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Billet de blog 28 avril 2025

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L'islamophobie : Un fléau historique à combattre aujourd'hui

L’islamophobie est une haine profonde, ancrée dans l’histoire et les mentalités. Alimentée par des mythes et des peurs irrationnelles, elle continue de se manifester dans la société moderne. Cet article explore ses racines et les moyens de la combattre.

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Introduction : Quand l’islamophobie tue

Le 26 avril 2025, Aboubakar Cissé, 23 ans, a été poignardé à mort au sein même d’une mosquée, à La Grand-Combe. Son agresseur aurait crié "ton Allah de merde" en s’acharnant sur lui. Ce meurtre n’est pas un fait divers : il est l’illustration tragique d’un climat islamophobe alimenté depuis des siècles, par des discours politiques, des pratiques médiatiques et des lois discriminatoires.

Les racines de cette haine remontent bien plus loin que les événements contemporains. En 732, lors de la bataille de Poitiers, Charles Martel, considéré comme un héro national en France, remporta une victoire décisive contre les armées musulmanes. L’histoire a longtemps glorifié cet acte comme étant celui de la défense de la chrétienté contre une invasion musulmane. Mais, au-delà du mythe historique, il est important de comprendre que cette bataille n’était pas simplement un affrontement religieux. Charles Martel, en tant que chef militaire, se battait avant tout pour des raisons de pouvoir et de territoire. La conquête musulmane en Europe représentait une menace non pas tant pour la religion chrétienne que pour l'ordre établi et les structures politiques qu’il voulait préserver.

Cette vision de l’Islam comme une « invasion » ou un « ennemi » est non seulement un anachronisme, mais elle est aussi totalement déconnectée des réalités contemporaines. En 1905, la loi française sur la séparation de l'Église et de l'État a mis un terme à toute prétention de domination religieuse. Depuis cette époque, l'État français ne reconnaît plus aucune religion comme dominante, et la laïcité s’applique à toutes les religions, y compris l'Islam. Pourtant, des siècles après la bataille de Poitiers, l'idée selon laquelle l'Islam serait l’ennemi à combattre persiste dans certains discours, malgré l’évolution historique et juridique qui s’est opérée avec la laïcité.

Ce fantasme d’un Islam menaçant est d’autant plus absurde et incensé aujourd'hui, qu'il fait partie intégrante du paysage religieux, culturel et architectural européen et transnational. L’Islam, tout comme les autres religions, s’inscrit dans un cadre d’expression individuelle et collective, contribuant à l’enrichissement et à la pluralité culturelle des sociétés dans lesquelles il aura su légitimement se développer et prendre ses marques. Si chaque religion monothéiste ou pas, a son histoire, l'Islam aussi et la renier sous n'importe quel prétexte n'est pas gageure d'intégrité sur le plan humain. Et qu'on croit en Dieu ou pas, on se doit d'être capable de comprendre ce que l'on voit, dans la structure par les racines de l'Histoire.  

En continuant de voir l’Islam comme une « menace » ou un « ennemi », on ignore non seulement les réalités sociales et politiques contemporaines, mais aussi les fondements mêmes de la République française, qui protège la liberté de conscience et le pluralisme religieux. Il est devenu évident que cette vision réductrice de l’Islam, héritée de siècles de stéréotypes et de peur, ne devrait plus correspondre à la réalité de notre époque quand l'espèce humaine est censée évoluer. 

L’islamophobie n’est donc pas une simple opinion, ni une tension sociale passagère : c’est une discrimination systémique, enracinée dans les institutions et les mentalités. Et elle fait des morts. Cet article s’attache à montrer pourquoi et comment cette haine se diffuse, se banalise — et comment elle peut être combattue.


