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Billet de blog 28 octobre 2012

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Une ambiance intime (à l'école)

En collège de Réseau Ambition Réussite, aujourd’hui renommé collège ECLAIR, à Lormont, je suis allée, dans le cadre du programme A l’école des écrivains[1], dans la classe de Valérie De Lima. C’était il y a 4 ans. Une classe de 3ème. Beaucoup de complicité entre les élèves et Valérie. On avait choisi de travailler sur l’autobiographie.

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En collège de Réseau Ambition Réussite, aujourd’hui renommé collège ECLAIR, à Lormont, je suis allée, dans le cadre du programme A l’école des écrivains[1], dans la classe de Valérie De Lima. C’était il y a 4 ans. Une classe de 3ème. Beaucoup de complicité entre les élèves et Valérie. On avait choisi de travailler sur l’autobiographie. Avant ça, parler du travail d’écriture, à quoi peut-on le comparer, que demande-t-il, que met-il en œuvre. On dit que non, on n’a pas plein d’argent, que non, on n’est pas super connu. On dit que c’est un travail qui offre de la joie. Celle qu’on trouve parfois, récepteur, devant une œuvre, un tableau, une musique, un livre. Le plus intime (comme questions, angoisses, peurs  & espoirs) est relié à ce que l’humain a élaboré de plus universel dans les œuvres d’art[2]. Cette joie, on peut la connaître en classe, aussi - ici, essayer.

3 ou 4 ans plus tard, ces adolescents, devenus jeunes adultes, quand ils croisent Valérie, reviennent sur nos 3 journées : vous vous souvenez, Madame, quand un écrivain est venu pour nous, pour parler avec nous.

Nous avons écrit. Notre idée de pseudo autobiographie ne fonctionnait pas bien. A quoi bon raconter ce qui n’existe pas. Et ce que moi j’ai vécu et qui est vrai, ça ne vous regarde pas. Puis quelqu’un a donné le départ, ça a été une sorte de fête, à partir de ce moment-là.

Un élève se lève, lit son texte, chacun commente. Les auditeurs s’exclament, admiratifs, devant une image, une idée, le vocabulaire soutenu. Les univers sont violents, et plein de références à ce qui été appris à l’école. Un texte et l’ombre d’Hamlet n’est pas loin, on la reconnaît. Les applaudissements, après la lecture, sont fréquents. Ils m’ont marquée. L’écoute est particulière. Parfois, un élève demande à l’un des adultes présents de relire son texte à voix haute. Tous écoutent, de nouveau. Les textes ont été imprimés. A la fin de l’après-midi,  personne n’a oublié le sien. Avec Valérie, on a fait par la suite, un blog, une petite cabane sur le net pour ces textes-là. 

J’avais noté la qualité de questions posées. Certaines que je n’avais jamais entendues et qui me donnaient à réfléchir, à m’interroger, ici, devant eux.  Il se passait quelque chose. Je cherchais. Il y avait un  sérieux bouleversant. Peut-être ne m'y attendais-je pas de la part d’adolescents ? Je crois que l’émotion venait du fait que nous étions ensemble, ensemble occupés à débrouiller ce qui nous semblait (le rapport à l’écriture) une question difficile.

 Chez Valérie, 2012

 Valérie me parle de la violence, ce autour de quoi on parle le plus, en réunion, dans les collèges des ZEP ou des RAR. Elle constate ceci : au fur et à mesure que passent les années, la violence (chez nous dit Valérie, on se prend la crise en face) devient de plus en plus verbale. Elle est très peu souvent physique, cette violence. Qu’est-ce qu’on fait de ça ? Une fois qu’on a dit ça ?

Les enfants vivent des choses violentes. Familialement. Effet de la crise, les communautés se referment sur elles. Avant, on avait ça mais en sous-entendu, avec un peu de folklore. Là, c’est exprimé, c’est tendu. Ce qu’il y a de plus violent  pour les enfants ? L’année de 3ème, avec la fin brutale des rêves au moment de l’orientation. Personne parmi eux, personne n’obtiendra l’orientation choisie. Et c’est même autre chose, qu’on n’imagine pas une seconde si on n’a pas assisté à un conseil de classe de 3ème trimestre : personne ne sait ce que signifie le sigle de la section où on est accepté. Ça donnera quelque chose comme technicien de surface,  repasseuse. Parce que pour plomberie, par exemple, aide à la personne (ST2S), restauration…  il n’y a pas de place.

Qu’ils expriment violemment ce qui est si compliqué, si malaisé à vivre, ce monde marchandisé dont ils se sentent des acteurs vaincus d’avance, Valérie ne trouve pas ça hallucinant. Il y a même, dit-elle, une grande droiture dans cette absence totale d’hypocrisie qui parfois, dérape abruptement.  Ce qu’ils pensent, tu le sais tout de suite. Maintenant, ça ne suffit pas, maintenant qu’on sait que les choses violentes peuvent s’exprimer violemment, qu’est-ce qu’on fait ? 

