les blocs de temps, être dans le bloc qui ne passe pas, tenir les blocs précédents dans les mains la gorge, la bouche
monter en haut du Lycabette pour voir la ville en entier, comprendre le sud, le nord et comprendre aussi que l'orientation dans les langues et dans les sons, les notes, c'est un peu (pour moi) du même ordre : en haut, en bas, à droite, en montant, c'est la même perte dans l'espace et dans la voix, articulée ou non articulée
la forêt de la voix, des voix
il n'y a qu'à la mer qu'on ne cherche pas à distinguer, alors c'est la victoire des couleurs, les intensités de bleu, les formes au loin, les rochers rouges, les îles et les voiliers
qu'on me pose là, dans le bloc temps
aujourd'hui, dimanche 27, Voula, les pins bordent la crique, je descends sur les fesses
reçu le mail de T qui raconte l'arrestation et le quotidien, et qui à la fin se demande pourquoi l'Europe se conduit comme si elle était en guerre contre les migrants
le lendemain, deuxième mail de T : il annonce que les retenus pensent à une deuxième grève de la faim. L'idée naît entre nous d'une déclaration ou lettre ouverte. Nous avons besoin de vous, lettre ou déclaration de l'intérieur. On raconterait. On demanderait que la directive européenne soit appliquée en Europe. On expliquerait que la situation a atteint ses limites, qu'elle peut dégénérer et que du point de vue du droit comme du point de vue de l'humanité comme du point de vue de l'Histoire, il faut en finir. Il faut en finir avec l'enfermement systématique des plus pauvres.
on a beau peser la patience et comprendre les enjeux ou plutôt soupçonner qu'on comprend les enjeux pour ne jamais les comprendre , on a beau simplifier (l'Europe, ses crises, sociales et politiques, ses replis, son islamophobie, sa peur du terrorisme, sa démagogie, ce besoin archaïque de boucs émissaires, ses confusions, le grand conflit du siècle et ses suites envenimées au Moyen Orient, la polarité mythifiée, islamophobie contre antisémitisme, racisme pour racisme), on beau savoir que sur la pseudo idéologie de l'Europe forteresse s'installent la publicité et la communication et avec la pub et la com un marché, un nouveau marché, celui de la sécurité migratoire et avec ce nouveau marché un besoin accru, qui n'a plus rien à voir avec aucun argumentaire, d'enfermer les migrants
depuis plus de dix ans au Etats Unis la détention des personnes en situation irrégulière est entièrement sous traitée à des entreprises privées. Deux groupes se partagent le marché, 70 % du marché des "prisons pour étrangers" aux Etats Unis. Ces lobbyins agissent auprès des autorités fédérales pour durcir les lois, durcir la répression et multiplier les arrestations On peut rappeler aussi le marché gagné par la société italienne Finmeccanica, dont une filiale a signé en 2009 un accord de 300 millions avec la Lybie "pour la protection et la sécurité des frontières". L'entreprise italienne, spécialiste en armements, s'engage à créer un mur technologique pour arrêter les migrants venus du Tchad, du Niger, d'Algérie. Fincantieri est l'entreprise qui a construit les vedettes offertes par Berlusconi pour patrouiller le long des côtes libyennes. Ces patrouilles d'Italiens et Lybiens réunis, à bord de ses vedettes, n'ont pas hésité à tirer sur les migrants interceptés en mer. Apprendre en 2013 que pour obtenir le fameux marché des vedettes qui serviraient à refouler inhumainement les migrants Fincantieri a versé des pots de vin à la Ligue du Nord
je ne sais pas quoi te répondre, T, quand tu demandes pourquoi l'Europe se conduit comme elle le fait avec les non européens
les noirs se cachent en ville, à Athènes et toutes les personnes interrogées disent qu'ils sont dans le parc A, là-bas, n'y va pas, n'y va pas toute seule
quant aux jeunes gens grecs, une enquête ce 28 juillet, pour eux c'est l'exil ou le Rusfeti, ce mot turc qui veut dire que si tu rends un service à la bonne personne il te le rendra peut-être et qu'alors tu as de la chance, tu peux rester. Sans doute ne sort-on pas indemne de 4 siècles de domination, d'une guerre civile, de la junte. On ne sortira pas indemne non plus de la mainmise de l'Europe, de ses doubles injonctions
