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Billet de blog 22 juillet 2014

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de rétentions, d'aberrations (6)

La prolongation illimitée de la détention, décidé au printemps par l'ancien ministre grec de l'ordre public, Nicholaos Dendias,  est absolument contraire à l'esprit et à la lettre de la directive européenne de 2008, dite directive retour.L'article 15 (5) de la directive est clair : la durée maximale de la rétention est de six mois. Cela n'empêche pas les Etats membres de choisir de rester en-deçà. L'article 15(6) permet une rétention de douze mois au-delà. il faut que la détention supplémentaire soit justifiée par une impossibilité d'organiser le retour : manque de diligence, difficultés d'identification du pays d'origine.Le tout doit être évidemment placé sous le contrôle d'un juge.

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La prolongation illimitée de la détention, décidé au printemps par l'ancien ministre grec de l'ordre public, Nicholaos Dendias,  est absolument contraire à l'esprit et à la lettre de la directive européenne de 2008, dite directive retour.

L'article 15 (5) de la directive est clair : la durée maximale de la rétention est de six mois. Cela n'empêche pas les Etats membres de choisir de rester en-deçà. L'article 15(6) permet une rétention de douze mois au-delà. il faut que la détention supplémentaire soit justifiée par une impossibilité d'organiser le retour : manque de diligence, difficultés d'identification du pays d'origine.

Le tout doit être évidemment placé sous le contrôle d'un juge.

La rétention doit être ordonnée par écrit par les autorités administratives ou judiciaires. L'Etat membre doit prévoir un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention. L'intervention judiciaire doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention.  Ce plus rapidement possible n'est pas défini dans la directive retour.

La loi française du mois de juin 2011 fixe ce temps à cinq jours. On constate qu'en  France la plupart des éloignements se font avant l'intervention du juge judiciaire, soit avant cinq jours, soit avant toute audience du juge de la liberté, juge judiciaire qui vérifie que la procédure a bien été respectée.

Ici, une spécificité française : la distinction entre le juge administratif et le juge judiciaire. Cette distinction n'existe pas pour le droit de l'Union européenne. L'important, pour la directive retour, pour le droit de l'UE, c'est que l'étranger puisse contester sa rétention devant un juge

Lorsqu'en 2008, je me rendais aux audiences d'étrangers devant le juge de la liberté et de la détention au TGI de Bayonne, les étrangers y étaient présentés dans les 48 heures qui suivaient leur arrestation.

Par ailleurs, l'étranger en centre de rétention a aussi la possibilité, toujours  selon la directive européenne, de contester la régularité de sa rétention auprès d'un juge - ce n'est pas la procédure qui est en cause, alors, mais le bien fondé de l'obligation à quitter le territoire français.  L'OEE constate qu'en France l'étranger est renvoyé dans son pays avant même d'avoir pu présenter son recours, pourtant suspensif de l'éloignement.

Quant aux demandeurs d'asile, même primo arrivants, ils se voient souvent éloignés avant toute audience devant la Cour Nationale du Droit d'Asile.

Les nombreuses entorses faites aux droits des étrangers s'inscrivent dans un système complexe qui favorise les aberrations. L’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 donne pour mission au juge judiciaire d'être le gardien de la liberté individuelle. Cette habilitation oblige l’administration à solliciter du juge judiciaire qu’il statue sur la prolongation du placement en rétention. Il le fait, depuis 2011, on l'a vu, au bout de 5 jours. Le juge judiciaire doit s'assurer de la régularité de la procédure antérieure à la saisine. La procédure et toutes les mesures (interpellation, notification des droits) qui l'accompagnent sont administratives mais elles touchent à la liberté individuelle. Mais puisque  cinq jours suffisent à l'expulsion, le juge judiciaire n'exerce plus très souvent son contrôle sur la régularité des conditions d’interpellation, d’exercice des droits et de rétention.

Le juge administratif a en charge le contrôle de la régularité de la procédure d’éloignement prise par l’administration. On le saisit dans les 48 heures de la prise de la décision administrative et il doit statuer dans les 72 heures à compter de la saisine, suspensive de l’éloignement - mais pas de la rétention.