De Valérie, le 4 /09/11

« J'ai dit dit à Marie que j'y laissais des plumes. Je parlais alors du collège ; je me sentais fatiguée fin juin. Tout ça pour ça. Triste aussi, triste de voir partir la plupart des élèves avec lesquels j'ai tant partagé. Eux partent vers ailleurs et c'est très bien...pourvu que cet ailleurs ne les abîme pas trop. Et moi, je reste...comme Sisyphe et en juin, je n'ai plus la force de redescendre pour pousser un autre rocher. 

" Y laisser des plumes", c'était une formule toute faite, négative mais je l'ai bien voulu après tout. Et si finalement j'avais réussi, au fil des heures de cours à créer pour eux un petit nid plutôt douillet alors c'est bien non ? Et si j'y avais laissé quelques plumes d'encre ? C'est très présomptueux de ma part mais j'ai envie d'y croire un peu. Des plumes pour l'envol, la douceur, les mots...pas du duvet, non de vraies plumes pour des enfants presqu'adultes. 

Parler de l'école, c'est parler de ma vie. Je ne sais plus toujours de quel côté je me trouve ("pupitre" ? bureau ?). 

J'aime être en cours avec les élèves, presque toujours. Les capter, être en phase, faire passer des mots, des phrases, des auteurs, des idées. Il y a tellement de beauté à partager ! C'est un bonheur et j’espère qu'ils sont avec moi, qu’ils auront ce bonheur avec moi  Parfois, je me sens vaine. Petite prof protégée qui vient et qui repart. Décalée... »

 L’endroit où vont les pauvres

  Nous avons trouvé une après-midi à passer ensemble, au mois de mai 2011, les élèves de la classe de Marc T., ceux de la section SEGPA avec leur professeur, Nathalie la documentaliste, et moi. Nous nous sommes réunis au CDI. Les adolescents de troisième se sont assis sur les chaises installées pour l’occasion. Ils avaient tous écouté avant ma venue, menée par Nathalie au CDI, la lecture complète, en plusieurs épisodes, de Trois Meurtres, publié par Cheyne éditeur, en 2005. Nous étions cinq adultes et un peu plus d’une vingtaine d’adolescents.

J’insiste ici sur la présence des adultes. J’insiste sur le moment singulier, hors contexte. On n’a pas de table devant nous, et quand on écrira, ce sera après avoir cherché l’endroit le plus agréable à l’intérieur de la salle de documentation. Certains se plient, feuille sur les genoux, sur eux-mêmes. D’autres choisissent de s’asseoir par terre. J’insiste ici sur la lecture à voix haute qu’avait menée Nathalie. Un adolescent me surprend tout de suite : votre texte madame, je vous jure, il nous a touchés ! J’insiste sur le peu d’effectifs. Certes on est en collège prioritaire – RAR, ou ECLAIR, je ne sais plus comment on dit. Ce jour-là, je cite un jeune homme de la classe, on est pas nombreux, les riches sont partis en Angleterre. Je comprends alors, j’en aurai confirmation, que le collège Lapierre connaît encore une relative mixité sociale. Et les riches, comme disait le jeune homme, étaient cette semaine-là en voyage scolaire. J’ai connu le temps, tout récent, où était posé en principe que dans une classe tout le monde partait en voyage scolaire, ou personne.

Quand nous lirons les textes écrits ce jour-là, nous entendrons que tel personnage inventé pour l’occasion est mort à l’hôpital, l’endroit où vont les pauvres.

Trois meurtres est un texte sans doute difficile. Il tisse trois drames, dont l’un, historique, concerne la guerre d’Algérie. Un autre, de pure fiction, dévoile la mort brutale et énigmatique d’une jeune étudiante. Le troisième vient toucher l’intime, il s’intercale dans la narration  qui ne l’avait pas prévu, il dit la mort choisie, voulue, d’un ami. J’explique que les citations en italique dans le texte sont de Sophocle, je raconte la longue et violente histoire de la ville et de la famille de Thèbes, jusqu’à la mort d’Antigone qui est une sorte de suicide. Le silence est grand, je n’y suis pas habituée. J’en connais, des défenses d’adolescents, des stylos qui tombent, des ricanements et des chahuts. Tous les profs (re)connaissent ces attitudes-là, lorsque les thèmes sont sensibles et les projets ambitieux : on signale ainsi, gêné, que ce qui est dit, ou écrit, de toute manière, ce n’est pas pour nous. Ou on craint que ce ne le soit pas.

Il y a eu la lecture de Nathalie. Comme le disent ce jour-là les adolescents et la documentaliste, écoutant ou lisant on était tous sur le même plan : personne ne comprenait d’emblée. Alors on cherchait, ensemble.

L’intérêt des adolescents est double : la petite affaire privée (la perte de l’ami) d’une part. La grande affaire de Thèbes et des héros tragiques de l’autre. J’explique que je n’aurais pas écrit un livre sur la mort d’un ami sans tenter de la tirer vers ailleurs, ici du mythe (ou de l’universel), sans l’avoir installée dans un contexte historique qu’ont vécu les pères des gens de ma génération, la guerre d’Algérie. Cela pose des questions : comment écrit-on, comment parle-t-on d’un événement, de quelle place, avec quoi, quels éléments. On en parle.

