jeune femme, doctorat de lettres et théâtre, quatrième année de médecine, la folie avec Ajax, la douleur et la fin de la vie avec Philoctète, autre chose avec Prométhée, les nuances de bleus, la déco, ses 12 mètres carrés qui l'attendent à Paris, la précision en tout, le rapport à la médecine et aux mots qui accompagnent le soin, le prisme de chacun, l'urgentiste qui voit la fin venir alors que la fin ne vient que page à page
ici pour tout tu dois te déplacer ; Athena raconte comment ça s'est réglé l'autre jour : par une crise de nerfs aux impôts, elle avait ses lunettes noires, son chapeau, crise de nerfs et les dossiers elle les a éparpillés partout dans le bureau de l'administration
l'étudiante n'a pas envie de rentrer à Paris, elle resterait bien se reposer à Athènes mais il faut valider l'année de médecine, trouver un stage, en radiologie de préférence
reste, lui dit le poète, reste, cherche du travail ici et tout le monde rit
enoikazetai, politai, partout, à louer, à vendre
vers Omonia, une fois, en voiture, un drôle de bonhomme, crâne rasé, sur un matelas, je crois que la prostitution se faisait là, dans la rue, ils étaient deux sur le matelas
encore qu'ils ont nettoyé, dit l'étudiante
quant à moi j'attends toujours un rendez-vous avec L, avocat au conseil grec des réfugiés. Les questions à lui poser, je les ai rédigées maintenant, avec l'aide de Florent et de Sarah
Omonia, donc, encore, le 21 juillet, la rue du 3 septembre que je remonte vers la rue Kapodistriou. Un groupe de policiers boivent, debout, dans les verres en carton, le café froid. Avec eux un civil. Dans la rue, trottoir à l'ombre, un jeune homme, un peu barbu, boucle d'oreille, il peut avoir 20 ans, cherche lentement dans une poubelle. Il ne regarde rien autour de lui et rien ne le regarde. Il cherche au fond. Il revient avec deux tranches de pain de mie grillé, un peu cramé, pas trop. Et avec un morceau de nougat, quelque chose qui y ressemble, gros comme la main. Il passe du temps à le nettoyer, sur le trottoir
à Caritas Aglaé confirme que les visites au centre de rétention commencent à 17 heures. Il faut pour aller à Corinthe prendre le proastikos. Du jus de fruit, du shampoing, des livres, du chocolat à apporter à T là-bas
la première personne, c'est Saghir, qui ne s'appelle pas Saghir, il remplace Jean-Pierre, qui s'appelle Jean-Pierre, à la caisse, en bas, où il prend les cartes des inscrits. Saghir et le travail bénévole ici, son intérêt pour les gens qu'il rencontre, la distance qu'il garde, amicale pourtant, cette sorte de fatigue. Je crois qu'il était dans mon rêve : au réveil, je pensais au grand Meaulnes, Augustin
quand il est parti de chez lui, Saghir était mineur ; il dit I love Paris et demande si je viendrai le voir, du Sud de la France à Paris, et nous échangeons nos noms pour facebook, parce que c'est plus facile, comme ça
c'est facile comme ça et c'est l'heure où la cuisinière (la première fois elle était méfiante, je pensais qu'elle ne me trouvait pas à ma place) mange avec les bénévoles
elle, c'est son métier, elle est payée pour ça, elle dit. Elle est géorgienne. Saghir et son copain Samir plaisantent avec elle parce qu'elle ne quitte pas son iphone. On est côte à côté, elle me montre via FB Georgio, son fils, 20 ans, qui est rentré au pays. Quand il était petit il était avec elle à Athènes, maintenant lui et son frère sont en Georgie pour l'université, ils étudient et chantent, on regarde les statuts FB, les vidéos des concerts, c'est très émouvant, elle pose une main sur son cœur, elle travaille pour eux, dit-elle, puis sur mon cœur, elle fait très jeune, je lui dis qu'on pourrait la prendre pour leur sœur, elle dit que c'est vrai
elle a travaillé dix ans en Grèce et maintenant elle peut avoir une carte pour aller les voir et elle peut revenir
le groupe d'étudiantes belges mangent à côté
Samir lave mon assiette pour que je reste auprès de Georgia, que je regarde avec elle les vidéos de ses fils
Saghir revient, il dit, nous regardant tous : Albania, Georgia, Fance, Afghanistan, Belgium. Il le dit deux fois, il sourit, joyeux. Oui quand il sera à Paris je viendrai le voir. I love Paris
dehors, dans la rue, ce monsieur en costume, qui porte deux sacs dans les mains, dont l'un porte l'enseigne d'une librairie de la place Panepistimou. Il marche vite, de poubelle en poubelle, il se penche sur la poubelle, ne trouve rien, traverse au mépris des voitures, en trouve une autre, il recommence
et soudain, me revient le rêve de ma nuit : la loi, comme vous l'avez toujours rêvée. Des enfants, menés par le grand Meaulnes, Augustin ou Saghir, organisent un évènement. Ils sont dans un espace dédié, tous passionnés, bien concentrés. Un tout petit (Valentin, dans le rêve, dix ans) est surexcité : on dirait qu'un spectacle va se donner. Augustin, ou Saghir, vrai(s) professionnel(s) de l'évènement. Et c'est l'accident. Dont on comprend qu'il a été pensé, prévu : ça explose. C'est Valentin, 10 ans, traumatisé, qui expliquera qu'il y avait le gaz, oui, mais que le gaz c'est le pôle positif et qu'il y avait l'eau (?) et que l'eau c'est le pôle négatif et que donc tout ça devait se disjoindre. Mais les éléments se sont joints et ça a été l'explosion. Eh bien on nous envoie un dénoueur de crise. Ce n'est pas un flic, ce n'est pas un psy, c'est un homme aux cheveux longs, une sorte d'homme médecine un peu indien. Il prend Valentin dans ses bras et lui caresse la joue. Moi aussi je caresse la joue des enfants tandis que l'homme nous fait à tous une leçon de physique, tendrement. Je ne sais à quoi ça se signale mais il semble que le dénoueur de crise ait besoin de tendresse, lui aussi. Bientôt, l'autorité se présente là. S'assied en face de nous. Dit : expliquez-moi tout ça. Et on va expliquer. L'autorité porte un costume gris, une tête grise et pas mal de bienveillance. On pense au bel Augustin (ou Saghir), on se dit qu'il a eu le temps et la chance de fuir. Je pense que j'aurais voulu, moi aussi, que les pôles se rejoignent, comment résister ?