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Billet de blog 17 janvier 2010

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Monsieur Da Silva

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La préfecture a produit un Arrêté de Reconduite à la Frontière et malgré la nullité de la procédure et sa libération décidée par la juge des libertés et de la détention, le parquet fait appel. Un vol pour le Brésil est prévu pour lui dimanche, c’est à dire après-demain. Il n’est pas nécessaire qu’il soit présent à l’appel - qui porte sur la décision du JLD et non sur l’APRF. En attendant l’appel, il est reconduit au CRA. Si la cour d’appel (qui sur le vice de procédure soulevé a toujours suivi les décisions de première instance) le convoque trop tard, il sera embarqué pour Sao Paolo. Si elle le convoque à temps, c'est-à-dire avant la date du vol prévu, si la cour d’appel confirme la décision de la juge des libertés et de la détention, il sera libre mais en risque de prochaines arrestations, lui qui a donné son adresse et les noms de ses employeurs. Il aura huit jours pour quitter le territoire français. Lorsque nous le quittons au tribunal, il a peur. Le lendemain, il téléphone. L’appel s’est tenu le samedi à Pau, il est donc, ponctuellement, libre. Il est à la gare, il part à Paris. Sa voix tremble, il dit : je suis en mille morceaux. Raconter ma vie comme ça, deux fois en deux jours, c’est trop difficile. Il dit qu’il est brisé. Il ne le dit pas facilement. On dit que c’est normal, savoir que la brisure est normale lui enlève peut-être de sa brutalité. Il faut faire attention. Se cacher. Ne plus prendre le train. * Rui Coronho, il y a presque un an, a passé un mois au CRA d’Hendaye. Il est arrivé en Europe à l’âge de cinq ans. Après son arrestation et son long séjour en CRA il se résout à rentrer, avec l’aide de l’ANAEM, en Angola, pays de ses parents. Après tout, voyons cela comme une chance, une idée de construction, de reconstruction de soi. L’Europe se conduit mal, dit-il. Mais il n’est pas reconnu par le consulat de l’Angola. Irrégulier au Portugal, obligé de quitter la France où il a noué des amitiés fortes, il vit encore caché.

Rui ne se résoudra pas à n’avoir, nulle part, lieu. A n’avoir pas lieu.

Je besoin crier parler communiquer. Dire à toutes les gens quesque je sente quesque je pense. Le sentiment le pensement. Q beaucoup de fois me laisse attraper je veu crier porquoi je peu pas crier. Rui a été élevé en Europe, il possède la culture de son milieu social et du pays où il est allé à l’école jusqu’à dix huit ans, il a des maladies, des amours et des angoisses communes. Il se passionne pour l’architecture et la musique et il est en quête de quelque chose qui grandirait sa vie. Il a beaucoup voyagé, toujours sans papiers, a vécu en Italie, en Espagne, en France, au Portugal, en Norvège. Il parle, plus ou moins bien, toutes les langues d’Europe. Il a construit des décors pour des théâtres et a fait mille autres petits métiers. Il n’a pas fait preuve d’habileté administrative à un moment de sa vie, sans doute aurait-il pu être régularisé au Portugal.

Je veux pas savoir Centres de Rétention et toute l’administration, il me fait mourir l’administratif, je vais venir j’ai besoin de toute l’Europe pour faire mon chemin connaître mon chemin 

Je voudrais parler à Monsieur Lévy, parole de la Préfecture, aux policiers de la PAF, à la juge, aux médecins du centre de rétention, aux infirmières, aux pilotes des avions qui décollent, à ceux dont les avions ne décollent pas, aux passagers qui dans un train baissent la tête, occupés de leur Ipod, lorsque les policiers de la PAF contrôlent au faciès et arrêtent des gens à proximité des frontières, aux gendarmes qui donnent à l’aéroport le signal du départ de l’avion, quand une famille entière est reconduite, avion affrété, sous les yeux horrifiés des maîtresses d’école des enfants. 

