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Billet de blog 23 août 2017

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La dictature des Colonels en Grèce (1967-1974)

Le vendredi 21 avril 1967 à l'aube, Athènes est réveillée par des bruits métalliques : des chars sillonnent les rues et entourent le Parlement. À la radio, le speaker énumère une liste d'interdictions. Le pays subit un coup d'état militaire. La dictature des Colonels va durer sept ans.

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Avec la Guerre Civile (1946-49) officiellement close en 61, les Grecs croyaient pourtant sortir de la terreur. Les derniers prisonniers politiques ont tout juste regagné leur foyer en 64, lors du Printemps d'Athènes[1]. Mais la liberté retrouvée se heurte aux ambitions des monarques grecs, liés à l'organisation chrétienne orthodoxe d'extrême droite, la ZOÏ et s'appuyant sur un obscur mécanisme d'état parallèle. La constitution laisse au roi des pouvoirs exorbitants : il peut bloquer toute loi ou légiférer par décret et il en abuse. Ainsi, les souverains s'opposent au Premier Ministre Caramanlis, puis à Georges Papandréou (père d'Andréas) qui a pourtant recueilli près de 70% des suffrages librement exprimés lors des élections de 64. Le Palais nomme plusieurs gouvernements de son choix mais sans majorité à la Vouli, provoquant des manifestations violemment réprimées, au prix de plusieurs morts, dont Lambrakis et Petroulas. Les enterrements se transforment en énormes protestations.

Devançant les élections de mai 67, censées ramener l'équilibre politique, les officiers putschistes menés par Papadopoulos sont issus d'une organisation secrète fanatiquement anti-communiste, l'IDEA, liée à l'armée américaine. En effet, depuis 47, la tutelle des États-Unis s'exerce sur l'état grec aux niveaux économique et militaire, par l'intermédiaire du Plan Marshall. Après avoir été formé aux États-Unis, Papadopoulos a assuré la liaison de la CIA avec la KYP, les services secrets grecs. Mais l'élection de Papandréou inquiète le Palais et les services secrets soupçonnent son fils Andréas de sympathie avec les communistes, toujours hors-la-loi. Aucune opposition institutionnelle ni diplomatique ne vient contrer le coup d'état ; les colonels appliquent un mécanisme bien rôdé dès les premières heures. Le confesseur du roi et responsable de la ZOÏ est nommé archevêque d'Athènes à la tête de l'église, après destitution arbitraire de son prédécesseur et de nombreux cadres ecclésiastiques. Le roi Constantin et le palais s'inclinent, avant de tenter un contre coup d'état de circonstance fin 67, qui contraint la famille royale à fuir en Italie.

Depuis trois décennies les Grecs restaient astreints à un "certificat de civisme" attribué arbitrairement par la police. Syndicalistes, anciens résistants, hommes politiques qui ne collaborent pas sont arrêtés puis exilés dans les îles ; tous les intellectuels soupçonnés de sédition sont emprisonnés ; tortures et sévices sexuels reprennent dans les geôles. L'ordre imposé par la dictature est un mélange de mesures tragicomiques - interdiction des minijupes et des cheveux longs - et d'ordre moral chrétien, asséné par le slogan "Grèce des Grecs chrétiens". Le glorieux passé antique est exalté dans les stades par des fêtes inspirées par les péplums. L'éducation de la jeunesse est prise en main, ultra nationaliste, ultra réactionnaire, en langue "pure" archaïsante, la katharevousa.

La situation économique portée par les trente glorieuses est favorable aux débuts du régime, soutenu par l'élite économique du pays qui trouve son compte dans la répression des droits syndicaux et sociaux. Cependant le mécontentement populaire monte. Pour contourner l'impasse constitutionnelle de l'absence du roi, le dictateur Papadopoulos organise en juillet 1973 un referendum pour se donner un air démocratique. Il devient président et régent, déclenchant l'ire d'une partie de l'armée qui considère qu'il a trahi "l'idéal révolutionnaire nationaliste du 21 avril". L'occupation en mars 73 de l'Université de droit, violemment réprimée, est suivie en novembre par celle de Polytechnique, relayée par la radio-pirate des étudiants soutenus par la population. La répression militaire fait plus de cent morts.

Une partie de l'armée se range derrière Ioannidis qui destitue Papadopoulos et instaure une deuxième dictature militaire. Persuadé de la protection américaine, Ioannidis provoque en juillet 1974 un coup d'état à Chypre pour renverser le président Makarios, accusé de sympathies communistes, et instaurer l'Union entre la Grèce et Chypre. Il provoque ainsi – à dessein ? – un débarquement militaire turc, l'autre puissance tutélaire de Chypre qui ne cachait pas ses appétits territoriaux aux dépens de la grande île souveraine. La partition et l'occupation de 40% de l'île laissent des milliers de morts et de disparus et plus de 300 000 réfugiés. Quelques jours après, le gouvernement des Colonels à Athènes livre le pouvoir aux politiques. Ils rappellent Constantin Caramanlis qui revient de son exil parisien dans l'avion de son ami Giscard d'Estaing. Il est chargé d'organiser le processus de réconciliation nationale et d'instaurer une démocratie parlementaire qui s'accomplira sept ans plus tard en 1981 avec l'élection du socialiste Andréas Papandréou.

Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Article paru dans la rubrique Idées de L'Humanité du 21/04/2017

Pour approfondir:

DELORME Olivier, La Grèce et les Balkans II, Folio-Histoire, Gallimard, 2013.

MANTHOULIS Robert, La dictature des Colonels grecs, YGrec Productions, documentaire, 55 minutes

https://youtu.be/KmcQQNmS7h8

En 1969, le poète, diplomate et Prix Nobel de Littérature Georges Séféris refuse le Prix National en dénonçant la dictature. Sa mort en 71 donne lieu à une immense manifestation populaire dans les rues d'Athènes. Son cercueil est suivi par la foule qui chante en chœur ses poèmes mis en musique par le grand Théodorakis, dont les œuvres sont interdites par la dictature. Les mobilisations internationales permettent la libération et l'expulsion de nombreux artistes et intellectuels, tandis que d'autres s'exilent à l'étranger, ainsi Patrikios, Tsarouchis. Depuis la guerre civile, la répression s'appuie sur un réseau de mouchards tandis qu'en province, la gendarmerie toute puissante surveille la "moralité" des familles. Exode rural ou émigration sont souvent la seule issue pour échapper à ces années de pierre.

Chypre est liée à la Grèce par l'histoire, la culture et la langue. À l'Indépendance, le retrait britannique laisse une constitution qui rend ingouvernables les deux communautés grecque et turque. Des affrontements ethniques violents éclatent dès 1963, sous les yeux des puissances tutélaires, Royaume-Uni, Grèce et Turquie. Porte-avion près du Moyen-Orient, l'île est déjà morcelée par des bases militaires anglaises. L'archevêque Makarios, premier chef de l'état élu, range Chypre parmi les Non-alignés. La Turquie menace alors l'île d'une invasion soutenue par le président américain Johnson, qui veut une base pour l'OTAN. Or en 64, "le Vieux" Papandréou a refusé de céder une île grecque à la Turquie en échange de l'union avec Chypre. "Si vous ne changez pas d'avis, c'est vous que nous allons changer" lui fait dire Johnson. C'est dans ce contexte qu'a lieu le coup d'état des colonels.

[1] Lire Printemps perdu, Stratis Tsirkas, Éd. du Seuil (1982).

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