Démolir pour reconstruire… mais pour qui ?
Quand il est question de "logement étudiant" dans les projets de rénovation urbaine, il ne s’agit que rarement de répondre à une urgence réelle ou à une demande locale pressante. Derrière les mots-clés rassurants — mixité sociale, transition écologique, jeunesse — se cachent souvent des stratégies bien établies pour obtenir des financements publics, tout en menant des transformations urbaines dont les bénéficiaires réels sont ailleurs.
À Nîmes, le 06 avril 2025, à 11h05, deux grandes tours du CROUS, la cité universitaire Matisse, ont été démolies. 1 045 logements étudiants ont disparu, soit près de 60 % de l’offre de la ville à l’époque. De nouvelles résidences ont bien été ouvertes — Saint-Césaire (380 logements), Hoche (160), et quelques autres. Mais le total ne permet pas de retrouver la capacité d’accueil d’avant, et une question reste entière : pour quels publics sont réellement conçus ces nouveaux logements ?
Rien ne permet d’affirmer que ces reconstructions s’adressent prioritairement aux étudiant·e·s les plus précaires. Bien au contraire, tout laisse penser que les logements produits correspondent à un autre modèle économique, potentiellement plus sélectif. Les écarts de loyers, les critères d’accès, la localisation des résidences alimentent une impression diffuse : celle d’un glissement vers un logement plus cher, plus rentable, moins accessible.
Et puis il y a ce qui se passe entre la démolition et la reconstruction. Les temps morts.
Les années d’attente.
Les friches laissées vides.
Les terrains vagues.
Les promesses suspendues.
Le vide, littéral et symbolique.
Ce qu’on présente comme de la "rénovation", c’est souvent un effacement. Un déplacement silencieux. Un changement de public visé. Et dans ce processus, le logement étudiant devient un alibi, une étiquette pratique pour justifier des opérations urbaines plus larges.
À cela s’ajoute un autre prétexte récurrent : la lutte contre le trafic de drogue.
Certaines barres d’immeubles sont démolies non pas pour leur vétusté ou leur densité, mais parce qu’elles sont désignées comme des “points chauds”, des lieux à “nettoyer”. Là encore, le traitement se veut radical. Mais détruire un immeuble ne détruit pas ce qui s’y organise. Le trafic se déplace, les réseaux se recomposent, et les habitant·e·s subissent, une fois de plus.
Sous couvert de sécurité, on stigmatise tout un quartier, et on l’efface sans jamais interroger les causes profondes : abandon des services publics, manque d’entretien, absence de présence sociale de proximité. Ce n’est pas une politique de lutte contre la délinquance. C’est une stratégie de déplacement des problèmes, et parfois des populations.
Et parfois même, la solidarité locale elle-même est pervertie.
Certain·e·s habitant·e·s — les plus isolé·e·s, les plus convaincu·e·s, ou les plus épuisé·e·s — sont sollicité·e·s pour cautionner les démolitions, souvent sans mesure réelle des conséquences. On leur fait croire qu’ils·elles participent à l’amélioration de leur cadre de vie, alors qu’on les instrumentalise pour légitimer des décisions déjà prises en amont. On appelle ça concertation. Parfois, c’est juste de la co-destruction maquillée.
Alors, qui gagne dans cette transformation ?
Les promoteurs, qui construisent du neuf et le commercialisent à des tarifs plus élevés.
Les bailleurs, qui récupèrent du foncier sous couvert de "rééquilibrage urbain".
Les collectivités, qui valorisent leur territoire, attirent des investissements, et soignent leur image.
Les acteurs privés, qui spéculent sur la ville comme on mise sur un marché.
Et qui perd ?
Les habitant·e·s historiques.
Les étudiant·e·s les plus fragiles.
Les quartiers populaires, encore et toujours relégués, invisibilisés, remplacés.
Tout cela repose sur un paternalisme bien connu mais surtout bien ancré. Celui qui décide à la place des autres ( mais pas n'importe lesquels , cx qu'on stigmatiserait comme être incapable de faire leur propre choix, de prendre leur propre responsabilité ou autrement dit d'assumer leur place en tant qu'individualité propre dans la société ... ), au nom du bien commun. Celui qui rase, reconstruit, réorganise, sans jamais vraiment demander à celles et ceux qui vivent là ce dont ils ont besoin. Celui qui impose sa vision, avec les mots du progrès.
Pourtant, d’autres voies sont possibles. Il est tout à fait envisageable de mobiliser les compétences — architectes, urbanistes, paysagistes — pour travailler avec les habitant·e·s, dans une logique de continuité, d’écoute, d’attention au “déjà-là”. La ville pourrait se transformer autrement : en valorisant l’existant, en réparant plutôt qu’en effaçant, en construisant à partir des usages réels et des besoins concrets.
Ce que certains appellent création, d’autres le vivent comme perte.
Ce que certains nomment “rénovation”, beaucoup le perçoivent comme une disparition.
Et ce qu’on vend comme transition urbaine ressemble bien souvent à une opération de tri social.
Il devient urgent de questionner les récits dominants. Car transformer un quartier ne devrait jamais être synonyme d’en effacer la mémoire, ni d’en exclure ses habitant·e·s.
Marie K. - Billet d'humeur. Les mots pour résister et parce qu'entre les lignes il reste des vies .
NB : Quand une partie majoritaire de la gauche locale accepte ( PS & PC essentiellement ) – même sans l’assumer – que des associations de quartier soient mobilisées pour “accompagner” la démolition des tours du CROUS, elle offre un soutien indirect à un projet qui nuit aux plus précaires. En choisissant de ne pas remettre en cause publiquement ce processus, elle renonce à défendre le logement étudiant accessible, et donc une partie de sa base sociale : les étudiants modestes, les jeunes en galère. Ce positionnement flou renvoie une image désastreuse : celle d’une gauche qui ne s’oppose plus, qui s’aligne, qui accompagne. Une gauche qui parle d’émancipation tout en validant, même passivement, des logiques d’éviction. Aux yeux de beaucoup, elle ne défend plus les habitants mais l’ordre établi — celui qui fait disparaître les plus fragiles au nom du progrès.