Nous lisons beaucoup de choses sur les élections présidentielles au Brésil ce dimanche 5 octobre, mais bien peu sur celle du 12, qui vont se dérouler en Bolivie (pas plus que celles du 26 en Uruguay !).
M'étant rendue en Bolivie en mai 2014, je tente ici une petite mise en perspective.
Le président sortant, le socialiste Evo Morales, est largement favori pour obtenir un troisième mandat à la tête du pays. Cette autorisation « exceptionnelle » d'un 3ème mandat donnée par la Cour suprême a été justifiée par l'argument suivant : la Constitution limitant les mandats présidentiels à deux, a été actée en 2009, après le premier mandat de Morales (2006 à 2009) – ce premier mandat ne compte donc pas – Lors du scrutin qui aura lieu le 12 octobre prochain, le Parlement sera également entièrement renouvelé.
Pays le plus pauvre d’Amérique du Sud mais pourvu de grandes richesses minières (étain, fer, cuivre, lithium…), la Bolivie, peuplée de 10 millions d’habitants, possède aussi la deuxième réserve de gaz d’Amérique du sud, après celle du Venezuela. La majorité de la population est d’origine indienne (ethnies nombreuses mais dominées par celles des Aymaras et Quetchuas), mais la vie politique et économique a longtemps été dominée par une petite élite sociale d’origine européenne et qui se trouve majoritairement dans l'Oriente.
Evo Morales, un Indien Aymara, est le premier président bolivien issu de la communauté indigène. Une récente biographie de Morales publiée en Bolivie, début 2014, exalte cette origine : à ce détail, on mesure l'importance pour le MAS de souligner (voire de mythifier) cette appartenance, alors qu'un conflit profond a opposé des Indiens d'Amazonie (qui ne sont pas Aymaras comme Morales) au gouvernement, en 2011 : projet d'autoroute suivant un axe de 300 km devant relier les départements de Beni et de Cochabamba, de San Ignacio de Moxos à Villa Tunari. Cette route (en grande partie financée par le Brésil) devait couper en deux la réserve Tipnis, terre ancestrale des ethnies Chiman, Mojeño et Yuracaré. Une longue marche indienne a été empêchée par la police, des affrontements très violents ont eu lieu, ce qui a amené le pouvoir à décréter une loi interdisant le passage d’une route à travers leur territoire.
On trouve, là, le ferment d'une part de l'opposition que Morales doit affronter ; à côté, demeure l’opposition « classique » de droite, pro-américaine, celle des régions autonomistes riches en hydrocarbure.
Géographiquement, historiquement, sociologiquement, La Bolivie est donc clairement coupée en deux :
- Les partisans de Morales : les communautés misérables des hauts-plateaux andins à l’ouest. Ce sont 3 régions peuplées de paysans aymaras et quechuas, paysans dont un certain nombre de petits producteurs de coca. Soulignons cependant la domination des Aymaras sur les Quetchua, les premiers étant beaucoup plus représentés dans le monde institutionnel politique (constatons l'oubli des communautés amazoniennes, communautés qui comptent peu en Bolivie comme au Brésil ...)
- Les partisans des gouverneurs défendant l’autonomie et le système économique libéral : la population métisse ou blanche qui vit dans les plaines de l’est et du sud où sont concentrées les terres fertiles et les hydrocarbures ; le discours y est très anti-indigène (fort racisme) et souligne avec fierté l'héritage espagnol : par exemple, dans les Andes, on vous parle de la « Colonie » en évoquant le passé colonial de la Bolivie ; et dans la région de Santa Cruz, l'hymne régional chante la grandeur du passé espagnol ! Ce sont en tout 6 régions. Le gaz est exploité par des compagnies pétrolières dont Repsol (Espagne), Total (France), Petrobras (Brésil) et British Gas (BG).
Depuis juillet 2014, la liste des candidats aux élections, est fixée :
Evo Morales (candidat du MAS - Mouvement vers le socialisme - ), président sortant
Le chef d'entreprise Samuel Doria Medina, de "Concertation Unité démocratique", qui se veut "une institution pour la démocratie", patron de cimenteries et des "hamburgers Burger King"; a fait une alliance avec la droitede "l'Oriente" bolivien
Le "Mouvement sans peur" de l'ex-maire de La Paz, Juan del Granado, allié de Evo Morales jusqu'en 2009
Le parti Démocrate chrétien avec Jorge "Tuto" Quiroga
Le "Parti Vert pour la Bolivie", allié avec une fraction indigéniste, présente Fernando Vargas
Morales affronte donc ces deux grands problèmes : une opposition toujours plus dure (mais très divisée) de la droite qui se situe surtout dans la région de Santa Cruz (on se souvient de la tentative de sécession), et une revendication de plus grande autonomie de la part des organisations indigènes des Indiens qui avaient largement soutenu Morales, lors de son premier mandat, mais qui sont beaucoup plus critiques aujourd'hui (à lier avec la candidature présentée par Le "Parti Vert pour la Bolivie").
