marie cosnay (avatar)

marie cosnay

Abonné·e de Mediapart

166 Billets

1 Éditions

Billet de blog 23 avril 2012

marie cosnay (avatar)

marie cosnay

Abonné·e de Mediapart

Le temps des migraines

Cette nuit Lorenzo, 13 ans, a rêvé qu’une limace qu’il tentait d’anéantir grossissait, grossissait. Quand, après les coups qu’il lui donnait, elle rétrécissait, elle se sauvait pour se nourrir de tant de salades qu’elle grossissait, grossissait. Des salades. Mon amoureux a rêvé que son médecin lui prescrivait un Holter. Il n’y avait pas de cartouches dans son pistolet, mais du papier.

marie cosnay (avatar)

marie cosnay

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette nuit Lorenzo, 13 ans, a rêvé qu’une limace qu’il tentait d’anéantir grossissait, grossissait. Quand, après les coups qu’il lui donnait, elle rétrécissait, elle se sauvait pour se nourrir de tant de salades qu’elle grossissait, grossissait. Des salades. Mon amoureux a rêvé que son médecin lui prescrivait un Holter. Il n’y avait pas de cartouches dans son pistolet, mais du papier.

J’avais pris de quoi dormir sans rêve. Ce matin j’ai commandé le livre de Guillaume Bachelay et de Najat Vallaud-Belkacem, Réagissez, répondre au FN de A à Z et l’ebook proposé pour 3 euros par Médiapart, FN, le contre-argumentaire.

 Il y a cette expérience, faite à l’école, devant des enfants inquiets (qui ne se disent pas inquiets mais dont le rapport crispé à la note, à l’évaluation, dit quelque chose de l’inquiétude), il y a cette expérience, faite ces dernières semaines : les adolescents de 14 et 15 ans ont du mal à imaginer un modèle autre de société.

 Quand Colin et Chloé dans l’Ecume des jours ne comprennent pas pourquoi les hommes qu’ils ont peine, comme chez La Bruyère, à reconnaître des hommes, tant le travail les abîme, proposent que l’on fabrique des machines afin que les hommes aient du temps, une fois les machines fabriquées, d’embrasser leurs femmes et de faire de nombreuses autres choses passionnantes, les enfants se récrient : oh l’idéaliste. Quand on lit ensemble des morceaux d’un texte d’André Gorz qui explique qu’il faut séparer la notion d’emploi (salarié) de celle de travail, ils sont agités, protestataires et inquiets : l’idéaliste, le communiste, répètent-ils. Et quelques-uns le disent, sans honte, s’ils votaient, ils voteraient Marine Le Pen. Ils ont 14 ans. 15 ans. Ils attendent impatients leurs notes de brevet blanc. Certains demandent des formations professionnelles, l’année prochaine. Les autres iront au lycée. Ils sont issus de classes moyennes rurales. Ils ont peur. Ils ne veulent pas rêver. Je généralise bien sûr, c’est un peu injuste. Coralie et Chloé rêvent de servir comme elles pourront le combat contre les injustices dans le monde. Damien de finir pêcheur d’océan en océan. La grande majorité ne souhaite pas imaginer une toute neuve, et meileure, organisation de la société. Quand ils rêvent, c’est de richesses, et ma surprise est grande en lisant dans leurs devoirs de brevet blanc que les richesses convoitées, ce ne sont pas tant les biens de consommation et les objets haute technologie mais de grands voyages sur des îles, la possession d’îles (sic), où la possibilité de cacher ses richesses afin d’échapper au fisc (sic).

 Notre tout premier travail consiste à faire en sorte que nos enfants osent imaginer un monde qui ressemble à ce qu’eux-mêmes (désabusés, 14 ans) appellent un idéal. Corollaire : chaque jour et inlassablement, apprendre aux enfants à repérer les dangers des discours et des images rapides, à résister à l’immédiateté de la compréhension, à décortiquer les phrases syntaxiquement, à argumenter, à aller plus loin, à lire de la théorie. Mais on n’y arrive pas. On n’y arrive même pas dans les établissements encore protégés par des modes de vie plutôt tranquilles.Tout le reste, au dehors, gronde. L’inquiétude, la grande conscience qui passe des grands aux petits que c’est de lutte qu’il s’agit, que cette lutte est âpre parce qu’elle n’oppose même plus France du haut et France du bas mais Très très riches et Très très pauvres.On est à la veille de devenir Très très pauvre et ça empêche de réfléchir sereinement.

 Cette nouvelle France-là, dessinée au soir du 22 avril 2012, ne peut pas nous laisser insouciants : ceux qui votent cette année pour la première fois et ceux qui vont voter bientôt votent, nombreux, Front national. Dans les couches populaires sans doute, dans les couches moyennes et rurales. C’est tout le travail symbolique qu’on tente de faire avec ces jeunes à l’école (quand on leur enseigne la poésie latine ou des sciences ou la musique ou avec passion l’art des images en mouvement) qui est discrédité. C’est tout le travail de décryptage des textes, c’est tout ce travail de quête de réponses complexes aux questions complexes, qui est en panne. On n’y arrive pas. On n'y est pour rien, ou presque. Le reste gronde dehors, tellement plus fort. Et on est si peu, si peu nombreux, adultes et sûrs non de soi mais des idées qu’on porte, en face.

