hardouin, présidente du groupe Cimade à Bayonne et avocate.Maître H.

Georges et Sarah, pour qui il s’agit toujours d’agir, jour à jour, et que je remercie

10 avril 09

Ibnou Ferrouze est né à Marrakech en 1972 et aujourd’hui il comparait au tribunal de grande instance de Bayonne devant la juge des libertés et de la détention. Lorsque la juge lève la séance nous nous étonnons ensemble qu’après tout ce temps passé à faire le même travail elle pose à tous les migrants le même type de questions. Comme si elle n’apprenait rien des séances qu’elle préside – si ce n’est par l’information, la curiosité personnelle ou l’empathie, du moins par l’habitude. Les questions consistent à interroger la personne pour laquelle va se décider la poursuite de la rétention administrative sur le pourquoi de ce choix, l’émigration. Pour chercher, lui répondent en général les personnes. Pour avoir une vie meilleure. Alors elle réplique presque invariablement : mais comment font-ils, les autres, à Marrakech, on ne peut pas être électricien à Marrakech ? Ou bien à Sao Paolo, les autres, ils ont bien aussi des familles à nourrir, et alors ? Ce serait de vraies questions, des questions marquant de l’intérêt pour la marche du monde, si elle n’avait l’habitude de les poser. Ou si elle n’avait pas les capacités intellectuelles d’y répondre elle-même. Monsieur Ferrouze remarquait alors : il y a deux mondes, le sien, et le nôtre. Il souriait en ajoutant : pourtant elle a la télé et elle lit des journaux. Et il finit par conclure, mettant la main sur le cœur : le mal, c’est pour les pauvres

Nous ne sommes pas des nazis, dit aujourd’hui le porte parole de la Préfecture dans l’enceinte du tribunal après que les enquêteurs en civil de la PAF ont applaudi de manière bruyante et ironique le plaidoyer de l’avocate et lui ont lancé à mi-voix miss barreau 2009. Nous ne sommes pas des nazis, il ne faut pas exagérer, répétait Monsieur Lévy.

Personne ne l’avait accusé de quoi que ce soit. La remarque de Monsieur L., porte parole de la Préfecture, (c’est le procureur ? demandait Monsieur Ferrouze) témoigne peut-être, maladroitement, d’une sorte de mauvaise conscience. La présence au tribunal de bénévoles de la Cimade et d’observateurs le pousse-t-elle à interroger son rôle dans l’affaire de société à laquelle il participe ? Ou n’interroge-t-il rien mais se défend-il a priori du rôle qu’il estime que nous pensons, nous qui ne sommes pas des acteurs évidents du TGI, qu’il joue ? Rien (aucune injure, aucune impolitesse) dans le comportement des observateurs silencieux que nous sommes ne l’autorise à nous prêter de telles interprétations abusives de sa fonction. Bien sûr la remarque est sortie de son contexte. Elle est prononcée à la fin de l’audience, quand les pressions retombent un peu du côté de la Préfecture et que les pressions montent du côté des « retenus » qui viennent d’apprendre, sans qu’on le leur explique clairement parfois, qu’un avion décollera le lendemain à 17h pour les ramener sous escorte dans leur pays d’origine, pays quitté parfois plus de dix ans auparavant, etc. Bien sûr la remarque est sortie de son contexte comme l’est celle-ci : on peut penser ce qu’on veut mais les enquêteurs de la PAF, ils font du boulot, quand même. Monsieur L. dit quand même. Les enquêteurs l’entourent, ensemble ils plaisantent, commentent les « chances » pour l’un des retenus de prendre son avion prévu le lendemain, l’un d’eux arbore un sourire cynique. Quand même. Monsieur L. pourrait dire : malgré ce que vous croyez. Il croit savoir ce que nous pensons. Il croit que nous jugeons le travail qu’il fait, il croit que nous ne sommes pas loin de le considérer, lui et ses policiers en civil, comme de nouveaux nazis. Monsieur L. répond quand quelque bénévole tente de débattre avec lui de questions de fond : ça il faut voir avec nos politiques.

Quand même, cela veut dire: malgré la nullité de nombreuses procédures, malgré les erreurs de procédure que font les enquêteurs.

Monsieur L., quand il prononce quand même, suggère que l’organisation et le savoir faire, la technique de ses enquêteurs n’est pas au point. Il pense que de les inviter à voir ainsi, hors de leurs heures de travail, ce qui se passe au tribunal, leur évitera de commettre les erreurs qui font annuler les reconduites à la frontière. Il s’agit d’obtenir un résultat positif, résultat qui doit offrir aux policiers une satisfaction limitée à leur secteur d’activité. Monsieur L. et avec lui les policiers qu’il exhorte au résultat sont attachés à leur fonction et celle-ci est si réduite qu’elle ne peut se dire que par des chiffres. Monsieur A devient sa petite fonction chiffrée elle-même.