La diffusion et la banalisation de l’islamophobie

L’islamophobie ne se limite pas à des actes isolés de violence ou de discrimination visibles dans la société. Elle s'inscrit dans un processus plus vaste de normalisation de la haine, un phénomène qui peut être aussi insidieux que dangereux. Cette banalisation commence dans le langage quotidien, où certains discours politiques et médiatiques minimisent la gravité des préjugés, voire les justifient par des pseudo-arguments "de défense" ou de "protection" des valeurs. Chaque fois qu'un responsable politique ou un journaliste désigne l'Islam ou les musulmans comme une menace, cela renforce la perception collective que cette communauté doit être surveillée, contrôlée, voire exclue.

Un autre aspect clé dans cette banalisation réside dans les actions institutionnelles qui, souvent par omission, laissent passer des pratiques discriminatoires. Par exemple, dans certains quartiers ou institutions, la visibilité de la religion musulmane est réduite ou mal perçue, à travers des mesures comme l’interdiction du voile dans les écoles publiques ou l’impossibilité pour certaines femmes de travailler à cause de leur apparence vestimentaire. Ces gestes, loin d’être neutres, contribuent à l’isolement des musulmans, les réduisant à des stéréotypes et renforçant ainsi un climat de suspicion et de peur.

En ce sens, l’islamophobie devient presque invisible, un poison lent mais persistant, qui se nourrit des divisions déjà présentes dans la société. Ce n’est pas seulement une question de rejet individuel des musulmans, mais bien une question de système : des lois qui favorisent certains groupes tout en marginalisant d’autres, des politiques de "républicanisme" qui sont souvent perçues comme des attaques contre l’expression de certaines cultures ou croyances. Le fait qu’un meurtre comme celui d’Aboubakar Cissé puisse avoir lieu dans une mosquée montre à quel point cette haine peut se manifester dans des lieux normalement protégés, comme des lieux de culte.

Mais il y a un autre danger : l'acceptation progressive de l’islamophobie comme une opinion légitime. De plus en plus de personnes justifient des comportements discriminatoires sous prétexte de "critiquer l’Islam" ou de défendre "les valeurs républicaines". Ces justifications, qui reposent sur des idées fausses ou déformées, trouvent un écho croissant dans une société traversée par des fractures identitaires et sociales. Il est primordial de comprendre que l'islamophobie n'est pas une opinion comme une autre. Elle n'est pas une critique constructive, mais une forme de discrimination fondée sur la peur et l'ignorance.

Cependant, combattre cette haine est possible. D'abord, il est nécessaire de déconstruire les stéréotypes et préjugés, en favorisant des espaces de dialogue où les musulmans peuvent partager leurs expériences et leurs réalités. Ensuite, il faut une réponse politique ferme et cohérente, qui ne se contente pas de condamner l’islamophobie mais qui l'attaque de manière structurelle. Les politiques publiques doivent être adaptées pour garantir une égalité réelle et non seulement formelle entre tous les citoyens, qu'ils soient musulmans ou non.

Cela implique aussi un travail de sensibilisation, notamment au sein des médias, pour éviter les généralisations hâtives qui lient systématiquement l’Islam à la violence ou à l’intolérance. En exposant les réalités complexes de cette religion, en valorisant ses contributions positives à la société, et en mettant en avant ses pratiquants comme des citoyens à part entière, on pourrait progressivement défaire les mécanismes de l’islamophobie.

Enfin, il est essentiel de créer un environnement où l'Islam, comme toutes les religions, puisse être vécu librement, sans crainte de représailles ni de jugement. La laïcité, qui garantit cette liberté, doit être un bouclier, non un instrument de discrimination. Il est grand temps de dépasser les mythes et les peurs historiques pour permettre à toutes les cultures et religions de coexister harmonieusement dans notre société.

Conclusion : L’islamophobie, un combat à mener ensemble

L'islamophobie, loin d'être un simple phénomène marginal ou individuel, est une forme de haine profondément enracinée dans notre société. Si elle trouve ses racines dans des discours et des stéréotypes anciens, elle se nourrit également des peurs contemporaines et des fractures sociales. Cependant, il est possible d'inverser cette tendance, en élevant la voix contre ces discriminations, en travaillant à une meilleure compréhension mutuelle, et en réaffirmant les valeurs fondamentales de la République française : la liberté de conscience, l’égalité et la fraternité.