 Pourquoi le livre de Stiegler, Meirieu, Kambouchner, L’école, le numérique et la société qui vient, livre auquel je me réfère souvent, est-il, ou je me trompe, si peu relayé ? 

 On peut, avec intelligence, proposer des visions complexes du monde, on peut exprimer, même en pleine campagne électorale, qui n’est pourtant pas le meilleur moment pour l’intelligence, des choses très importantes, avoir une vision et la porter au milieu : Mélenchon l’a fait. Tout le contraire de ce qu’on dit populiste. Il a été le seul, c’est le problème. Mais on peut le faire. On peut le faire auprès des jeunes, on peut le faire auprès de tous ceux qui se voient devenir pauvres, pauvres, qui ont peur pour leurs enfants, qui ne savent pas comment faire avec la peur.

 Nous allons avoir des années difficiles. Une gauche qui devant l'austérité en Europe aura du mal. En face la droite ne sera plus la même. Une droite extrême mâtinée d’extrême droite démagogique. Qui sous couvert de discours social imposera encore davantage les simplifications racistes que les  siècles passés ont connues. Cependant que les terreurs devant crise mondiale, crise en Europe et changement climatique grandiront.

 Au milieu, nous devons faire entendre autre chose, nous devons expliquer l’urgence du changement de nos modes de production et de consommation, nous devons parler Revenu Maximal Autorisé, nous devons répondre argument contre argument aux accroches simplistes du Front National. Comment s’y prendre ? Comment s’organiser ? Où prendre la parole, si ce n’est, pour ceux qui enseignent, à l’école ? Dans nos classes certes nous poursuivrons ce travail d’analyse, d’interprétation et de compréhension - par douces étapes. En ce qui me concerne, je parlerai de ce vote du 22 avril, de ce qu’il m’inspire comme constat et de ce à quoi je crois ferme.

 La question, on l’a posée et reposée, on en a passé, du temps, à y réfléchir, depuis 2007. Comment se faire entendre largement ? Comment toucher par l’intelligence ceux qui ont moins le temps que d'autres d’en disposer ?  Combien en voit-on, dans nos classes, passer, de ces gamins tout jeunes persuadés que le rapport symbolique au monde, mots et pensée, d’emblée, ce n’est pas pour eux ?

 Je propose la chose suivante : que le plus grand nombre possible d’entre nous écrive, avant la fin du mois de mai, un texte court, adressé à un de ces jeunes ou de ces oubliés qu’on imagine séduits par la simplicité Marine le Pen. Qu’on prenne la question de la façon qui nous est le plus proche, analyse historique, preuve de la démagogie du FN, contre argumentaire, poème, documentaire sonore. Tant de formes sont possibles. Dans la conscience que nous avons de la fracure sociale grandissante. Réunissons nos textes ou nos oeuvres. Multiplions-les. Ne restons pas entre  nous, ne les écrivons pas pour nous. Faisons les passer dans les quartiers, les usines, les écoles, les campagnes, servons-nous des syndicats, des profs, des foyers, des médiathèques. Imaginons d’autres modes de transmission. Toutes idées bien venues. Offrons un document original et multiple, aux multiples voix, depuis cette chance que nous avons d’avoir appris à comprendre et à dire à peu près, à ceux à qui nous savons de moins en moins, à l’école du moins, la proposer.

 Evidemment, rien là dedans qui se pense plus fort que le travail de fond fait par les politiques. La lutte doit se mener partout. Nous proposons quelque chose de complémentaire : nous, citoyens, nous adressons à d’autres citoyens. Nous aurions tellement pu être celui qui harassé par 4 heures de trajet quotidien entre la Ferté sur Jouarre et Paris, un boulot répétitif aux conditions dégradées, n’a pas ce temps du soir que lui demande l’équipe éducative du collège de son enfant, le soir, pour assister les devoirs, et comme c’est décourageant et comme vient l’effroi puis ce sentiment d’impuissance puis la colère et puis le jour du vote. Je pourrais être celui qui ne sait pas répondre, qui cherche réponse dans ces média dont le nom ment, média de réponses immédiates – qui devront assumer, un jour, la responsabilité de la bêtise qu’ils proposent et provoquent.

 Dans un reportage réalisé en janvier de cette année sur Mediapart, Rachida El Azzouzi nous avait bien fait voir comment ces classes petites-moyennes, comme on entendit dans une enquête, employés de RRF, de banque, salariés du public et du privé, 3000 euros par mois et par couple environ, souffrent : «  Nathalie et Alain, trois enfants, un pavillon Phénix construit il y a quinze ans, à Saacy-sur-Marne, se font discrets. Employés de banque l'un à Barbès, l'autre à Val-de-Fontenay (Val-de-Marne), ils n'ont pas vu la mer depuis trois ans. Gagner 3.200 euros par mois à deux ne suffit plus pour partir en vacances. Le couple a le sentiment d'être «aspiré vers le bas»: «Avec moins de salaires, on vivait mieux à l'époque du franc. Depuis le passage à l'euro, on fait attention aux dépenses». Ils s'inquiètent pour l'avenir de leurs enfants: «Trouveront-ils un emploi?». Nathalie avoue côtoyer «de plus en plus de personnes aigries qui ne se reconnaissent plus ni dans la droite ni dans la gauche et qui voteront “vous savez qui”».

 Alors, on partage ? L’information ? Du texte ? De la réflexion ? On cherche ensemble le meilleur moyen de la diffusion ? Je vous attends, je commence.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.