Au TGI depuis quelques temps toutes les personnes présentées sont libérées par le JLD et plus tard, après appel du parquet, à la cour d’appel de Pau. Un vice de procédure a été soulevé par les avocats. L’article 64 du code de procédure pénale prévoit que les personnes arrêtées en flagrant délit soient filmées lors de leurs auditions pendant la garde à vue. Le durcissement des lois concernant les étrangers qui n’arrivent pas, même vivant et travaillant en France depuis longtemps et y ayant des attaches fortes, à faire régulariser leur situation ou à y faire prolonger leur titre de séjour (ce qui fait d’eux ce qu’on appelle des « sans papiers »), les lois de plus en plus répressives en matière d’entrée sur le territoire européen, a fait glisser et grossir doucement, sûrement, la notion de délit. L’avocate s’en tient à la loi : puisque délit il y a à voyager sans papiers et puisque ce délit ne peut être que flagrant, les étrangers doivent être filmés. Ils ne le sont pas. Les policiers de la PAF ne filment pas les étrangers qu’ils arrêtent. Ils ne sont pas habilités à le faire, ou leurs locaux ne sont pas adaptés. Jouant sur le flou de cette étrange justice, justice à part, justice floue et mouvante (un courrier de Rachida Dati a été adressé aux magistrats afin de leur expliquer que dans le cas des étrangers en situation irrégulière, il ne saurait être question d’appliquer la lettre, mais l’esprit de la loi), jouant sur le code et ses aberrations, la juge libère les uns après les autres les étrangers qui lui sont présentés. Bien sûr le parquet fait systématiquement appel de ses décisions, mais la cour d’appel confirme la première décision. C’est ainsi que le CRA d’Hendaye, entre autres, ne voit, depuis quelques mois, plus passer que pour quarante huit heures les étrangers arrêtés dans les trains, dans les bus et à la frontière. La Préfecture, ne s’embarrassant pas de l’interprétation d’un juge a ordonné que l’on conduise les personnes arrêtées à Toulouse. Ce qui s’est fait pendant quelque temps. A Toulouse, où il se trouve que le juge n’entende pas la loi de la même manière et ne libère pas les retenus. La Préfecture, en cour d’appel de Toulouse, s’est vue interdire dorénavant de faire ainsi si peu de cas de la séparation des pouvoirs. C’est dans ce contexte que vendredi, au tribunal, lorsque Monsieur Da Silva et Monsieur Ferrouze ont été présentés, trois policiers de la PAF en civil ont assisté à l’audience. Ils ont interrompu sans politesse l’avocate de permanence ce jour là et applaudi ironiquement la décision de la JLD. Il s’agissait pour eux de savoir comment se passent les choses au tribunal. De constater ce qu’il en est de leur travail. Ce qui se passe après qu’ils ont fait leur boulot. Leur objectif est d’éviter de faire de nouvelles erreurs de procédure, au cas où l’amendement de la loi 64, attendu pour juin, qui devrait empêcher les juges de libérer sous ce prétexte, ne suffise pas à les rendre performants, au cas où les avocats trouveraient de nouveaux vices de procédure, ce qu’ils sont bien heureusement acharnés à faire (absence du tampon « Marianne », manque d’interprète, incohérence dans les heures notées dans les P.V). Les enquêteurs de la PAF étaient là à la demande de Monsieur Lévy pour constater à quel point il est important de bien ficeler les procédures. Ils étaient là pour apprendre à ne pas faire à l’avenir d’erreurs où se pourraient se glisser les spécialistes du droit à la recherche de possibles libérations. Dans le contexte de ce vice de procédure systématiquement soulevé par les avocats, les policiers sont conduits à ne plus arrêter que des étrangers munis de passeports, c'est-à-dire ceux d’entre eux qui sont facilement expulsables puisqu’il ne faut pas dans leur cas attendre qu’un consulat accepte de les recevoir et reconnaître. Sans attendre, la Préfecture leur réserve un vol. Les personnes n’ont même pas à attendre que se tienne l’appel de la décision du JLD