Y raconte qu'administrativement elle n'était pas en règle. Elle n'avait pas payé quelque chose qu'elle devait payer. Elle se rend au bureau concerné : qu'est-ce que tu viens nous emmerder avec tes conneries ? Personne ne fait ça. C'est vrai, personne ne fait ça. Y insiste et on finit par régler le problème, Y paye ce qu'elle doit. Les types de l'administration sont méfiants : ils soupçonnent une ruse. Une ruse quand tu veux être en règle ? Le rapport à la loi. Le plaisir de la transgression ? Non puisqu'il n'y a de transgression que dans le respect de la règle, de la loi. Tricher n'est pas transgressif, c'est la règle. C'est donc que la loi n'est pas vécue nôtre, mais ennemie. La loi de la cité est celle des ennemis.
c'est comme ça dans les pays qui ont été sous domination étrangère, dit B. Quatre siècles, ça laisse des traces. Quand un Grec gérait une petite communauté sous autorité turque, il avait ses stratégies. Laxisme avec les Turcs et pour compenser attitude stricte avec les siens. A son compatriote, on ne laisse rien passer. Elle est dure pour toi et les tiens, la loi ; douce avec les autres. Tu dois survivre, tu uses de stratégies. Bientôt c'est ton mode de vie. La loi protège l'autre, toujours. Tu dois ruser, dit B, tu ruses
un automobiliste passe au feu rouge. Un autre qui a fait de même emboutit sa voiture. Le premier dit au deuxième : tu as vu ce que tu as fait à ma voiture, je te poursuis en justice, tu as brûlé le feu !
et tu as remarqué qu'on n'a pas de passages piétons ? Effacés. Oui parce qu'on efface ton intégrité, le corps ça n'existe pas
Exharchia, notre futur petit pays indépendant, dit B
M enseigne le français. Elle ne souhaite pas me parler. Elle est désolée, elle est trop en colère, ce serait, ce serait, comment dire, non, elle ne peut vraiment pas parler en ce moment
elle est prestataire. On te contractualise à partir de 20 heures de cours par semaine. Prestataire, c'est un statut que je comprends proche du statut des vacataires français : nombre limité d'heures, salaire bas, payé en retard. Prestataire, M fait quinze heure de cours par semaine. L'heure de cours, on vient de l'apprendre, tombe à 12 euros. Compte, dit-elle. Imagine, on annonce qu'en plus des charges sociales sur ces 12 euros, le fisc t'en prendra le double à partir de la rentrée. En bref et en gros les prestataires vont toucher 400 euros par mois et en verser plus de 300 au fisc. En bref, tu travailles pour la gloire, tu travailles pour dire que tu travailles, pour garder un travail, pas pour gagner ta vie. On n'aura plus de prestataires car qui va poursuivre comme ça ? M est désolée, mais là elle ne peut pas, elle ne peut pas parler
la jeune fille, institutrice, au pied de l'Acropole, travaille l'été à vendre des bibelots aux touristes pour payer son mariage et ça semble l'étonner que ça m'étonne
I, de Caritas, ça semble l'étonner que ça m'étonne
et B rit : ça n'étonne personne
partout, de Pangrati à l'Acropole à Exharchia, jusqu'au Pirée, partout : enoikazetai, à louer. Appartements à louer.
de retour d'Exarchia, je reçois un mail de T :
Chère Marie,
J'aimerais d' abord que tu me poses la question pour savoir pourquoi certain détenus souffrent des maladies psy . C'est suite à la durée de la rétention surtout, manque de distractions, la façon dont nous sommes enfermés, vous savez lorsqu'on vous arrêtes pour un motif que vous jugez normal et que pour ce motif que nous trouvons normal on nous enferme pendant 12,18 mois ou plus, je vous assure que ça fait mal et ça rend beaucoup d'entre nous dépressifs. Le motif normal dont je parle est le fait d' être arrêté de ne pas avoir de papiers, nous sommes d'accord de faire 3 ou 6 mois d'enfermements pour le papier mais pas 12 ou18 mois ou plus, c'est cela qui en rend d'autres violents, agressifs, qui pousse à des choses dangereuses entre autre : se pendre, avaler le shampoo, monter sur le toit, se jeter dans le vide, se faire blesser sur tout le corps avec des lames Marie, je ne t'impressionne pas ou de te faire peur mais c'est pure réalité que nous avons vécue et nous vivons ici.
