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Billet de blog 6 octobre 2011

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Retour d'Iran

Il y a peu, j'ai vu Ceci n'est pas un film, de Jafar Panahi, cinéaste iranien, primé au Festival de Cannes, qui a été condamné le 19 décembre 2010 sous l'accusation "d'atteinte à la sécurité nationale et propagande contre la République islamique" à six années de prison, peine assortie d'une interdiction d'exercer son métier pendant vingt ans et d'une interdiction de sortie du territoire.

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Il y a peu, j'ai vu Ceci n'est pas un film, de Jafar Panahi, cinéaste iranien, primé au Festival de Cannes, qui a été condamné le 19 décembre 2010 sous l'accusation "d'atteinte à la sécurité nationale et propagande contre la République islamique" à six années de prison, peine assortie d'une interdiction d'exercer son métier pendant vingt ans et d'une interdiction de sortie du territoire. Jafar Panahi a fait appel de cette décision et, dans l'attente du jugement, est toujours interdit de sortie du territoire iranien.

Ce non-film a été réalisé avec la complicité de son ami documentariste, Mojtaba Mirtahmasb, et celui-ci vient de se faire confisquer son passeport alors qu'il embarquait pour Paris afin d'assurer la promo du film.

Je veux simplement écrire ici ce que j'ai ressenti à la vision de Ceci n'est pas un film - sentiments, impressions, récurrents chez moi à chaque film iranien que je vois - Impressions incarnées, cet été, lors de mon séjour d'un mois en Iran, que je dirais ainsi - douceur, courage et culture -

Mais qu'on ne croie pas à une idéalisation. Je conterai ici quelques brefs moments vécus.

Douceur : des embouteillages de Téhéran à ceux d'Ispahan ou de Ahwaz, aux foules agglutinées des bazars, jamais une réaction brutale ni un énervement perçu, et si peu de klaxons. La conduite automobile est "intuitive" : tu veux passer, d'où que tu viennes, tu te signales ; et si l'autre ne tient pas à te laisser le passage, il le montre, et tu t'arrêtes. Oui les villes sont polluées, Téhéran parfois est irrespirable, mais chacun poursuit son chemin sans affolement, sans cris, et ne renonce surtout pas à la grande tradition des pique-niques : en pleine ville, le moindre jardin, la moindre pelouse, le moindre rond-point herbeux, deviennent le soir, lieux de retrouvailles - couvertures, marmites, famille et sodas - Imaginez les gazons de l'Orangerie envahis de familles : car aucun jardin n'est sacralisé, les gens les utilisent dans leur quotidien pour la sieste, les sorties familiales ou amicales, les rencontres amoureuses sont invisibles ou presque.

(photo Shiraz le soir)

Douceur de l'accueil, infinie douceur des paroles, des sourires, tranquillité des regards masculins portés sur les femmes, sensation si différente des rues arabes.

(photo: Ispahan, place centrale, le soir.)

Un iranien me dit un jour avec le sourire, alors que j'évoquais cette impression de calme : "L'Iran est lent."

Ceci n'a rien à voir avec une inertie, une désinvolture paresseuse, je l'ai plutôt perçu comme un signe de leur culture ancestrale, solide, réelle : les iraniens, malgré des années de dictature ubuesque (cruelle et bête) sont comme soutenus, étayés par leur culture, ce qui leur donne une forme d'assurance calme.

Culture : je parle ici du profond lit de la culture persane. Je n'évoque même pas ici la minorité bourgeoise cultivée des grandes villes - univers montré par exemple par Asghar Farhadi - Une séparation, univers de Panahi lui même - Ces minorités Téhéranaise, Ispahanaise que craint le régime.

J'évoque plutôt cette impression que la culture perse est vraiment celle des iraniens, leur possession vivante, une part d'eux-mêmes : la langue (farsi) et la poésie appartiennent encore très consciemment à la population. C'est le produit d'un mélange d'orgueil national ancré dans la richesse de la période préislamique, et de dévotion religieuse aux poètes : combien de fois, ai-je vu des familles, le vendredi (notre dimanche), venir s'incliner sur la tombe de grands poètes du passé.

Par exemple, à Schiraz, le mausolée de Hafiz (poète du XIVème s.), près de Mashad, celui de Firdoussi (poète épique du Xème s.) accueillent tous les jours des familles entières : on s'incline, on embrasse la pierre, on déambule autour, on se photographie ....

A Ispahan, dans l'ombre des arches du grand pont Khadju, je me repose, un homme se met à chanter des poèmes, un autre le rejoint ...et voilà un moment de poésie en plein midi, l'air de rien, d'une façon très simple !

