L’arrivisme ( souvent) bourgeois, faux-nez du féminisme et de la gauche face au chaos
Dans un monde où Trump, Poutine et consorts refont l’Histoire et redessinent la carte du monde par le chaos, où l’extrême droite progresse sans frein, le féminisme et la gauche occidentale auraient pu être des remparts. Mais à force de compromissions et d’arrivisme, ils sont devenus des rouages d’un système qu’ils prétendent combattre.
Loin des luttes radicales qui bousculent l’ordre établi, une élite féministe et progressiste a su tirer profit du rapport de force existant. #MeToo n’a pas inventé ce phénomène, il l’a simplement mis en pleine lumière. Ces figures bien en cour ont troqué l’émancipation collective contre des promotions individuelles, la solidarité de classe contre des sièges dans les institutions, la critique du patriarcat contre une intégration en douceur aux rouages du pouvoir. Ce féminisme-là, comme cette gauche-là, ne dérange plus personne – et c’est bien le problème.
Mais ces arrivistes ne se contentent pas de trahir, elles éliminent. Exclure, ostraciser, clouer au pilori celles et ceux qui refusent leur jeu est devenu leur méthode. Elles ne se battent pas pour une cause, elles défendent un statut. Toute remise en question de leurs privilèges est traitée comme une attaque personnelle, et elles répondent avec une brutalité que même leurs prétendus adversaires ne subissent pas toujours. On peut négocier avec le pouvoir, jamais avec elles.
Leur féminisme est un club fermé, accessible à condition d’adhérer aux bons dogmes et de ne jamais franchir les limites qu’elles fixent. Narcissiques et égotiques, elles utilisent la lutte comme un miroir : elles ne veulent pas transformer le monde, elles veulent s’y ériger en modèle. Tout ce qui échappe à leur contrôle doit être neutralisé.
Pendant que le monde brûle, elles négocient leurs places au chaud. Elles nous vendent des victoires en trompe-l'œil : des lois symboliques qui laissent intactes les violences économiques, des débats creux sur l’inclusivité dans des espaces réservés aux plus privilégiés. Tout ce petit monde feint d’ignorer que le capitalisme ne se féminise pas, il exploite. Que l’impérialisme ne se moralise pas, il domine.
Et en face ? Des réactionnaires, des talibans aux conservateurs de droite, des dictateurs aux féministes de droite et d’extrême droite, prêts à récupérer le terrain abandonné. Car à force de désarmer la radicalité, l’arrivisme bourgeois laisse la colère sans voix. Ou pire : il l’abandonne à l’extrême droite, qui se drape dans la révolte pour mieux la pervertir.
Comment en finir avec ces impostures ?
Il faut d’abord refuser de jouer le jeu. Ne plus se satisfaire des victoires de façade, des promotions individuelles déguisées en avancées collectives. Dépasser le féminisme et la gauche institutionnels pour revenir à la lutte, la vraie : celle qui dérange, qui menace, qui refuse d’être récupérée.
Mais refuser l’arrivisme ne signifie pas renoncer aux alliances. Face à un monde qui se droitise à toute vitesse, nous avons plus à gagner en construisant des fronts communs qu’en alimentant des guerres d’ego. Il ne s’agit pas de faire la paix avec celles qui ont trahi, mais de tracer des lignes claires : quelles luttes sont prioritaires ? Qui sont nos véritables adversaires ?
Et elles ? Elles aussi devraient y réfléchir. Croire qu’elles pourront éternellement exclure, contrôler, régner sur un petit monde autoréférencé est une illusion. À force d’avoir méprisé toute opposition, elles n’ont plus d’allié·es en cas de tempête, sinon celles et ceux qui ne savent réfléchir (et fonctionner) qu’à travers elles. Un cercle de fidèles, incapables de produire autre chose que des échos flatteurs, de penser autrement que selon leurs cadres rigides. Un féminisme qui tourne en vase clos, un entre-soi qui s’auto-congratule, jusqu’au moment où la réalité, brutale, s’impose à elles.
Car cette tempête, qu’il aurait fallu anticiper beaucoup plus courageusement quand tout le monde en était "intellectuellement" parfaitement capable, est déjà là. Et eux ? Ceux des années 80, leurs représentants politiques, ceux qui avaient le pouvoir de poser des digues et qui, au contraire, ont ouvert les vannes du libéralisme triomphant ? Ils ont désarmé la gauche, marchandisé les luttes, réduit l’engagement à une gestion technocratique. Ils ont troqué l’horizon révolutionnaire contre la communication électorale, les solidarités historiques contre le confort de leur caste. Ils ont préparé le terrain sur lequel prospèrent aujourd’hui les arrivistes.
Elles n’ont pas voulu voir les signes, pas voulu admettre que leurs petites stratégies ne tiendraient pas face à l’ampleur du chaos qui s’annonçait. Maintenant qu’il est trop tard, elles ne seront plus protégées par leurs privilèges – à moins de retourner leurs vestes. Et c’est précisément pour cette raison qu’elles ne méritent aucune entière confiance. Leur tour viendra, et elles n’auront plus personne à qui demander secours. Celles et ceux qu’elles ont ostracisé·es hier ne se précipiteront pas pour les défendre demain.
Si nous voulons une alternative crédible, il faut remettre la lutte des classes au centre des combats progressistes. Construire des solidarités concrètes entre les mouvements féministes, antiracistes, écologistes et ouvriers. Réapprendre à parler à celles et ceux qui subissent le système, et pas seulement à celles et ceux qui en tirent profit.
Enfin, cela suppose d’accepter l’affrontement. L’arrivisme prospère dans la compromission, la radicalité renaît dans le conflit. Mais il ne suffit pas de s’opposer : il faut proposer une autre voie, une force suffisamment large et cohérente pour tenir face aux vents contraires.
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Note finale
Ce n’est pas une théorie, ce n’est pas une observation froide et détachée. Ce sont ces femmes-là, précisément, qui ont contribué à ma précarisation – et elles l’ont fait méthodiquement, avec la violence feutrée des milieux qu’elles choisissent d’incarner. Impossible de les sacquer, et ce n’est pas une posture.
Mais voilà : les principes et les valeurs restent intangibles. Ce n’est pas une question de vengeance, ni de rancune personnelle. C’est une question de lucidité et de dignité. Et c’est bien pour ça qu’aucune franche compromission avec elles n’est possible tant qu’elles ne seront pas prêtes à faire face à ce qu’elles ont fait.
Elles ont joué le pouvoir contre la loyauté, l’opportunisme contre la cohérence, le prestige contre la vérité. Aujourd’hui, elles se retrouvent face à ce qu’elles ont semé. Et ça, ce n’est ni une leçon de morale ni un avertissement : c’est juste la réalité qui revient les frapper de plein fouet.
Marie K. – à caractère lucide et sans illusion.