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Billet de blog 26 juillet 2025

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Briser les murs invisibles : entre clans et fractures des corps

La grossophobie est une oppression systémique. Pourtant, dans certains milieux militants, des exclusions basées sur la taille des corps persistent, affaiblissant la lutte. Il est temps de dépasser ces divisions pour un combat réellement inclusif.

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Militantisme anti-grossophobe et hiérarchies corporelles : la police des corps s’immisce

La grossophobie n’est pas un simple préjugé individuel ou une question de confort personnel. Elle est une oppression systémique, dont les racines plongent dans l’histoire coloniale et esclavagiste. Dès les champs de coton, les corps volumineux étaient considérés par les suprématistes blancs comme improductifs, inutiles, voire encombrants. Cette hiérarchisation des corps a jeté les bases d’un système d’exclusion et de rejet qui persiste aujourd’hui sous la forme de grossophobie.

Aujourd’hui encore, cette oppression s’incarne dans un système matériel inadapté : transports, mobilier urbain, équipements publics sont rarement conçus pour accueillir tous les corps, notamment les plus gros. Mais réduire la lutte contre la grossophobie à ces seules questions de confort relève d’une posture bourgeoise, sectorielle et limitée. La grossophobie est aussi liée à la précarité, au racisme, au sexisme, au validisme et au capitalisme, et elle ne peut être combattue sans prendre en compte toutes ces dimensions.

Le militantisme anti-grossophobe se veut à l'intersectionnalité de différentes luttes, mais il ne l’est pas toujours pleinement dans ses pratiques. Des groupes militants se révèlent parfois aussi intransigeants qu’exclusifs, imposant des critères rigides sur qui peut faire partie du combat. On y trouve une forme de « police des corps » qui rejette celles qui ne correspondent pas à un idéal corporel jugé « assez gros ». Ce tri rappelle la trame du film Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi, où l’on cherche à organiser une marche en excluant les « trop peu noirs », un exercice d’exclusion identitaire qui ne fait qu’affaiblir la lutte.

Cette division interne pose problème, car la grossophobie ne s’arrête pas à un seuil précis de poids. Elle touche toutes les morphologies, et les personnes dites « pas assez grosses » subissent également le sexisme et la stigmatisation. Pourtant, elles peuvent se voir reprocher d’être « pas légitimes » dans ces luttes, ce qui ajoute une couche de violence intra-communautaire. Cette dynamique fragilise l’élan collectif nécessaire pour transformer les rapports sociaux et mettre fin à ces oppressions.

La grossophobie est intrinsèquement liée au sexisme. Les corps féminins gros défient les normes patriarcales de beauté, ce qui entraîne un double rejet : de la société et parfois des propres groupes militants censés les défendre. Ce paradoxe révèle l’urgence de repenser les limites et les contradictions au sein du militantisme anti-grossophobie, en dépassant les logiques de jugement et de hiérarchisation des corps.

Par ailleurs, l’exclusion des dimensions économiques et sociales de la grossophobie est un angle mort dans certaines luttes. La précarité, même si elle n’est pas toujours vécue dès l’enfance, s’entrelace souvent avec la stigmatisation corporelle projetée à l’âge adulte, notamment dans des métiers invisibilisés et subalternes. Cette intersection doit être intégrée dans les combats contre la grossophobie pour en comprendre toute la complexité.

Dans ce contexte, la lutte anti-grossophobie doit s’inscrire dans une démarche intersectionnelle, anti-patriarcale, antiraciste et anti-capitaliste. Elle doit rassembler, et non diviser, en refusant les critères corporels restrictifs. Ce n’est qu’en dépassant la police des corps dans nos rangs que ce militantisme pourra réellement se renforcer et se faire entendre.

Parce que la vraie cible, ce sont les systèmes qui fabriquent et nourrissent les oppressions, pas les corps eux-mêmes.

Marie K., contre la hiérarchisation des corps et les oppressions

PS: Et il faut le redire : l’invisibilisation des corps gros va de pair avec leur infantilisation. On croit pouvoir décider pour eux, parler à leur place, les corriger, les encadrer. Comme s’ils n’étaient jamais tout à fait autonomes. (" On ne née pas grosse on le devient.", qui contrôle les corps contrôle les esprits.). Ce n’est pas une domination projetée ou fantasmée: c’est une prise de pouvoir directe, brutale, souvent masquée sous des discours protecteurs. Une manière d’autoriser la dépossession, encore et encore, même entre soi, même contre soi.

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