et on peut même envisager, cela s’est vu, qu’elles ne passeront pas du tout devant le JLD si l’avion décolle dans les quarante huit heures après leur placement en rétention. La précipitation des réservations de vol, dès que l’on peut expulser rapidement, l’organisation que cela demande. Les enquêteurs de la PAF sont venus voir sur place le résultat de leur travail. Chasser (comme ils le disent entre eux) les gens, les arrêter, les interroger, leur faire raconter des bouts, des fragments de vie, téléphoner à leur proche, organiser des garde à vue : tout cela ils le font sans interroger le sens profond de leur travail, ni le but politique de ce travail, ni ses conséquences humaines. Ils le font parce que c’est la loi, leur boulot. En revanche, quand on vient leur mettre sous le nez que leur travail est annulé par la justice qui ratiocine, ils ont alors l’impression d’être malmenés, leur travail n’a plus de sens et ils sont furieux. Ils se confrontent alors à l’idée de l’immense absurdité dans laquelle ils sont impliqués. Bien sûr ils réagissent dans le cadre serré d’une pensée préformée, ou dans un cadre sans pensée car la fin, derrière les moyens qu’ils utilisent, est pour eux, à ce moment-là de leur parcours, impensée, inenvisageable. On garde ces enquêteurs dans le sas étroit de l’efficacité de leur action fragmentée. Mais si on leur donnait à penser que leur action a une fin, une fin qu’ils ne peuvent imaginer et que personne peut-être n’entrevoit (une fin qui peut être n’est pensée par personne comme fin mais est une suite d’aberrations et de dangereux acharnements administratifs débouchant sur de l’inconnu, et sur l’inconnu nous veillons), si on insistait concrètement sur l’absurdité globale de la tâche entreprise (26000 reconduites à la frontière est un chiffre dérisoire au regard du nombre estimés de travailleurs clandestins), montrant du doigt, en passant, les absurdités intermédiaires (reconduites payées par l’Etat à de nombreuses personnes qui ont déjà en poche un billet pour le Maroc ou le Brésil et ne faisaient en France qu’une escale), si on faisait les calculs[1], si on comptait combien de milliards par an sont versés à une politique aussi inutile (les murs feront dix mètres et les gens qui doivent et veulent passer passeront, aller et venir c’est énergie d’être et vivre et si l’on veut vraiment contraindre il faut s’en donner les moyens et ces moyens ne sont et ne seront jamais compatibles avec des idéaux démocratiques respectueux des droits de l’homme, seul un Etat totalitaire ou en voie de l’être contraint et advient un moment où la contrainte n’a pas de limite), si on leur disait un mot de la démographie et des futurs besoins européens, des changements climatiques que nos modes de vie provoquent et vont provoquer à brève échéance et avec ceux-ci des nouvelles migrations, si on représentait pour eux ce qui se dessine, ce qui se dessine non pas dans un futur immédiat mais est tracé au moment même où ils agissent, si on trouvait les mots pour dire le cynisme du Nord qui se protège du Sud qu’il a contribué et contribue à ruiner, colonisations, post colonisation, exploitations de matières premières, accroissement programmé des dettes ? S’ils voyaient ce qui est dessiné à petits traits efficaces, à force de chiffres et d’organisation toujours mieux préparée ? « Ce que nous avons connu devrait dégoûter les hommes pour longtemps des nombreuses théories, séduisantes au premier abord, qui affirment que la fin justifie les moyens et que tout est permis »[2]. Dans leur colère quand les enquêteurs de la PAF ont compris que la peine qu’ils se donnent (c’est du boulot, quand même, disait leur chef) était vaine, j’ai entendu un espoir.


[1] Cette France là, page 387. Le coût de la politique d’immigration pour l’année 2007-2008 est estimé à un peu plus de deux milliards d’euros.

[2] Contre tt espoir, N. Mandelstam, déjà cité

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