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Billet de blog 19 juillet 2021

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Pour une gauche démocratique / En finir avec le mythe cubain

Il est temps pour les gauches de considérer le gouvernement cubain pour ce qu'il est: un gouvernement autoritaire et liberticide. Et pas (ou plus) même de gauche. Petit récit ironique sur la fin des illusions révolutionnaires.

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Ah elle était belle cette maison. 
Elle s’était affranchie. Quelle audace !
Une audace colorée, belle, libre. 
Elle était accueillante cette maison. Elle était généreuse. Ses habitant.es étaient toujours chaleureux. Ils vous y accueillaient pour 2, 3 jours, pour quelques semaines, ou vous proposaient de vous y installer. A l’année. Pour toute une vie ! Que de rencontres, que de palabres, que de beaux discours ! Que de luttes aussi, que de batailles et que de victoires à célébrer ! Le voisin avec ses bulldozers et ses espions n’avait rien pu face à ce déferlement de jeunesse, de force et de beauté. Les chants avaient vaincu les machines. On s’y serrait les coudes, on s’encourageait, on allait de l’avant. Il allait voir ce qu’il allait voir, lui, de l’autre côté de la rivière. On chantait, on dansait. On virevoltait. Ah, ça oui, on savait faire la fête dans cette maison. 

On y était heureux.

Et on ne s’inquiétait pas trop de tous ces oiseaux de malheur dont la voix avait été étouffée. Ni des agressifs, ni des discutailleurs. Qu’ils s’en aillent, s’ils voulaient gâcher la fête.

Ensemble on était tellement fort.es qu’on avait même réussi à en aider d’autres, bien loin, à affranchir leurs propres maisons, à les rendre aussi belles, fortes, indépendantes, libres, enfin. Les habitant.es de ces maisons-là lui étaient très reconnaissant.es. Après leurs luttes victorieuses, ils/elles revenaient souvent la voir. La petite maison. Celle qui avait été si vaillante. Celle qui avait donné l’espoir, qui avait fait rêver, qui avait montré la voie et donner à croire que tout était possible.

Petit à petit pourtant, la maison avait commencé à craquer. Elle s’était un peu affaissée. Elle sentait parfois le renfermé. Le grenier commençait à prendre l’eau. Et puis, elle n’arrivait plus à héberger tous ses enfants. Il n’y a pas toujours beaucoup de vivres. Le voisin rendait les livraisons très coûteuses. On commençait à se marcher un peu les un.es sur les autres. Alors certain.es avait préféré aller faire un tour, certain.es avaient eu une envie subite de cigarettes et n’étaient jamais revenu.es, d’autres étaient parti.es chercher un peu d’air pur ailleurs. D’autres encore avaient préféré jouer à la loterie organisée par le voisin ; un ticket gagnant donnait le droit d’aller voir sa maison à lui (comme on n’avait pas le droit d’y aller sinon, ça suscitait un peu la curiosité …) Et certain.es, qui n’étaient que de passage, avaient fini par rentrer chez eux. En emportant parfois un petit bout de la bicoque. D’autres enfin avaient été chassé.es paraît-il, mais bon…tout le monde était d’accord qu’ils / elles l’avaient bien cherché. 

Beaucoup de celles et ceux qui n’y avaient habité qu’à temps partiel revenaient, de temps à autre, pour admirer la maison devenue vieille. Qu’est-ce qu’elle tenait bien debout ! Qu’est-ce qu’elle avait bien vieilli ! Toujours aussi chaleureuse. Ils/elles prenaient bien soin de rester dans la pièce principale, celle qui avait été ripolinée, repeinte, avec de belles couleurs. On y trouvait des jus frais. C’est qu’il pouvait faire bien chaud dans cette maison ! Ils/elles ne s’aventuraient pas dans les coins, vers les marches branlantes de l’escalier affaissé, là où les toiles d’araignée avaient pris le pouvoir. Parfois, lors de leurs visites, ils/elles entendaient des bruits bizarres, ça ressemblait à des cris, parfois à des plaintes. Ô, ce devait encore être ces satanées chauve-souris dans le grenier. Elles étaient embêtantes celles-là ! Elles se réveillaient toujours quand on était accoudé au bar, à l’aise, à parler du bon vieux temps. Parfois même, elles de débrouillaient pour faire parler d’elles de l’autre côté de la rivière, et même plus loin encore. Mais on n’y prêtait guère attention. Aux moins vindicatives, on donnait quelques fruits, quelques insectes, et elles se calmaient. Les autres, on les chassait retrouver leurs cousins, les oiseaux de malheur, partis depuis longtemps. De toute façon, tout le monde savait qu’elles aussi avaient été dressées par le voisin aux bulldozers. Pour venir subvertir ce bel ordre révolutionnaire. Le salaud. 

