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Billet de blog 10 mars 2025

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Rivalité féminine : L’arme préférée du système, du public au privé.

- PIQÛRE DE RAPPEL - On parle souvent de rivalité féminine comme d’une fatalité, un travers naturel qui empêcherait les femmes de s’unir. Il est temps de rappeler ce qui devrait être évident : cette rivalité n’a rien de naturel. Elle est le produit d’un système qui fabrique la rareté pour mieux diviser.

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Rivalité : une construction sociale de l’affrontement

Le terme « rivalité » vient du latin rivalitas, lui-même dérivé de rivus (« ruisseau »). À l’origine, il désignait la dispute entre deux personnes cherchant à tirer profit d’une même ressource limitée. C’est un conflit qui naît de la rareté, d’un partage impossible ou présenté comme tel. Aujourd’hui, on parle de rivalité comme d’une concurrence, d’un antagonisme visant à supplanter l’autre pour accéder à ce qui est désiré.

Quand on applique ce terme aux femmes, on se heurte à une représentation qui n’est pas neutre. La « rivalité féminine » est souvent réduite à une jalousie supposément naturelle, à des querelles mesquines ou à des luttes d’égo, sans jamais interroger ce qui en fait le terreau. Ce concept est surtout brandi comme une preuve de l’incapacité des femmes à s’unir, et donc à constituer une force collective capable de renverser les structures de pouvoir qui les oppriment.

Pourtant, la rivalité n’est jamais qu’un symptôme d’une société qui fabrique la rareté. Que ce soit dans les sphères privées, professionnelles ou politiques, le système a construit un monde où les femmes doivent s’affronter pour accéder à des positions déjà limitées.

De la sphère privée à la sphère publique : un mécanisme systémique

Dans la sphère privée, cette rivalité est encouragée par l’idée qu’une femme doit être « la meilleure » dans des domaines aussi multiples qu’artificiels : la plus désirable, la plus accomplie, la plus dévouée. Ce conditionnement commence dès l’enfance par des modèles stéréotypés et se renforce à l’âge adulte par une concurrence imposée sur des critères superficiels ou déshumanisants.

Dans le monde professionnel, cette rivalité prend la forme d’une compétition pour des postes de pouvoir toujours minoritaires pour les femmes. Là encore, le système crée l’illusion que certaines pourront réussir à condition de s’affronter entre elles. Ce modèle capitaliste et patriarcal fabrique la pénurie, puis accuse les femmes de se déchirer pour ce qu’on leur a intentionnellement refusé.

En politique, le phénomène est encore plus flagrant. Les femmes sont non seulement sous-représentées, mais quand elles accèdent aux responsabilités, elles sont souvent confrontées à une pression constante pour prouver qu’elles sont plus compétentes que leurs homologues masculins. La rivalité est présentée comme une épreuve nécessaire pour « mériter » leur place, et celles qui échouent sont écartées sans pitié.

Pourquoi parle-t-on si peu de rivalité entre hommes ?

Il est frappant de constater que la « rivalité masculine » est rarement nommée comme telle. On préfère parler de « compétition », de « concurrence », voire de « lutte de pouvoir ». Des termes qui, par leur usage, ont presque une connotation positive : celle d’un jeu où l’excellence et le mérite sont supposés triompher.

Pourquoi ? Parce que le système patriarcal repose sur une logique d’accès privilégié pour les hommes. Contrairement aux femmes, ils ne sont pas placés en situation de pénurie ou d’exclusion systématique. Ce qui signifie que leur rivalité est socialement valorisée, considérée comme naturelle et légitime.

Les hommes peuvent entrer en compétition sans que cela remette en cause leur légitimité ou leur appartenance à un groupe dominant. Au contraire, leur affrontement est souvent perçu comme un rite de passage, une preuve de force ou de compétence. La société leur accorde une valeur supérieure, au point que leurs rivalités sont présentées comme des conflits productifs plutôt que destructeurs.

En revanche, la rivalité féminine est présentée comme un obstacle à l’unité, comme une faute collective qui justifierait la domination masculine. Et pour cause : tant qu’on considère que les femmes sont incapables de s’unir, on peut les maintenir à distance des lieux de pouvoir sans que cela ne semble injuste.

Une arme de domination : entretenir la rivalité pour préserver le pouvoir

L’instrumentalisation de la rivalité féminine sert essentiellement à maintenir les structures de domination en place. En suggérant que les femmes seraient incapables de dépasser ces conflits internes, le système les enferme dans un schéma où elles s’auto-détruisent plutôt que de s’attaquer aux véritables mécanismes de pouvoir.

Plus encore, il profite directement aux hommes et à leur système de domination. En présentant la rivalité féminine comme une donnée naturelle, on les dédouane de leur responsabilité dans l’organisation sociale qui produit cette concurrence. On détourne l’attention de la violence systémique pour faire croire que cette violence est générée par les femmes elles-mêmes.

Dans les sphères militantes et associatives, ce phénomène est particulièrement pervers. Ces espaces qui devraient être des lieux d’émancipation et de solidarité deviennent eux aussi des terrains de lutte pour des positions précaires, où l’illusion du pouvoir se dispute à la réalité de la domination masculine. Les rivalités internes sont souvent le produit d’une compétition imposée par un système qui ne laisse d’autres choix que de se battre pour des miettes.

Reprendre le pouvoir sur nos luttes

Tant qu’on continuera de parler de « rivalité féminine » sans interroger ce qui en constitue la base, on participera à perpétuer une violence qui n’a d’autre but que de nous diviser. La seule façon de déconstruire ce concept est d’en exposer la fabrication : un outil de contrôle qui place les femmes en concurrence pour des ressources artificiellement limitées.

En réalité, la véritable émancipation viendrait d’un refus collectif de ce jeu truqué, d’une redéfinition de ce qui est considéré comme précieux, et d’une solidarité qui refuse de se plier aux règles du pouvoir patriarcal. Car si la rivalité a été créée par la rareté, c’est en renversant la table que l’on pourra enfin dépasser ce qui n’est qu’un leurre destiné à nous faire perdre.

Marie K. 

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