Lorsque nous nous parlons au TGI, il y a deux mois environ, un jeune homme brésilien est présenté à la JLD. O., le chef d'escorte, lui dit : au retour on passera par la corniche pour voir la mer. O. a une quarantaine d'années, sa femme est enseignante, il n'est pas à l'aise dans son travail, il y a des choses qui lui font honte et horreur, il a besoin de parler.
Il dit qu'il y a toujours moyen d'être humain. Au tribunal il accompagne les retenus pour fumer une cigarette lors des suspensions de séance. Il est le seul à le faire. Il raconte qu'on envoie d'abord dans les quartiers difficiles des banlieues parisiennes les jeunes policiers. Ainsi, quand ils arrivent au Centre, ils s'attendent à trouver là une population tendue, difficile. Ce n'est pas le cas. Ils s'ennuient vite, dit O. On les envoie chasser.
Quand une expulsion se prépare, on n'est pas au courant. On comprend à certains petits signes. Au tableau des présences, par exemple. A des choses non dites, de petits indices. Quand on a expulsé la famille R., avec leurs trois enfants, personne ne savait. On croyait qu'on les expédiait au TGI. C'est d'ailleurs ce qui a été dit aux amis et militants qui se sont présentés à huit heures le matin au CRA pour les voir. Ils sont au TGI. En réalité, ils étaient à l'aéroport.
Pour les expulsions musclées ils font venir des gorilles. On les fait venir de loin, les gars d'ici ne pourraient pas faire ça quand ils se sont attachés à une personne, l'ont fréquentée.
Ce qui m'a le plus choqué, je ne suis plus le même après cette image, c'est une image de mort : un monsieur kurde qui dormait, peut-être avec somnifère, il dormait dans son petit lit du Centre, allongé sur son lit du Centre, on l'a attaché, enfoui dans l'avion, qu'allait-il comprendre quand il se réveillerait plus tard dans l'avion, je l'ai vu partir allongé, endormi, je l'ai vu mort, j'ai pensé : au moins il faut mourir debout.