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Billet de blog 19 juillet 2014

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dans la gorge (3)

sur les murs d'Exarchia, ces affiches qui expliquent aux dealers qu'on ne veut pas d'eux, ici. Et que les consommateurs de drogue font le jeu de trafics dangereuxle rendez-vous pris avec L, avocat spécialiste du droit des étrangersla mer et sa cigale et ses deux goélands et le temps retrouvé, dedans

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sur les murs d'Exarchia, ces affiches qui expliquent aux dealers qu'on ne veut pas d'eux, ici. Et que les consommateurs de drogue font le jeu de trafics dangereux

le rendez-vous pris avec L, avocat spécialiste du droit des étrangers

la mer et sa cigale et ses deux goélands et le temps retrouvé, dedans

hier soir, l'immense tristesse

écouter enseignants, bibliothécaires, travailleurs psychiatriques à Athènes, bien sûr c'est édifiant mais je peux l'écrire. Quand j'approche la réalité des migrants arrêtés indéfiniment dans les centres de rétention pour complaire à l'Europe, avec le zèle que déploie, devançant la demande peut-être, la Grèce, bien sûr je peux essayer de l'écrire, le plus honnêtement possible. Mais Saghir, le sourire silencieux de Saghir à Caritas. Mais savoir que T a été arrêté là, devant la porte

et ce quelque chose qui s'arrête pour moi aussi. A la porte d'écrire. Le chagrin, terrassant

les jeunes filles et les jeunes hommes belges qui sont venus faire une sorte de tourisme humaniste à Athènes. Les filles chantent après qu'elles ont distribué les repas, fait la vaisselle, mangé à leur tour. Saghir estdebout, un peu plus loin, et sourit. Il n'est pas dans le groupe, mais il y a quelque chose comme un groupe, malgré tout, et joyeux

au centre de rétention de Corinthe les visites sont possibles à partir de 16 heures. Je n'entends pas bien Tau téléphone, il y a du bruit autour de lui, des cris. Tdit qu'il a lu, aujourd'hui, et que ça va, ça va

Saghir : sur le parcours d'avant, de l'Afghanistan à la Grèce, silence pour oublier, parce que c'est trop difficile. Silence sur l'après aussi - et on comprend pourquoi. L'après, c'est demain, et c'est un fou projet que tout empêche. Je pense au silence de G, ailleurs, qui a connu une vie d'exil et ne peut en parler. Parler d'avant, on n'y pense pas. Ses choix l'ont exposé, ont exposé sa famille. Les décennies qui l'en séparent ne sont pas suffisantes. Le risque effectif ? Je ne le mesure pas. Tout se passe comme si oui, le risque. Il y a sans doute autre chose que le risque au présent : l'habitude de se taire, l'énigme que c'est et ça a été aux autres, à soi-même, ce type de vie. Et parler d'après, c'est à dire pour G du retour au pays, aujourd'hui, ce n'est pas possible, on ne raconte pas en direct ; on vit, s'émeut, mais raconter

nos silences

à la fois il n'y a qu'à raconter, il ne faut que raconter, à la fois on ne le peut pas, protagoniste. Si par hasard Saghir te parle, tu feras ce qu'il faut pour le protéger. Tu l'appelleras Saghir quand il s'appelle autrement, tu ne donneras pas le vrai nom de T, tu ne diras rien des activités de G dans les années 70

il y a autre chose sur laquelle tu ne diras rien, ou presque rien, parce que celle-là aussi est trop difficile, c'est l'émoi dans lequel ça te met, ces histoires arrêtées là, au seuil, les histoires bloquées, sur le chemin, au milieu de la Méditerranée ou dans la gorge

la prof qui ne voulait pas me parler, elle était trop en colère contre ses nouvelles conditions de travail

si tout le monde parlait, oui, mais là, je ne peux pas me permettre, je dois nourrir mes parents, mon frère

d'autres disent : dans l'ombre, témoins anonymes, d'accord mais 

entendre leur peur et croire à leur peur si ce n'est à l'objet de la peur - et la honte t'empêche de dormir, toi qui te plais, malgré tout, à déplier les paroles des autres

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