En définitive, ce n’est pas seulement aux musulmans de lutter contre l’islamophobie, mais à l’ensemble de la société de se mobiliser pour éradiquer cette haine. Car, au-delà des actes violents, l’islamophobie est un poison qui altère les fondements de notre cohésion sociale. Pour vivre ensemble, il est impératif d’adopter une approche inclusive et respectueuse des différentes cultures, religions et croyances.

Marie K. 

PS: Au sujet de la bataille de Poitiers . Que disent les historiens aujourd'hui et que s'est il vraiment passé ?

1. Une expédition de pillage, pas une conquête planifiée : Les troupes musulmanes menaient principalement des raids pour des gains matériels, une pratique courante à l'époque. Il ne s'agissait pas d'une tentative coordonnée de conquérir l'Europe occidentale.

Un contexte de luttes locales : La bataille s'inscrit dans un contexte de conflits internes, notamment entre le duc Eudes d'Aquitaine et les Omeyyades. Charles Martel est intervenu pour renforcer son autorité sur la région, profitant de l'occasion pour affirmer son pouvoir.

Un mythe amplifié au fil du temps : L'idée que Charles Martel a "sauvé l'Europe" a été popularisée au XIXe siècle, notamment par des historiens comme Edward Gibbon. Cette interprétation a servi à promouvoir une vision identitaire et religieuse de l’histoire européenne.

2. Une victoire tactique, pas stratégique : La bataille a stoppé une incursion musulmane ponctuelle, mais elle n’a pas mis fin à leur présence dans le sud de la France. Les Omeyyades sont restés à Narbonne jusqu’en 759.

Des incursions ont continué après 732 : Des raids musulmans ont eu lieu en Provence et en Bourgogne bien après Poitiers. Cela montre que la menace militaire n'était pas totalement écartée.

La bataille de Poitiers fut un événement militaire local important, mais pas un "choc des civilisations". Les musulmans n’avaient pas de stratégie d’invasion de l’Europe. Le récit d’un Charles Martel "sauveur de l’Occident chrétien" est un mythe forgé des siècles plus tard, souvent mobilisé à des fins politiques ou identitaires.

Pourquoi parle-t-on de "pillage" dans le cas des campagnes menées par les troupes musulmanes au nord des Pyrénées vers 732 ?

1. Le terme "pillage" dans le contexte médiéval

À cette époque, le pillage n’était pas considéré comme une déviance ou une barbarie, mais comme une méthode normale de guerre et de domination. Cela concernait autant les Francs que les Arabes, les Byzantins ou les Vikings. Il s’agissait de :

  • S'emparer de richesses (or, bétail, esclaves),
  • Imposer une supériorité politique ou militaire,
  • Punir ou dissuader un adversaire local (par exemple, un seigneur ou un duc qui ne paie pas un tribut),
  • Tester la résistance des territoires ennemis.

Donc on parle de « razzia » ou de « pillage » pour désigner ce type d’incursion militaire rapide, sans intention de s’installer durablement.


2. Le cas de l’armée d’Abd al-Rahman

Quand l’armée d’Abd al-Rahman traverse les Pyrénées en 732, elle vise :

  • Bordeaux, puis Poitiers, qu’elle traverse en pillant les abbayes riches (comme Saint-Hilaire de Poitiers),
  • Des villes et domaines riches : l’objectif est matériel, pas politique ou territorial.

Il n’y a pas de logistique de conquête, pas de renforts ni de structures pour occuper le territoire. Une fois battue à Poitiers, l’armée repart. Si c’était une vraie invasion, on aurait vu une occupation durable, des structures administratives, etc.


3. Le mot "pillage" n’est pas un jugement moral ici

Il ne s’agit pas de dire que les musulmans étaient "pires" que les autres. Les Francs, y compris Charles Martel, pillaient aussi abondamment, y compris les églises. L’important est de comprendre que c’était une pratique généralisée de guerre dans un monde sans État central fort.

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