Et puis un jour, la belle pièce principale, celle qui restait fraîche même par temps de canicule, avait été pris d’assaut. Les chauve-souris étaient entrées par la porte, par la fenêtre, et même par les interstices du plancher. Quel vacarme ! On ne s’entendait plus. Alors les habitant.es de la pièce principale avaient commencé à les frapper, à les cogner dans les coins, à les attraper aussi et à les mettre dans des petites boîtes. Les invité.es étaient un peu gêné.es. C’était la première fois depuis longtemps. C’est vrai qu’on les avait toujours un peu vues, ces chauve-souris, même au début, quand on faisait de si belles fêtes. Il y en avait déjà quelques-unes. Mais elles ne dérangeaient pas trop, on les cachait au grenier, pour ne pas les entendre. C’est vrai, quoi ! Elles étaient embêtantes à la fin, on aurait dit qu’elles faisaient exprès du bruit pour couvrir la musique. Et quelle musique ! 

Au début de toute façon, elles étaient vraiment agressives. Et téléguidées depuis ailleurs. Nourries à l’argent magique du voisin. L'affameur. L'espionneur. Il fallait bien s’en défendre ! Sauver la joie, la victoire, la chaleur de cette belle aventure. 

C’est vrai que désormais, elles cherchaient surtout à parler. Ah, ça cancanait dur. Et puis, elles étaient un peu différentes, de toutes les couleurs, et elles venaient de différents coins du grenier. En même temps, comment savoir si elles n’étaient pas dressées par le voisin elles-aussi ? C’était quand même le plus probable, c’était même le plus évident. Oui, c’était même sûr…se disaient les invité.es.

Alors quand les habitant.es de la pièce principale en cognaient quelques-unes, bah…il suffisait de regarder ailleurs, ou d’évoquer le grand voisin aux bulldozers. Ça mettait tout le monde d’accord. Et chacun.e pouvait continuer à vaquer à ses occupations, comme si de rien n’était.

Comme si de rien n’était ? 
Ou presque…

Merci à toutes les figures de la gauche démocratique qui ne se taisent plus, qui ne détournent plus les yeux, qui réclament, à l’instar des Cubain.es mobilisé.es, leurs droits, tous leurs droits.

Merci Alexandria Ocasio-Cortez !
Merci Pablo Stefanoni !
Merci Armando Chaguaceda !

Merci Haroldo Dilla !
Merci Elaine Diaz !
Merci Ted Henken

Merci Hilda Landrove!
Merci au Parti Socialiste chilien !

Vous, les voix de la gauche démocratique dans les Amériques qui n’hésitez plus à dire STOP. Ça suffit !
Regardons le gouvernement cubain pour ce qu’il est. Un gouvernement autocratique, qui réprime le droit de manifester, le droit de s’exprimer librement, le droit de s’organiser librement. 

Dire cela ne légitime pas l’embargo qui étouffe les Cubain.es depuis près de six décennies. Mais dire cela, c’est arrêter de fermer les yeux sur un gouvernement qui n’a rien de démocratique – on le sait depuis longtemps – mais qui n’a rien – ou plus rien – de gauche non plus.

[1] Voir ce tweet de Alexandria Ocasio-Cortez (députée étatsunienne) du 16 juillet 2021 https://twitter.com/aoc/status/1415826536813498369

[2] Voir les textes de P. Stefanoni (militant argentin) sur Nueva Sociedad, et sa série de tweets à partir du 12 juillet, https://twitter.com/PabloAStefanoni/status/1414582544423661582

[3] Armando Chaguaceda (historien et militant cubain) https://blogs.mediapart.fr/saintupery/blog/130721/la-fin-de-l-exception-cubaine (traduction de Marc Saint Upéry)

[4] Haroldo Dilla (sociologue et militant cubain) https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/271116/que-murio-en-cuba-con-la-muerte-de-fidel-castro (traduction en français sur Contretemps)

[5] Elaine Diaz (journaliste indépendante cubaine) https://www.cibercuba.com/noticias/2020-07-04-u1-e186450-s27061-periodista-independiente-cubana-elaine-diaz-advierte-al

[6] Ted Henken (universitaire étatsunien) https://slate.com/news-and-politics/2021/07/cuba-internet-protests-web.html

[7] Hilda Landrove (militante cubaine) https://oplas.org/sitio/2021/07/15/hilda-landrove-en-cuba-nos-quitamos-el-ropaje-del-silencio-ahora-que-va-a-hacer-la-izquierda-con-las-palabras/

[8] PS Chilien https://inoticias.cl/detalle/659296/ps-pidio-al-gobierno-cubano-escuchar-demandas-y-abrir-camino-de-dialogo

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