La présence quotidienne au tribunal de Monsieur L. pourrait lui permettre de dessiner une sorte de contour de la situation politique. Il verrait quelque chose, il ne serait pas collé aux faits, aux moments, au résultat d’un travail sans contexte. Je me demande quelle sorte de peur se cache derrière le besoin d’avancer efficacité et consignes reçues et de ne jamais sortir du cadre clos de la mise en scène du tribunal - si ce n’est pour plaisanter avec les enquêteurs et pour chercher une discussion de surface avec les bénévoles, d’une façon qui prouve, derrière les bravades, le malaise : nous ne sommes pas des nazis. Peut-être la discussion, si elle pouvait avoir lieu avec Monsieur L. (dans un espace extérieur à celui de sa fonction, hors tribunal) serait-elle vite close. Il faut voir avec nos politiques. Je fais mon travail. Parler avec Monsieur L. - et surtout, où parler avec lui. Le contexte du tribunal : il s’y sent mis en cause, il n’est alors en mesure ni d’écouter une parole ni de donner la sienne. Il ne peut, au mieux, que répéter ce qu’il a dit déjà. Ou affirmer, sur-affirmer la valeur de sa fonction. Parler avec Monsieur L. loin du lieu où il fait son travail. Idée que les possibilités de communication sont en partie liées au lieu, à la situation. * Apercevoir le mouvement qui régit les relations entre deux hommes aux fonctions ou aux pouvoirs, forces et fragilités, très dissemblables. Apercevoir les phénomènes qui finissent par écraser les hommes physiquement, psychiquement. Ossip Mandelstam, dès la fin des années 20 à Moscou, avait compris quel tour prenait ses rêves d’adolescents. Il comparait la « belle structure sociale » fondée sur l’autorité soviétique au pouvoir assyrien qui utilisait et détruisait en masse les esclaves et les prisonniers, otages et hérétiques. Il s’est emparé de l’air que je respireL’Assyrien tient mon cœur dans sa main La masse, commente dans ses souvenirs sa femme Nadejda, la masse apparaît partout où l’on est gouverné par une main de fer. « J’ai toujours constaté que dans un hôpital, une usine, un théâtre, qui constituent un monde fermé, écrit-elle, les gens vivent leur vie propre, parfaitement humaine, qui n’en fait pas des mécaniques et ne les transforme pas en masse» [1]… C’est de lieu dont il s’agit. Il s’agit, dans ce lieu, d’avoir quelque chose à faire. Quelque chose à fabriquer (socialement, techniquement, artistiquement). Quelque chose à mener à bien. Entreprise commune, non fragmentée, réclamant savoir-faire et visant un but. Le résultat de l’entreprise dépend des efforts combinés d’un réseau d’hommes et de femmes. Entre ces hommes et ces femmes des paroles s’échangent, des décisions se prennent, des dissensions s’expriment.

La parrhêsia, le dire-vrai, notion qui traverse la Grèce antique, est la liberté que prend un homme pour dire au tyran ce qu’il en est de ses excès. C’est la qualité de dire ce que l’on pense, non du bout des lèvres mais en l’affirmant courageusement. Cette qualité de dire vrai entraîne, pour le locuteur, un risque. Le risque ultime est la mort. Platon passe à côté de justesse quand il se rend à la cour de Denys de Syracuse. L’exercice de dire vrai donne à l’auditeur la capacité de dire-vrai, à son tour, sur lui-même.[2] Exercer son droit à parler, être dans un rapport de vérité à soi-même et devant les autres avec qui quelque chose (une activité) s’exerce, nous empêche de devenir mécaniques, de faire masse. D’être un élément de la masse. Que ce lieu soit l’espace d’un hôpital, d’une usine ou d’un théâtre dit moins sur la fermeture du lieu que sur le fait qu’un métier, une technique et une parole s’y exercent, des décisions s’y prennent, en commun ou en confrontation. C’est un espace paradoxal que cet espace là, un espace clos et libéré à la fois. L’espace du Tribunal de Grande Instance est bel et bien clos, mais les confrontations, si elles ont lieu pourtant, ne sont jamais libres, elles sont toujours soumises aux codes rhétoriques, formels, toujours visent la procédure, jamais la vérité, jamais le dire vrai. * Un seul mot dit, écrit, entendu, s’il l’est dans l’espace et les conditions qui conviennent, donne à qui le prononce ou le reçoit de quoi espérer. Il s’agit d’espérance. Après tout, si je désire parler à Monsieur L., c’est dans un effort de comprendre qui va de pair avec l’effort de rester dans l’espérance et la vigilance. Ce qui adviendra : simple promesse[3]. Nous sommes de futurs simples contours passés au tombeau, et les vers feront leur office. Avant cela, tenir un peu, à peine, l’équilibre. L’équilibre, mettons qu’il soit possible entre deux personnes qui parlent, dans un lieu de choix et un moment singulier. * Peut-être, racontant l’histoire des hommes et femmes qui circulent, qui vont et viennent, travaillent, mangent et font manger les leurs et l’histoire d’autres hommes et femmes qui les en empêchent en suivant les consignes qu’ils reçoivent, peut-être parviendra-t-on à reconstituer la chaîne des responsabilités dont les personnes qui agissent au nom du ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale se laissent déposséder. La dépossession de leur réelle responsabilité dans la société civile permet à ces personnes-fonctions d’être non pas des nazis mais des exécutants émiettés, sans pensée propre, sans imagination, sans empathie.


[1] Contre tout espoir, Nadejda Mandelstam.

[2] Michel Foucault Le courage de la vérité, le gouvernement de soi et des autres, II…

[3] Ossip Mandelstam….

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