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Billet de blog 27 mai 2014

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Big-millions

Dans le roman de Ross Thomas, Traîtrise, paru en 1994, Millicent Altford, Milly, finance les partis politiques, un métier à hauts risques, non ? C'est qu'on n'a pas aux Etats-Unis de plancher, ces ridicules vingt-deux millions d'euros que la législation française impose aux candidats qui sont bien obligés d'utiliser des expédients, non ?

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Dans le roman de Ross Thomas, Traîtrise, paru en 1994, Millicent Altford, Milly, finance les partis politiques, un métier à hauts risques, non ? C'est qu'on n'a pas aux Etats-Unis de plancher, ces ridicules vingt-deux millions d'euros que la législation française impose aux candidats qui sont bien obligés d'utiliser des expédients, non ?

Milly est embêtée, les deux millions quatre qu'elle a trouvés par là ont disparu. Les millions, dans les romans de Ross Thomas, disparaissent comme ça, vite, sans drame psychologique, juste il y va du sens de la vie et de la beauté des échanges, ils réapparaissent tout aussi vite, empruntés aux uns, aux autres qui en ont en pagaïe, ou bien c'est l'épiphanie, les dollars jouent le rôle du corps du mort bien mort, déjeté (un bras traîne hors de la Rolls), celui qu'on trouve dans les romans policiers.

Big-millions. Bygmalion. Une blague, sans doute, au début c'était une blague bien grasse de gamins vieillis gâtés pourris, ce n'est pas possible sinon. Avaient dû trouver ça drôle, l'allusion au mythe, un gars qui fait d'une forme de cire une forme palpitante, obéissante. Plus drôle encore l'allusion aux millions, aux vingt-deux ils feront faire des petits, du faux, de fausses factures, joyeusement.

On nous a volé les mots, a dit Jean-Luc Mélenchon, au soir des élections européennes. C'est vrai. On a volé des millions aussi, les uns et les autres, mots et millions, jetés par dessus soi par dessus tête après qu'on les a coupés en petits morceaux. On a redoublé de rires gras et de sous-entendus. Eh, regarde, ils vont te voler tes pains au chocolat. Ça, ce n'est pas dans un roman de Ross Thomas, ce n'est pas un enfant en phase de régression narcissique, c'est un type qui a fait sciences po en 1985, puis l'ENA, qui a dirigé la caisse des dépôts et consignations puis le parti d'Union pour un Mouvement Populaire (ça fait longtemps qu'on a volé les mots), c'est un type comme ça qui te fait peur comme ça : attention, cet enfant-là, en sortant de l'école, va voler ton pain au chocolat.

Chez Ross Thomas, ceux qui sont prêts à tout, qui ont besoin d'expédients, payaient dans les années 80, au Salvador, en accord avec leur chef d'Etat, cent millions de dollars pour l'assassinat de six prêtres, cuisinière et fille de la cuisinière. Les prêtres appartenaient au Front de Libération Nationale (les mots sont les mots et c'est la révolution). La CIA faisait exécuter, le capitaine devenait général, le général colonel. L'histoire remonte à la surface au moment où Millicent Altford, qui s'occupe de financer les partis politiques, voit la somme exacte d'autrefois disparaître de son coffre. Coïncidence merveilleuse, ou presque, le major chargé à l'époque de faire voyager deux cents millions est le type qu'on vient chercher pour servir de gorille à Millicent. Le major égara la moitié des millions, qui servit contre son gré, on le comprend, à payer les tueurs de curés. 

De l'argent a donc disparu d'un coffre scellé par l'image de Mickey Mouse et expédié au Salvador - Mickey Mouse, oui, il n'y a pas qu'à l'UMP en 2012 qu'on s'amuse. La moitié de l'argent a disparu, soit cent millions et des poussières. La centaine de millions  a été remplacé par la CIA, qu'à cela ne tienne. Des années plus tard, la même somme est cachée dans le coffre secret de Millicent puis perdue. La présence du major d'une année à une autre, d'une histoire de millions à une autre nous met en garde. Attention : millions et faiseurs de présidents et défaiseurs de peuples.

Quand on perd la somme, on la réunit de nouveau. Au risque de se ruiner : ce n'est pas grave, on vivra des splendeurs de l'étage, quand le sous sol ou le rez de chaussée auront basculé. Cent millions payent originellement un crime d'Etat, puis font des petits, des suites, des conséquences - des présidents. C'est très triste dans le roman quand on comprend qui a pris les cent millions dans le coffre de Millicent. C'est triste parce que c'est le monde d'après ; quand tu te réveilles de tes splendeurs d'étage. Tu as vraiment mauvaise mine.

Les millions après les premiers vingt-deux millions, les millions de Bygmalion, les expédients, s'ils ont servi, par exemple, à payer des sondages d'opinion ? Excitée, l'opinion, à coups de mots volés, à coups de haine xénophobe, islamophobe, on va te voler tes pains au chocolat, ça coûte cher parce que vaut cher, des postes, des cabinets, des yachts, quoi encore. Bygmalion ne fabriquait pas des femmes faciles et plastiques, comme le vrai chez Ovide, mais des présidents - ou presque.

Chez Ovide et Ross Thomas, ça a plus d'allure, c'est sûr.

C'est l'histoire des millions et des hommes qui font et défont les autres. Il faudrait demander au juge Van Ruymbeke : il trouverait Ross Thomas un peu léger, peut-être. Des billets et des liquidités, il en a vu apparaître, disparaître et voyager, non pas fermés au sceau de Mickey Mouse, mais c'est égal. Des meurtres aussi, il en a été question dans l'enquête du juge Van Ruymbeke, pas au Salvador, mais au Pakistan.

25% de 43% de votants inscrits, étrangers résidents et enfants exclus, je ne sais pas combien ça fait de votants pour le Front National. Ça ne fait pas autant de fachos, ni même autant de pauvres d'esprit. Mais ça fera bel et bien 24 ou 25 députés Front National au parlement européen. Qui avanceront des idées contre lesquelles le 20ème siècle s'est débattu et battu, pas seulement avec les mots.

C'est à ça, d'escalades et en escalades, qu'ils sont arrivés. S'ils vous disent que c'est un choc, un traumatisme, un séisme, on ne peut pas les écouter. Ils savaient. Comme ils savent aujourd'hui qu'il y a une issue, qu'il faut en urgence de nouvelles donnes, une nouvelle république - et que puissent voter les étrangers résidents. Que sinon, nous aurons tous, et très vite, la même mauvaise mine qu'eux. 

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