La cuisine à Caritas c'est bien ! Mais c`était devant la porte de Caritas que j`étais arrêté le 15 février de l'année dernière à 8 heures souvent j'ai mangé là bas.
Je vous embrasse
T
le porte parole d'Aube dorée est arrêté. Combien sont-ils à être arrêtés, maintenant ? Je n'arrive pas à suivre
n'oublie pas que le ministre de la santé et de l'éducation nationale sont d'extrême droite, de l'ancien parti Laos. Et celui qui a signé le décret violant la loi européenne, le ministre de l'ordre public, Nikolaos Dendias rit aux éclats quand ses copains lui font un cadeau de départ : une fausse carte de demandeur d'asile. L'humour de Nikolaos Dendias et de ses copains n'a rien à envier à celui de Jean Marie Le Pen qui fera une bonne fournée des artistes anti FN à la prochaine occasion. Ou à cette ex-tête de liste aux municipales françaises qui montait côte à côte deux photos, une guenon et Christiane Taubira, à 18 mois et aujourd'hui, commentait-elle
noter que l'ex tête de liste a été inculpée de neuf mois de prison ferme
Nikolaos Dendias a donc signé un décret permettant la prolongation sans limite de la détention pour les étrangers enfermés en centre qui ne collaborent pas activement à leur départ. T, qui ne voulait pas demander l'asile en Grèce, le demande pourtant. Il ne voulait pas demander l'asile : la loi Shenghen qui vous renvoie, si arrestation, dans le pays d'arrivée (cela semble un moindre risque - l'Allemagne, la Suède ne renvoient pas, dit-il) et le maintien en centre tant que l'asile n'est pas étudié. Mais voilà que la rétention s'avère alors peut-être (c'est un pari, une stratégie), plus courte si on demande que si on refuse l'asile - puisqu'on est de toute façon retenu jusqu'à acceptation de départ dans les conditions terribles des centres grecs, aidés à 75% par l'Europe, mais où, comme me dit Begonia, un jour tu manges, un jour tu manges pas
jusqu'à acceptation : comment sont organisés les départs quand ils sont demandés ? Celui qui n'a pas son passeport, son consulat le reconnaît-il? Celui qui ne peut pas retourner au Congo Kinshasa parce que c'est la mort assurée, que peut ce chantage sur lui ?
c'est la mort d'un côté, l'attente interminable, sans jour, sans terme, de l'autre
alors oui, se pendre, sauter du haut du toit, avaler des objets contondants
fabriquer des décrets illégaux qui ont pour effet de retenir sans limite ceux qui ne veulent absolument pas rester, les désespérer, les voir sauter du toit du centre et avaler des rasoirs
à quelle opération de communication sacrifie la Grèce de Nikolaos Dendias et de ses copains ? Vous resterez enfermés sans occupation dans un espace et un temps qui n'existent pas
et il y a ce que T dit trouver normal. Six mois de rétention, dit T, c'est normal. Ce n'est pas qu'il trouve normal d'être arrêté trois ou six mois. C'est que c'était à peu près la norme. C'était à peu près attendu. Bien sûr on peut devenir fou après un jour d'arrêt. Quand tu as traversé des mondes, des déserts, des guerres, quand tu t'es batttu, as usé de toutes les stratégies et ne peut plus user d'aucune, quand tu te retrouves sans terme, tu peux devenir fou. Mais voilà, l'à peu près norme prévoyait ceci, cela, trois mois, six mois. La norme change sans prévenir, le décret trahit la loi. Dix-huit mois et le lendemain on te dit le double, le toujours, on te dit le rien puisqu'on ne fixe, justement, plus aucune norme. Et alors tu deviens fou