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Billet de blog 9 mars 2025

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Pouvoirs parallèles

On croit parfois que les marges s’opposent au pouvoir (bourgeois), qu’elles en sont l’antithèse. Mais à Nîmes, comme très certainement ailleurs, elles en rejouent les codes. Entre héritages archaïques et modernité sous contrôle, l’underground se retrouve façonné par les mêmes dynamiques que celles qu’il prétend fuir. Quand la subversion devient un décor, qui tient vraiment les rênes ?

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Quand la culture dominante imprègne même ses marges

1. Une emprise invisible

Une culture dominante ne se maintient pas seulement par la loi, la tradition ou l’économie. Elle s’infiltre partout, modèle les perceptions et les réflexes. Ce qu’elle impose ne se perçoit même plus comme une contrainte, mais comme une évidence. Elle façonne les désirs, les peurs, les habitudes, au point que même ceux qui pensent s’en écarter en rejouent les codes, souvent sans en avoir conscience.

2. Nîmes : la corrida et ses souterrains

À Nîmes, la corrida et la tauromachie sont des spectacles de domination ritualisée, un théâtre de la mise à mort, célébrés et légitimés par l’histoire locale. Mais la fascination pour la violence ne s’arrête pas aux arènes. Elle s’infiltre dans les recoins moins visibles de la ville, là où la nuit et l’underground prolongent, sous d’autres formes, la même obsession : celle des archaïsmes qui persistent, comme une manière de faire fonctionner un pouvoir sans être remis en question.

Dans ces cercles plus fermés, il ne s’agit plus de taureaux mais d’autres types de mises en scène, où l’excès et la brutalité trouvent leur place sous couvert de marginalité. Loin d’être des espaces de rupture, ces souterrains culturels sont souvent des extensions de la même logique. On y retrouve les mêmes dynamiques de domination, de hiérarchie et de contrôle, mais exprimées différemment.

Ils suivent aussi une tradition de gauche ici, qui ne cherchera jamais plus à se mouiller sinon qu'en faveur de leurs propres intérêts, bien loin de toute forme de résistance collective.

3. Les tiers-lieux : refuge pour l’égoïsme déguisé

Désormais, sous des airs d’indépendance et de subversion, ces lieux cherchent à se soustraire à l’autorité publique en collaborant sous l’égide des tiers-lieux. Ce sont des espaces où l’on préserve les illusions de liberté tout en renforçant des mécanismes d’auto-congratulation. Ces tiers-lieux, au discours progressiste, deviennent en fait les bastions d’un conservatisme camouflé, où les rapports de force s’habillent de l’apparence d’une collectivité, mais n’en restent pas moins régis par des logiques de contrôle.

Les tiers-lieux étaient à l’origine des espaces créés pour favoriser la rencontre, la création, et la collaboration hors des cadres institutionnels traditionnels. Ces lieux étaient censés incarner des alternatives, offrir des espaces d’expérimentation libre, loin des contraintes des structures classiques. Cependant, ce modèle a été largement récupéré et transformé en un outil de gestion des territoires par les pouvoirs publics. Loin de représenter une véritable rupture, les tiers-lieux sont devenus une extension de la politique de la ville, une manière de canaliser et d’encadrer les énergies alternatives tout en maintenant un contrôle sous couvert de "liberté" ou de "création".

Ce phénomène n'a plus grand-chose à voir avec l’idée de marge ou de résistance. Les tiers-lieux ont souvent été intégrés dans des stratégies urbaines qui visent à réhabiliter ou à réguler des zones considérées comme "difficiles" ou "périphériques". Loin d’être des espaces où la subversion pourrait éclore, ils sont désormais des instruments de régulation sociale et économique, qui dépolitisent les territoires qu'ils investissent, tout en maintenant une logique d’inégalité.

Les pouvoirs publics, tout en se désengageant de certains territoires, utilisent ces espaces pour contrôler les marges sans avoir à les assumer complètement. Ces lieux sont devenus des instruments de gestion par l’influence, le copinage et un clientélisme sournois, où les dynamiques locales sont guidées par des rapports de pouvoir cachés sous des discours d’autonomie. En se distanciant du pouvoir public, ces espaces ne créent pas de véritables alternatives, mais des zones où l’influence et les relations personnelles dictent l’ordre social. Les intérêts privés et collectifs s’entrelacent, et la question du pouvoir devient une affaire de réseaux et de compromis, au détriment de toute véritable émancipation.

4. Chauvinisme et entre-soi : les marges qui marginalisent

Dire que la marge marginalise peut sembler paradoxal. Après tout, elle est censée être l’espace du refus, de l’alternative. Pourtant, il arrive qu’elle devienne un cercle fermé, où s’exercent les mêmes logiques d’exclusion et de pouvoir que dans le monde dominant. Il existe sûrement des exceptions à cette mécanique, mais à Nîmes, c’est ainsi que cela fonctionne. Comme la corrida, où l’arène devient un territoire d’exception où l’on sacralise la mise à mort, certains lieux censés incarner la rupture rejouent, sous d’autres formes, les hiérarchies et les rapports de force qu’ils prétendent combattre.

Même dans l’underground, les logiques bourgeoises imprègnent les codes : à la "marginalité", on préfère la reconnaissance de niches cultivées et entretenues, là où les règles de la DA (direction artistique) prévalent. Ces "avant-gardes" de la subversion ne font que produire une forme de domination plus subversive , où l’art et la culture se plient à des attentes esthétiques et économiques déjà bien ancrées. C’est une marginalité qui, paradoxalement, se nourrit de la même bourgeoisie qu’elle prétend détester.

5. Les marges comme territoire du paternalisme et des violences archaïques

Les marges ne sont pas nécessairement des alternatives. Elles peuvent être des espaces où les vieux réflexes de la culture dominante persistent sous d’autres formes, où les structures paternalistes continuent d’imposer leurs règles, parfois avec encore plus de force qu’ailleurs.

À Nîmes, ce n’est pas la corrida qui trouve un prolongement clandestin, mais bien les logiques qu’elle incarne : la hiérarchie acceptée comme une évidence, l’attachement à des rites de passage brutaux, la perpétuation de rapports de domination justifiés par la tradition ou par une vision archaïque du pouvoir. Dans certains cercles, ces codes subsistent et se réaffirment, parfois sous prétexte de résistance, parfois sous couvert de marginalité.

Loin d’être un espace de rupture, cet underground devient un lieu où les structures héritées du passé s’adaptent et se perpétuent, où la violence symbolique et réelle reste un langage légitime, où le paternalisme n’a même plus besoin de se justifier – il va de soi.

Marie K., - Celle qui regarde derrière le rideau de ceux qui regardent derrière le rideau. -

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