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Billet de blog 28 janvier 2010

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un policier, interrogé au TGI pendant l’été, accuse la juge de rendre absurde son travail quand elle libère, observant le droit, les retenus. Il la rend responsable des détériorations de ses conditions de travail. En effet, en cas de libération, la juge prend le temps de motiver précisément ses décisions. Les policiers escortant les personnes retenues au centre de rétention doivent les attendre au tribunal, parfois tard dans la soirée. De plus, après les longues délibérations, il faut encore attendre de savoir si le parquet fait, oui ou non, appel de la décision de la JLD. Parfois il est vingt-deux heures quand les retenus escortés rentrent au CRA ; cela ne rend ni les policiers ni les magistrats très heureux et là encore leur rancœur, au lieu de viser la cause de leur fatigue, est déplacée.

Cette après-midi-là, j’évoquai avec le policier oisif de l’escorte au TGI l’expulsion, qui avait eu lieu de l’aéroport de Biarritz quelques jours auparavant, d’un monsieur philippin. Ce monsieur vivait en France avec sa femme et leurs deux petites filles qui seraient bientôt de nationalité française. A Roissy le commandant de bord refusa de décoller, le monsieur fut débarqué et un peu plus tard régularisé après un recours fait urgemment par la Cimade. Il n’empêche qu’à Biarritz, alors que plusieurs associations tentaient de persuader les passagers de s’opposer à cette expulsion, le monsieur monta dans l’avion, tenu de près par son escorte de gorilles.

Le policier à qui je parle sur l’escalier extérieur du tribunal fume une cigarette pendant une suspension de séance. A l’intérieur, il reste deux policiers par personne retenue. La règle veut que trois policiers s’occupent d’une personne. Lorsqu’une dizaine de personnes sont présentés au tribunal, le nombre de policiers est à peu près multiplié par trois. Il y en a, du monde qui s’ennuie, au tribunal. Tableau en bleu, disait Bram Van Velde. Le policier à qui je parle revient donc sur les tentatives d’empêcher les expulsions : c’est le plus mauvais service qu’on peut rendre à quelqu’un, dit-il, non là on ne sera jamais d’accord, dire qu’on fait tout pour que ça se passe bien, calme et tout, pour qu’on ait pas à…

Depuis ce moment d’été sur les marches du TGI, Carine Fouteau a publié sur Médiapart [1] , l’interview d’un policier racontant son quotidien d’expulsion et de voyages et le manuel de la PAF expliquant les techniques de coercition et de violences cachées facilitant les expulsions. Pour qu’on ait pas à… *

Fin octobre. Alors que trois afghans viennent d’être renvoyés dans leur pays en guerre dans la bonne conscience affichée du ministre de l’immigration (la politique d’immigration est juste et pleine d’humanité, déclare Monsieur Besson), la bonne conscience en matière d’humanité n’est peut-être pas si bien partagée.

Certes, le policier de la PAF me parlait cet été de la sienne, humanité, sans complexe, s’arrangeant entre le mot et la chose. Au début du mois d’octobre, une équipe de Canal + vient filmer une audience au TGI de Bayonne afin d’interroger plus tard, sur le plateau, M. Besson à propos des reconduites à la frontière des personnes contrôlées en Espagne, qui quittaient, billet en poche, le territoire français, à propos de l’expulsion possible d’afghans, expulsions qui sont, au jour de l’émission, 11 octobre, encore à venir et des arrestations de pèlerins du monde entier venus se recueillir à Lourdes. Que peut-on penser de Monsieur L. (on n’est pas des nazis, quand même, disait-il), représentant de la Préfecture, qui refuse d’être filmé dans l’exercice de sa fonction ? On peut dire qu’il craint la manipulation de son image ou qu’il ne souhaite pas être mêlé à la médiatisation, qu’il ne maîtrise pas, de son rôle au TGI. Mais cela ne dit-il pas quelque chose du malaise dont il fait preuve à plusieurs reprises, quand il cherche à convaincre les bénévoles de la Cimade qu’il est qui il est, c'est-à-dire, sans doute, humain. Cela dit en tout cas quelque chose de son refus d’être assimilé à ce qu’il condamne ou condamnerait peut-être s’il avait la parole et ce qui permet de la prendre. Il pense donc, quand il refuse d’être filmé par Canal +, que la partialité des journalistes donnera de sa fonction une image plus ou moins comparée, sinon comparable, à ce que le vingtième siècle a connu comme discriminations xénophobes de populations, il ne peut pas l’accepter, il en a honte.

De la même manière, le journaliste Jean-Sébastien Mora, à l’issue d’une audience, s’entretient avec Madame Robert, juge des libertés et de la détention, certains policiers et le représentant de la Préfecture. Les personnes interrogées répondent aisément aux questions du journaliste. Le besoin de s’exprimer, de façon didactique, sur sa réelle tâche, sur son emploi, l’emporte sur la crainte de voir défigurer ses propos ou son image. Sans doute la simplicité de la conversation, sur ces mêmes marches où le policier fumait cet été une cigarette, ne provoque-t-elle pas la crainte que la lourdeur d’une équipe technique de télévision inspire. Encore semble-t-il que cette crainte soit un peu mêlée de fascination – résister à cette fascination, refuser d’être filmé veut alors signifier que l’on ne rentre à aucun prix dans un quelconque discours médiatique et que l’on est, par rapport à la tentation narcissique de l’image, vertueux. Alors que l’on est absolument victime des discours et représentations de masse, s’obstinant à répéter des phrases toutes faites servant de mots de passe.

Lorsque l’article de J.S Mora paraîtra dans Politis, la juge se dira furieuse d’avoir été nommée. On ne lui a pas demandé son autorisation, dit-elle. Ce n’est pourtant un secret pour personne qu’elle fait, à ce moment-là, à cet endroit-là, ce travail-là. Il me semble que nous sommes au cœur de la question posée au début de ce que je voulais mener comme une enquête.

Les personnes qui participent de près ou de loin à la mise en place d’une telle politique assument-elles leurs pleines responsabilités quand ces responsabilités et la conscience de celles-ci, par le biais de la presse, des noms qui ne sont pas cachés et des images dont on pense qu’elles ne peuvent rien cacher, leur sont rendues ?


[1]

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