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Billet de blog 4 juin 2025

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Corrida : quand la cruauté se donne des airs de tradition

Ce soir débute la 72e Feria de Pentecôte à Nîmes, mais la corrida y tue depuis bien plus longtemps. La gauche locale, inutile et hypocrite, défend et participe à cette horreur comme à un symbole. Paternaliste, lâche, perverse : elle feint de comprendre en agissant. STOP à la complaisance, STOP au silence complice.

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Pourquoi, quand on défend la corrida, on n’est pas de gauche

La corrida n’est pas une tradition. C’est une trahison.

On entend dire que la corrida serait une « culture populaire ». Faux. La corrida n’est pas l’expression du peuple, elle est l’expression d’un pouvoir. Un spectacle codifié, ritualisé, théâtralisé, organisé dans des arènes payantes, souvent subventionné, applaudi par une élite intellectuelle, des élus locaux et des héritiers du franquisme culturel. Ce n’est pas le peuple qui monte l’arène, c’est le pouvoir qui s’y pavane.

Et pourtant, on ose dire que défendre la corrida serait un acte de gauche. Parce que Cocteau, Dumas, Hemingway, Picasso, parce que le Sud, la poussière, l’odeur du sang mêlée à celle par extension de la sangria, des tapas ou du rosé. Parce que les pauvres l’aimeraient, paraît-il. Mais qui parle à leur place ?

En vérité, la corrida est l’une de ces pratiques où l’on intellectualise le dégueulasse pour le rendre inaccessible au commun. On surélève la violence en la rhabillant d’esthétique et de « mystique ibérique ». On vous parle d’épure, de mise à mort symbolique, de combat de l’homme face à la bête. Mais tout cela n’est qu’un vernis — une manière de dire que seuls les « éclairés » comprennent, que les autres sont trop sensibles, trop naïfs, trop « modernes ».

C’est ainsi que les plus pauvres, à qui on refuse l’accès à mille autres sphères de distinction sociale, se sentent parfois privilégiés d’être « dans le secret ». De comprendre ce que « les Parisiens », les « wokistes », les « végans » ou les « féministes » ne comprendraient jamais. La corrida comme compensation symbolique : on n’a pas le pouvoir, mais on a le droit d’être du bon côté de la barrière. De celui qui regarde. De celui qui sait. Et qui, pour une fois, ne se sent pas exclu de la culture légitime.

Mais c’est un piège. Un vieux piège de droite, de conservateurs rusés, de dominants qui maquillent leur sadisme en folklore et leur cruauté en résistance culturelle, en tradition. Ceux-là, au fil du temps, ont réussi à faire croire que défendre la mise à mort publique d’un animal, c’était défendre l’identité, la liberté, voire l’âme d’un peuple.

Non. Défendre la corrida, c’est défendre le droit de torturer dans un cadre organisé, ritualisé, applaudissement compris. Ce n’est pas un acte de résistance. C’est une soumission au pire.

La gauche, la vraie, celle qui refuse les dominations et ne pactise pas avec la cruauté, n’a rien à faire dans cette arène. Elle devrait s’indigner, pas s’extasier. Se tenir debout, pas applaudir. Et refuser de voir dans la mort mise en scène un art ou un destin.

On ne peut pas être de gauche, et trouver des excuses à ce qui célèbre la souffrance. La corrida n’est pas une tradition qu’il faut sauver, c’est un aveu de lâcheté qu’il faut reconnaître. Un théâtre de l’humiliation, une brutalité habillée d’intellectualisme. Et, au fond, un mépris du vivant.

Marie K., contre les traditions qui puent la mort

PS: À Nîmes, la gauche n’a rien à envier à la droite. Elle parade à la feria, s’enivre dans les mêmes bodegas ( ou presque, mais s'enivre quand même!), défend la corrida au nom d’un patrimoine, d'une tradition rance et putride. Ce n’est pas une contradiction : c’est une logique. Celle d’un pouvoir local qui s’aligne, finance et protège un mythe viriliste, un spectacle de sang où la "culture" sert de paravent à la domination.

La corrida rapporte. Et c’est pour cela qu’on la protège. Chaque feria brasse des dizaines de millions d’euros. Les hôtels sont pleins, les terrasses débordent, les loges sont bien gardées. Ce n’est pas le peuple qui gagne, c’est l’économie de rente. C’est le clan des propriétaires, des réseaux politiques, des communicants. Ceux qui ont toujours su transformer la violence en folklore, et la mort en produit d’appel.

Et si certains parlent encore de traditions, d’autres savent. Ils savent que l’argent sale aime les grandes foules. Que les soupçons de blanchiment planent depuis longtemps sur les coulisses de ces fêtes. Que la feria, avec ses flux massifs de cash, ses appels d’offre, ses zones grises, offre un terrain rêvé aux arrangements opaques.

La corrida, à Nîmes, n’est pas qu’une affaire de culture. C’est un outil politique. Un bizness. Un mythe de domination. Une vitrine pour ceux qui n’ont plus rien d’autre à raconter que la toute-puissance du sang versé. Et la gauche locale, au lieu de dénoncer ce système, s’y accroche, s’en accommode, voire y prospère. Comme si tout valait mieux que de rompre avec l’ordre établi, même quand celui-ci sent le sang, l'argent, même sale et la trahison.

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