Tous ils disent qu’ils n’aiment pas lire. Sauf des magazines. Et des romans fantastiques, ajoute un jeune homme, particulièrement concentré, qui pose de belles questions. Il sera le seul à ne pouvoir pas écrire, tout à l’heure. J’apprendrai qu’il est en grosses difficultés, dans une section spécialisée. Sa professeur trouvera l’astuce, dessine ce que tu voudrais écrire. Il dessine une scène de crime. Au-dessus il écrit quelques phrases qui nous couperont le souffle, tout à l’heure, quand on se lira les uns les autres.

Comment viennent les idées, demandent les élèves. Quant à moi, je vole des idées, des images, des impressions, des souvenirs, des peines et des joies. Et mes images de départ sont simples, un enlèvement, un masque, une verticalité, quelqu’un qui appelle, quelqu’un qui se dresse. Alors on peut voler des mots, des phrases, on peut ? On peut.

On part d’une phrase de Trois Meurtres. Il porte au bout du bras une valise noire. Il ne part pas en voyage. Si la morte l’a fasciné, c’est pour sa beauté. Il aime les corps déserts.

On va lui donner une suite. On va imaginer un flash-back, la fascination est au passé composé. Certains éléments sont posés comme des énigmes, chacun y répondra. La  morte, la valise qu’un voyage ne justifie pas (les valises des adolescents cacheront des armes ou des bijoux), l’amour de la mort. On note le corps désert.

La phrase permet d’aller vers un imaginaire directement violent – donc paradoxalement protecteur. On ne va pas dévoiler les gros tracas de l’âme. On va faire plus gros. Enorme. Tragique. Il vaut mieux éviter je. Je me souviens, il y a quelques années, l’atelier avec Valérie, A  quoi bon raconter ce qui n’existe pas. Et ce que moi j’ai vécu et qui est vrai, ça ne vous regarde pas.

L’école est de plus en plus durement attaquée, l’école de certains est même abandonnée. Pourtant les enseignants, Nathalie, la documentaliste, les adolescents de la classe de Marc T. au collège Lapierre (s’émerveillant devant un tour syntaxique, un mot rare, un synonyme) m’ont donné aujourd’hui une image valeureuse de l’institution. Plus belle, aperçue ainsi, le temps d’une après-midi, dans le recul que mon rôle m’y donnait, que dans mon quotidien d’enseignement. Plus belle car possible. Plus belle car les adultes et les plus jeunes, nous cherchions ensemble ce qu’on peut dire, comment le dire, ce qu’on peut comprendre, et comment. Plus belle car personne, ici, personne ne pensait que l’histoire de Thèbes, que Sophocle, que le travail acharné sur les mots et la grammaire, ce n’est pas pour nous..

 Prof de latin

En cours de latin :tous les élèves sont mis devant la même difficulté : la même lointaine difficulté. Rien d'une langue affective. Mais une langue, avec laquelle il s’agit de se monter très rigoureux  syntaxiquement. Ce besoin de décomposer la phrase afin de la recomposer.  Bien sûr il y a ceux qui ont plus de facilités avec la rigueur que d’autres. Mais ça, ce n’est rien. C’est une langue, le latin, qui n’appartient à personne. Du coup, elle appartient à tout le monde, et les efforts que l’on fait vers elle, bien spécifiques (grammaticaux) se partagent très bien. Soudain, on est ailleurs. Et dans cet ailleurs il y a un fond d’histoires qu’on peut raconter, dont on a entendu parler (Œdipe, le Minotaure) et dans cet ailleurs on découvre sans spontanéité, avec effort, que le rapport avec une langue c’est dans la tension et l’étrangeté. Catulle écrit nihil vocis est in ore, rien d’une voix est dans ma bouche, ce qu’on fait de ce rien, ce qu’on fait du génitif. Ovide écrit en parlant d’Ariane pectora sonuerunt palmis, ma poitrine sonne sous mes mains… Parfois, moment de grâce. Parfois, le labeur de déchiffrement est grand, on va offrir deux vers d’encouragement, avancer un peu plus vite, accepter de simplifier ce participe futur. J’aime bien (Alexia : « c’est fou ce que ça fait à notre imagination »), après analyse littérale et regard analytique sur le texte, demander aux élèves de se l’approprier. Qu’ils le prennent pour eux, qu’ils le réécrivent, le traduisent, ce texte, avec les libertés qu’ils choisissent, oui ou non, peu ou plus, de s’accorder. Quand est venu le temps de la restitution des textes (à haute voix), tout le monde est très attentif. Certains écrivent, sur leur ordinateur portable ou sur un brouillon quelques remarques. « Une ambiance intime », a dit Julie lundi…


[1] A l’école des écrivains, voir la Maison des écrivains et de la Littérature.

[2] Philippe Meirieu dans L’école, le numérique et la société qui vient. Ouvrage collectif, Ph. Meirieu B. Stiegler, D. Kambouchner. Mille et une nuits

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