C'est en lisant cet article de Roberto Saviano que ce billet est arrivé, alors que j'étais, une fois sur deux, engluée dans la double approche : laliberté d'expression, oui / ou / oui…. mais, tenons compte de … ?
Plusieurs étages à la réflexion :
Ce qui est en tension entre des deux notions : conviction / responsabilité.
En découle une question : puis-je conseiller à l'autre, au nom du sens de la responsabilité, d'y réfléchir à deux fois avant de publier tel dessin, tel texte ou tel film ? Certes, ceci n'apparaît pas directement sous la forme de « conseil » mais de considérations : par exemple, considérations de ce qui blesserait telle ou telle partie de la population. Avec en justification, un cortège d'idées, parfois justes (ex : en France subsiste un substrat colonial qu'il faut encore travailler) mais pas forcément (certaines opinions sont posées comme des affirmations, alors qu'elles ne sont que des hyptothèses interprétatives).
A ce stade, un simple rappel : vivre en état de droit (toujours imparfait, certes) signifie qu'en cas de grave désaccord, éthique par exemple, avec une publication, on a la ressource du recours à la loi. Et dans le champ social, le recours à l'argumentation, à la dispute, à la contre- publication.
Et puis : qu'est-ce que cette torsion de l'idée de responsabilité qui fait qu'on l'évoque pour l'autre (qui en aurait manqué) et non pour soi, en tout premier lieu ? Le premier poste de contestation au nom de la responsabilité, c'est soi-même – En quoi suis-je responsable ? De quoi le suis-je ? Face à qui ? Quels sont les effets possibles de ma parole ?… –
C'est la base de la posture critique : comme aime à le dire Edwy Plenel, il y a nécessité toujours recommencée de « penser contre soi même ». Si j'avance que l'autre (auteur, journaliste, caricaturiste) risque de « blesser », je suppose – soit qu'il l'a fait exprès (on dira « provocation », ou pire, « attaque») - soit qu'il manque de sens de la responsabilité (on dira « il jette de l'huile sur le feu », « il fait le jeu de ... »). Mais au moment où j'avance ces arguments, ai-je pensé à questionner ce qui me pousse à les formuler, ce qui soutient ma position ? Me suis-je demandé si cette critique est responsable ? Ai-je examiné la base de cette responsabilité ?
En un mot, évoquer la notion de responsabilité doit logiquement commencer par soi même, sous peine de n'être que l'effet d'une posture de conseiller moral (puisqu'alors, la question de la responsabilité est renvoyée à l'autre) et/ou de brouilleur de cartes.
Ainsi face à la question de la liberté d'expression, on ne peut ramasser en une seule proposition, un seul temps du discours, le « oui » et le « mais parfois ... ».
Il faut deux temps bien disctincts, pour éviter toute confusion :
le temps du « oui » absolu, radical, héritage de notre histoire politique et culturelle
le temps du désaccord avec tel ou tel message, désaccord qui peut alors produire des arguments ou, si le cas apparaît pénalement répréhensible, le recours à la loi.
Si cette dissociation ne se fait pas, un gommage des repères risque de se produire, et par la suite, la mise en danger de la liberté d'expression elle même.
