Qu'est-ce que c'est que ce monde pétri, farci, bourré jusqu'à la gueule d'identité ?
Identité, amour de soi, estime du même, egocentrisme, plaisirs, objets, avidité, possession, moi, moi, moi.
Moi je pense que ... quant à moi voici ce que j'en dis.... moi je ..., je sais bien ce que j'en pense, moi ...et je sais bien qui je suis, c'est simple non ?
Tu es identique à toi même, merveilleuse identité dont tu peux parler, gémir, te plaindre, te féliciter et te glorifier.
Merveilleuse adéquation de moi avec moi-même, superbe époque où le "je est un autre" est une affaire passée, un truc de poète, temps où chacun court après l'émerveillement de soi, de ses idées à la petite semaine, du meilleur comportement - celui qui apportera facilement satisfaction et plaisir, grâce à une thérapie express, un coaching efficace et bien évaluable -
Merveilleuse époque qui cherche à oublier que rien ne nous fait, sinon le désir, et non l'envie ou le besoin.
Merveilleux temps qui exalte la pulsion d'avoir le dernier mot, la parole définitive et séduisante qui dira qui JE suis, qui Tu es, ce que JE pense et pourquoi Tu as tort.
Alors sur cette friche qui ne dit pas son nom, sur cette blessure que nul ne veut plus voir, il nous reste à verser une larme de Fado, cette poésie musicale qui nous dit, si l'on veut bien l'entendre, que toujours un bout du coeur nous manque, que le destin est toujours un exil, même retenu et discret, une brisure venue de ce qui échappe, un regard vers ailleurs, humide d'espoir et de tristesse.
Lorsque tu es sur la frange portugaise de l'Europe, tu n'es jamais prisonnier, soit tu restes, et tu le sais, soit tu pars : l'océan est ouvert.
Le Fado ne te coince pas dans la mélancolie, il ne te borde pas de chagrin, il ré-ouvre ce qu'il faut de ta blessure pour que l'air s'y engouffre, égrené en quelques notes. Il tremble et te dit que l'autre tremble aussi.