29 juillet, la liste des paroles refusées, des rencontres ratées. La commerçante qui n'a pas pu parler parce que pas le temps, trop de travail ou plutôt trop peu, donc doit se débrouiller à faire d'autres choses pour nourrir ses deux filles, qui s'apprêtent à partir, étudiantes, en exil et je n'ai pas su ce qu'étaient ces autres choses. L'enseignante en colère ; d'autres qui avaient peur, une peur fantasmée sans doute, de perdre leur boulot. Mais c'est la peur qui compte. Enfin, ce policier enchanté à l'idée de nous parler qui s'envola le jour de la rencontre, portable sur répondeur, disparu, disparu. Une impression, juste une impression de paroe en difficultés
Y dit que les Grecs ne voient pas leur histoire. Leur histoire antique ? Ils ne la voient pas non plus, celle-là, ils en font l'histoire de la Grèce alors que ce n'est pas la Grèce, ce sont les cités grecques. C'est un drôle de décalage, cet endroit où l'on chante toujours que s'inventa la démocratie et qui est et n'est pas, à cause du regard qu'on a ou n'a pas, ce qu'on dit que c'était. C'est un drôle de décalage : grandeur vaincue jamais vaincue, toujours qui l'emportait, et ces siècles de domination, d'arrachement à soi-même, si bien qu'il n'y a rien à faire, je ne vois pas mon portrait, je ne vois pas mon histoire, pas de blocs qui se suivent, je ne vois rien ou ne situe rien de l'histoire, tout est arraché, fait de lambeaux, ça fait des bulles d'idéologies, de conflits envenimés
qu'on me pose là, dans un bloc de temps
je ne sais pas quoi te répondre, T, quand tu me demandes ce qui arrive aux Européens qui inventent de nouveaux camps, là, au tout début du XXIème siècle. On va préparer une lettre, on la fera sortir du camp, on l'enverra à ceux qui voudront bien la lire, dès fois qu'ils ne sachent déjà, qu'ils ne sachent jusqu'au bout, déjà. On va essayer d'être drôlement convaincant. Et ce n'est pas le plus facile, on va essayer aussi de convaincre tes copains de rétention
je ne sais pas quoi te répondre, T : on a pu penser que c'était une main d'œuvre terrifiée qu'on se préparait là, capable d'accepter des conditions de travail à la baisse, on a pu penser plein de choses, aujourd'hui ne plus penser. Mais les conséquences, pour l'Europe de l'enfermement et pour l'Europe des enfermés, les deviner
des faits, des faits
- le 15 février 2013 arrestation à Omonia á 8 h du matin devant Caritas avec quelques personnes. De là nous sommes allés au poste de police où j'ai passé un quart d'heure et après quelques temps nous sommes allés à l'Odapone ( service des étrangers ), là j'ai passé trois semaines au cachot.
- Ensuite la police nous a encastré dans un bus comme de sardines, des criminels, les mains menottées, il y avait même pas de l' air dans le bus pas des fenêtres en destination du camp ici à Corinthos où je me retrouve et c' était un certain 14 mars 2013.
- arrivé au camp, j'étais très étonné du nombre des mois que les autres détenus avaient : 5, 6, 7, 8 mois alors que moi j'avais presque un mois et du coup j'étais vraiment démoralisé, abattu.
- le quotidien n'était pas bon, très tôt matin les policiers nous réveillaient tout en criant, sifflant, en frappant fortement aux portes, tout cela pour sortir et prendre un petit croissant et une tasse du lait sans sucre avec quoi même un enfant de 3 ans ne serait pas rassasié vu la quantité, et à 14 h on doit encore s'aligner dehors pour prendre le repas sans sel que nous apportent soit Korinthian ou Pietis les deux restaurants qui nous font manger chaque jour jusqu'a maintenant et à 20 h c'était encore les même cérémonies.
les Grecs ne voient pas leur histoire, disait Y. On peut la recomposer, l'histoire, tricher avec soi-même et les chronologies et les grandes idées ou les mythes, se faire une figure qui ressemble à quelque chose, même triste. Les figures du siècle 20 de l'Europe sont du genre gueules cassées. Quant à celles du siècle 21 ?