Ce système complexe entraîne des enchevêtrements de compétences entre juges. Un arrêt de juin 2014 rendu  par la Cour de Justice de l’Union européenne donne par exemple au juge judiciaire qui doit statuer sur la prolongation de la détention la possibilité de substituer sa décision à la décision de l'administration.

Une réforme du CESEDA (code d'entrée et de séjour des étrangers) s'annonce, à la rentrée. Parmi les mesures, celle-ci : il est prévu de revenir sur la répartition des rôles, compliquée on l'a vu,  entre le juge administratif et le juge des libertés et de la détention. Le juge administratif finirait par être le seul à être compétent pour contrôler – si on le lui demande – la régularité des conditions de l’interpellation, de la retenue ou de la garde à vue. Le juge des libertés et de la détention verrait dès lors son champ d’intervention restreint à l’examen des garanties de représentation et aux conditions de la rétention. Ce transfert de compétences bousculerait de front l’article 66 de la Constitution de 1959. Ce que la pratique rend fréquent (absence du juge de la liberté) passerait dans le droit.

On peut penser qu'une réforme du parquet et du statut des juges administratifs, qui pourraient prendre alors en charge  la garantie des libertés individuelles, serait pertinente, au vu des complexités actuelles. Mais il faut s'assurer de la réforme du statut du juge administratif avant la disparition (ou l'amenuisement) du juge de la liberté, et rester bien attentif à ce que ne se creuse pas d'année en année, un fossé entre deux justices, celle concernant les ressortissants Schengen, et une autre, spéciale...

Le décret grec sur la prolongation de la détention au-delà de dix-huit mois bafoue le droit européen. Dix-huit mois, c'est à dire six mois auxquels s'ajoutent douze mois exceptionnels.

Au mois de juin, les retenus du centre de rétention de Corinthe, apprenant que le décret Dendias prolongeait abusivement leur rétention au-delà des dix-huit mois déjà exceptionnels, étaient en grève de la faim.

Etant donné que la directive retour est plus favorable aux étrangers que le système juridique grec, les avocats grecs invoquent-ils les dispositions de la directive pour faire échec au décret ? La légalité et la constitutionnalité du décret sont-elles contestées ? Un recours en urgence devant la Cour de justice de l'union européenne a-t-il été introduit - procédure préjudicielle d'urgence ?

Plus largement, comment se passe, dans les centres de rétention grecs, l'accès à la justice ? La personne retenue en centre a-t-il accès ("le plus rapidement possible", dit la directive européenne), à un juge judiciaire vérifiant les conditions de son arrestation et décidant de la prolongation de la rétention ? Peut-il bénéficier d'un avocat et de l'aide juridictionnelle ?

Ce qui nous ramène à la première question : un recours a-t-il été déposé devant la cour de justice européenne par l'avocat d'un migrant ?

Par ailleurs, le gouvernement grec a mis un terme au mois de mars aux interventions (vingt cinq par jour) de Médecins du Monde au camp de rétention de Corinthe où sont enfermés plus de mille deux cents personnes. Médecins du monde envoyait dans le camp des spécialistes, neurologues, dentistes. Au moment même du décret Dendias et  au moment où stress, dépressions, symptômes psychiatriques et tentatives de suicide se font de plus en plus nombreux, ce que tout le monde sait, peut prévoir et prévoit. Comment expliquer cela ?

Enfin, jusque-là les étrangers entrés en Europe par la Grèce ne souhaitaient pas demander l'asile en Grèce : leur désir était de quitter ce premier pays d'entrée  pour un pays du nord de l'Europe, l'Allemagne, la Suède, etc. Il semble que le décret Dendias, prévoyant la rétention sans terme des étrangers en rétention aille à l'encontre de ce que souhaite l'Etat grec, puisque les étrangers, afin de bénéficier d'un statut les protégeant un peu de la rétention sans limite aux fins d'éloignement se décident à demander cet asile dont ils ne voulaient pas et que l'Etat grec ne tient pas non plus à leur accorder. Quelle logique ?

 (merci à Florent, Sarah, Trésor, Evita)

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