Fin des années 90, début 2000.
C’est là que tout se joue. C’est l’époque où le rap en France n’a pas encore totalement plié sous le poids du mainstream, où il balance encore des vérités que personne ne veut entendre. Dans les cités, les mots fusent comme des uppercuts, tout est contestation, tout est urgence. La précarité, le racisme, l’abandon des quartiers populaires, la violence économique. Chaque rime est un déni de soumission, une affirmation de soi dans un monde qui t'écrase.
Mais cette rage-là, elle a une histoire. Parce que bien avant qu’on bétonne les périphéries, la misère existait déjà ailleurs. Dans les villages paumés qu’on a laissés crever à petit feu, là où l’abandon ne fait même pas l’objet d’un débat, où la pauvreté ne produit pas de manifeste, juste du silence. Ces villages pauvres, ils étaient là bien avant qu’on bâtisse des blocs d’immeubles pour parquer les « indésirables ». Des bidonvilles en périphérie aux villages oubliés, c’est la même exclusion qui se réinvente, qui se transmet.
Le rap, lui, arrive en France comme une bombe. Une réponse nécessaire au mépris, à l’injustice. Les labels indépendants, c’est la survie artistique, c’est l’acharnement contre les logiques de lissage imposées par les majors. Skyrock, au début, offre une tribune, permet l’émergence de nouvelles voix. Mais très vite, l’underground étouffe sous le poids du marché. Tout ce qui dépasse, tout ce qui dérange, on l’édulcore, on le rentabilise. Skyrock fait de la contestation un produit de consommation. Un rap marketé, aseptisé, prêt à être gobé par des oreilles trop sensibles pour entendre la douleur qui le sous-tend.
Pendant ce temps, la bourgeoisie blanche middle class commence à se faufiler dans cette culture qui ne lui appartient pas. Elle s’approprie les codes sans jamais en comprendre l’essence. Elle adore l’esthétique, mais rejette l’éthique. Elle écoute le flow, mais n’entend rien du message. Et pire encore, elle se l’approprie comme si ça avait toujours été le sien. Comme si elle avait toujours eu le droit de poser ses mains sur quelque chose qui n’était pas fait pour elle.
Pourtant, même dans cette récupération, il y a des ponts qui se créent. Des producteurs blancs qui voient au-delà du simple produit marketing, qui cherchent la connexion avec les États-Unis, là où tout a commencé. Parce qu’au fond, ce qui est vrai finit toujours par percer, malgré toutes les tentatives de récupération.
Et aujourd’hui ? Le rap est toujours là, mais il est défiguré, ses contours floutés par ceux qui préfèrent le folklore à la réalité. Mais la rage, elle, n’est jamais partie. Elle traverse le temps, résonne des cités aux campagnes, de ces villages oubliés qui n’ont jamais eu l’occasion de gueuler leur douleur.
Parce qu’il faut le rappeler : l’injustice n’a jamais eu de frontières. Elle est là, partout, où qu’on aille. Tant qu’il y aura des inégalités, il y aura des voix pour les dénoncer. Que ce soit par le rap ou par d’autres moyens, le feu ne s’éteindra jamais.
Marie K., contre l’aseptisation des luttes