Chaque année, le 8 mai, la France sort les drapeaux, prononce des discours pleins de dignité, et salue la victoire sur le nazisme. C’est la fête de la liberté retrouvée. Celle des Alliés, des résistants, de l’armée française libre. Mais il faut le dire : ce ne sont pas les Français qui ont libéré seuls la France. Ce sont surtout les troupes américaines, britanniques, canadiennes et coloniales — les tirailleurs, les soldats indigènes — qui ont permis la chute du IIIe Reich. Et dans cette histoire, la France officielle, celle de Vichy, était du côté de la collaboration. Une lâcheté historique qu’on maquille encore sous des récits héroïques.
Mais ce même 8 mai 1945, pendant que Paris célébrait la paix, la France commettait un massacre colonial. À Sétif, Guelma et Kherrata, des dizaines de milliers d’Algériens — entre 20 000 et 45 000 selon les sources — furent tués, torturés, bombardés, pour avoir osé réclamer l’égalité, l’indépendance, la dignité. On les a fusillés dans les rues, jetés dans des fosses, massacrés dans les prisons. C’est une des violences coloniales les plus massives du XXe siècle. Et elle a été délibérément effacée de la mémoire nationale.
Qu’est-ce que ça dit de l’état d’esprit français ?
Que cette nation a toujours voulu être du bon côté de l’Histoire — mais sans jamais regarder ce qu’elle a fait aux autres. Qu’elle célèbre le combat contre la barbarie nazie, tout en effaçant ses propres barbaries. Que sa mémoire est construite sur le refoulement, l’hypocrisie morale et la mise en scène de sa propre innocence.
Et qu’est-ce que ça dit de l’état d’esprit occidental ?
Que ce qu’on appelle “civilisation”, ici, est une mise en ordre du monde au profit des "puissants". Une mise en scène humaniste qui dissimule des complicités contemporaines avec les pires crimes : aujourd’hui, ce sont des enfants palestiniens qu’on laisse mourir sous les bombes. Avec des armes françaises. Avec des munitions américaines. Et avec un silence européen qui, à force de prudence, est devenu criminel.
Les États-Unis, qui ont libéré la France en 1945, ont bien changé. Trump est aujourd’hui président. Et il ne cache pas son mépris pour l’Europe, pour les droits humains, pour les conventions internationales. Il piétine l’ONU, menace ses alliés, alimente les conflits — tout en armant Israël jusqu’aux dents. Il ne libérerait plus la France : il l’humilierait sans hésiter. Et il l’a déjà fait.
Pendant ce temps, la France elle-même n’a plus de colonne vertébrale morale. Elle soutient des États criminels, vend des armes à des régimes autoritaires, criminalise la solidarité et bâillonne les voix dissidentes. Tout cela au nom de ses “valeurs”, qui ne sont plus que des outils de contrôle et de domination. Car de quoi parle-t-on encore ?
– De liberté ? Elle n’a jamais été accordée aux colonisés.
– D’égalité ? Elle reste un slogan, pendant que les discriminations structurent l’école, le travail, la police.
– De fraternité ? Elle s’est arrêtée à la Méditerranée.
Ce pays s’est construit sur la délation, la hiérarchie, l’oubli.
– Pendant Vichy, on dénonçait les juifs, les communistes, les résistants.
– Pendant la guerre d’Algérie, on torturait dans les caves, on enterrait dans le silence.
– Aujourd’hui, on instrumentalise la laïcité pour diviser, et on préfère juger les mots que regarder les corps.
La gauche culturelle, elle aussi, a déserté ou presque. C'est dans ces moments là qu'on reconnait les vrais ( et des vrais, force est de constater, qu'il y en n'a pas bcp et peut-être même encore moins qu'avant ...). Elle a troqué la solidarité contre la stratégie. On débat sur les bons termes à employer, mais on évite soigneusement de dire qui tue, qui finance, qui soutient. On théorise pendant que les peuples crèvent. On relativise pendant que les bombes tombent.
Et pendant ce temps, les marchands de guerre prospèrent, les enfants meurent, et l’histoire recommence.
Pire : elle est justifiée par des gens qui se disent éclairés.
Se taire aujourd’hui, c’est déjà trahir.
Refuser de nommer, c’est légitimer.
S’abriter derrière des “équilibres géopolitiques” ou des “complexités diplomatiques”, c’est abandonner les peuples à leur sort — quand on aurait pu, au minimum, les défendre.
Alors oui, il y a deux 8 mai.
Et tant que l’un continuera d’effacer l’autre, aucune morale ne pourra tenir debout.
Marie K., pour une mémoire qui ne choisit pas ses morts.