(sous les arches)

Le lendemain, autre rencontre sur la grande place centrale : un homme à vélo, pauvrement vêtu, nous accoste, il parle français, et peu après, attablé avec nous dans une maison de thé, il chante un poème français puis repart...

La culture, c'est aussi cette profonde conscience d'avoir une langue qui a su résister à l'envahisseur arabe, turc et mongol : quiconque vous le dit, sans prétention, mais avec un orgueil grave. Le Livre des rois de Firdoussi (épopée mi-légendaire, mi-historique) se trouve dans toutes les familles : c'est une sorte de défense et illustration de la langue perse - Firdoussi a célébré tous les rois perses d'avant la période islamique, et ceci sans un mot d'arabe. Les iraniens en sont très fiers ; et jusqu'à la folie d'interdiction d'Ahmadinejad, des conteurs déclamaient ses vers dans des maisons de thé très populaires.

(photo : Tombeau de Firdoussi, à Toos, près de Mashad)

Rajoutons enfin la claire conscience chez les iraniens que plusieurs périodes glorieuses du passé furent des périodes de tolérance religieuse.

Il s'agit donc là d'une culture partagée, vivante pour chacun : je pense que c'est la force de l'Iran. Je ne sens pas ce peuple « cassé » - il est violenté mais pas brisé - Songez aux images de Jafar Panahi : seul, assigné à résidence chez lui, frappé d'interdiction de mettre en scène, il poursuit avec une force calme, obstinée et ironique.

Courage : celui de Jafar, celui de Medhi, de Reza, de Shohreh,....Courage de ces gens qui vivent alors que tout est interdit (ni chanter, ni danser, ni flirter, ni fumer le narguilé pour les filles, presque plus de maisons de thé ...), alors que tout est difficile, que tout est cher (20% d'inflation par an). Courage face à un chômage énorme (pas de statistiques bien sûr), courage des étudiants qui étudient sans espoir de travail, courage de ces jeunes gens m'abordant dans la rue pour dire leur désaccord avec le régime, pour dire leur vie difficile, courage de l'humour - celui de ces filles qui détournent la mode avec insolence : foulards tenus en équilibre au sommet d'un chignon, cheveux décolorés blond platine débordant négligemment du même foulard, vêtements qui cachent les fesses mais moulent la taille et les hanches. Courage de l'humour de Jafar Panahi ....Courage de cette femme venue me voir dans le train, et riant franchement de tous ceux qui allaient prier, me disant dans un éclat de rire son désir de trancher la gorge des mollahs.

Voilà ce qui m'a saisie : cette manière de venir vers moi, en confiance et de me livrer la critique ! J'ai déjà voyagé dans d'autres pays de dictature : les gens parlent volontiers, accueillent généreusement mais jamais n'évoquent leur régime. En Iran, si.

Mais mon petit journal de voyage ne serait pas complet si je ne rajoutais pas un mot : religieux.

(photo : mollah à Ispahan)

L'Iran est un pays très religieux. Ce qui ne veut pas dire que les mosquées soient bondées : même pas, ou surtout pas, je ne sais. Mais les iraniens (je ne parle pas de la minorité intellectuelle bourgeoise) vivent dans une acculturation religieuse profonde : si les jeunes citadines portent le foulard à la diable, la plupart des femmes des petites villes et villages portent plutôt le tchador, ou au moins, un foulard noir très serré, très enveloppant, des vêtements sombres. Le mariage est encore très codé, très normé par des traditions que nous qualifierions de patriarcales. L'essentiel du tourisme est un tourisme religieux en famille, sur les lieux des grands mausolées, dans les villes saintes....et la liste est longue.

(photo : femmes au bazar)

(photo : Khazvin, devant la mosquée du vendredi.)

Bref, l'Iran ne semble pas rêver de laïcité. L'Iran a sa propre conception de la vie et de ses valeurs.

Au fil des jours et des rencontres, j'ai vu que les iraniens étaient très accaparés, occupés, épuisés, à vivre malgré tout, vivre malgré la dureté économique qui les obsède et les ligotent. Ils souhaitent retrouver un régime sans religion d'état, un régime qui leur laisse vivre leur religion comme ils le souhaitent (« et pourquoi ne pas boire de temps en temps un verre de ce petit vin qu'on achète aux arméniens ... »). L'iran a connu trois époques à religion d'état : La révolte peut venir, revenir, mais seulement dans quelques villes : Téhéran la capitale qui fait peur à Ubu, et en une moindre mesure, Ispahan et Shiraz. Mais l'Iran est vivant et tenace.

J'aime l'Iran et les iraniens. Merci à eux.

ps : mes excuses pour mes approximations techniques !

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