Néanmoins, un vrai succès électoral est annoncé pour Evo Morales.
Le bilan s'avère positif dans l'ensemble, même si plus d'un de ses alliés déplorent l'institutionalisation de sa politique, l'éloignement du terrain, l'oubli de certains engagements. Je cite un extrait de l'interview du chercheur Laurent Lacroix à lire ici (article d'octobre 2014) :
http://www.jolpress.com/bolivie-evo-morales-gauche-troisieme-mandat-presidentielle-article-828178.html#overlay-context=bresil-le-candidat-des-verts-opte-clip-de-campagne-atypique-article-828208.html
« une partie de l’opposition concerne surtout le basculement de sa politique vers les grands projets économiques, vers une Bolivie industrialisée, moderne, qui balaie tous les principes éthiques et moraux annoncés au début du premier mandat d’Evo Morales. »
Les tensions sociales restent fortes dans le pays, y compris dans les zones andines, depuis le syndicat des mineurs (sorte d'état dans l'état) qui menace souvent de politiser ses revendications, en passant par les enseignants et personnels de santé qui rejoignent souvent la protestation.
Plusieurs fois en Bolivie, j'ai été associée à des discussions politiques (le pays est très politisé depuis longtemps : la tradition des « conseils » dans les communautés est très développée), et j'ai pu me faire une idée des difficultés :
parmi les réelles difficultés du pays :
l'éternelle corruption (toujours forte), ce qui souligne la faiblesse de l'organisation judiciaire // du clientélisme (ex : construction d'une école dans un lieu qui n'en a pas besoin ; résultat : l'école reste vide) // l'ambivalence gouvernemantale en ce qui concerne la lutte contre le narco-trafic // la forte centralisation de la politique (ce qui vient contredire dans la pratique bien des engagements vis à vis des Indiens) // équipement encore très faible en infra-structures (très peu de routes réellement carrossables, et parfois au seuil même dess grandes villes) // je terminerai pas la cruelle coupure d'avec la mer : le pays a perdu sa façade maritime lors de la guerre du Pacifique avec le Chili, en 1878 ; depuis l'arrivée au pouvoir de Morales, celui-ci a remis la question à l'ordre du jour.
Rapide tour d'horizon des progrès enrengistrés :
Le taux de croissance a été de 5% en 2012 et de 6,5% pour 2013. On annonce une baisse à 5 % pour 2014.
la dette externe du pays est relativement faible (5 Mds USD en 2012, soit moins de 20% du PIB
Au niveau des exportations, 2013 a vu pour la première fois de l’histoire du pays le secteur manufacturier passer en deuxième position, juste après les hydrocarbures et devant le secteur minier. D'ailleurs Morales a annoncé que la suite de la « révolution » sera celle de l'industrialisation.
Nous devinons là une des contradictions auxquelles Morales a à faire face : se placer en tête des pays qui poursuivent l'objectif d’obtenir un accord climatique contraignant en 2014, (lors du sommet des Chefs d’Etat en juin 2014 à Santa Cruz de la Sierra), et poursuivre la « modernisation » du pays. En octobre 2012, une loi-cadre sur la « Terre-Mère » (Pachamama), a fait du principe de
«l’harmonie avec la nature» et des droits «sacrés» de la «terre nourricière», l’un des axes de la diplomatie bolivienne.
Recul de la grande pauvreté (qui demeure forte cependant, mais soulignons tout de suite que la Bolivie a à remonter des siècles de politiques de pillage), soutien à la consommation des ménages pas une hausse du SMIG décrétée le 1er mai 2014 (celui-ci se monte à 150 euro environ). Pour se faire une idée : le salaire moyen dans ce pays, parmi les plus pauvres d'Amérique du Sud, frôle les 430 euros par mois.
Les dépenses sociales en hausse (garanties par la rente des hydrocarbures) visent à scolariser toujours plus les jeunes Boliviens (programmes Juacinto Pinto en faveur de la scolarisation des enfants), à developper des Centres de santé et à aider les anciens (la Renta Dignidad, pension minimale donnée pour les personnes âgées).
Evo Morales se retrouvera donc devant plusieurs défis : poursuivre sa politique sociale, ne pas trahir ses engagements « écologiques », ne pas oublier la démocratisation en cours et industrialiser la pays …
Il me resterait maintenant à vous faire partager l'émerveillement de mon voyage au sein d'une histoire terrible, d'une géographie fascinante et de populations courageuses.
Deux images boliviennes : un pays très divers.
L'Altiplano (sud Bolivie)

Une piste dans L'Oriente (Est Bolivie)
