Cinquante toiles de Paul Rebeyrolle (1926 - 2005) sont exposées au château de Chambord du 10 juin au 23 septembre.
En 1984, il continue ainsi son propos : "c’est là ma façon d’être peintre et c’est la seule (…). Je peins tous les jours et pourtant je me demande si je ne pense pas autant à la vie et aux conditions de vie des individus qu’à la peinture. Je crois que les deux obsessions, obsession de la peinture et obsession de l’histoire contemporaine, se chevauchent chez moi totalement."
Après une rétropective en 79 au Grand Palais, une seconde, en 2000, à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence et une exposition à la Fondation Salomon proche d'Annecy l’an dernier, on peut retrouver Rebeyrolle à Chambord.
Quelle étrange confrontation ! un lieu royal et une oeuvre toute de cri, de révolte face à l'oppression. L'oeuvre de Rebeyrolle est constituée de tableaux animaliers et paysagers, employant des matières collées sur la toile (terre, crin, ferraille...).
Exemples de ces techniques mixtes, de l'amitié de Rebeyrolle avec la terre :
ETANG A L'AUTOMNE, 2001, huile et technique mixte sur toile
LA BARRIERE, 2000
C'est une oeuvre qui déborde, qui creuse et fait matière de ce qui ravage. A l'image du sanglier qu'il a souvent représenté, son pinceau et son couteau fouissent la matière grasse et colorée pour faire surgir le tragique permanent. Il cherche à rendre, avec une ferveur panique, la mort, les cris, le sang versé.
SANGLIER, 1971 Gouache sur papier marouflé sur toile
D'OEUF ET DE CHAIR, 1986 huile sur toile
Il dit lui-même : « La peinture doit être politique. » Et aussi : « La société capitaliste telle qu'elle est n'aura très rapidement plus besoin des artistes. »
MARGARETH (série Le monétarisme), 1996 Huile et technique mixte (grillage, paille) sur toile
PETIT COMMERCE (série Le monétarisme) 1999
Ces tableaux (et sculptures) dont Sartre disait qu'ils étaient "en colère" nous placent dans le geste et le regard d'un homme dont la bienveillence humaine sait qu'il faut voir ailleurs que sur les pages lisses. La chaleur vibrante des matières collées, la familiarité que celles qui gisent à même le sol, la terre-mère, sur les bords de chaussées, dans les friches délaissées, donnent au regard un lieu pour voir ce qui s’entremêle des traces créées par l’animal humain et le végétal gagnant.
Rebeyrolle, c'est le passeur de ce qui nous saute à la gueule et dont on se détourne : il apprivoise pour nous ce que nous ne saurions voir, il tire jusqu'à nous ce que nous ne voulons voir.
SUICIDE IV, 1982
UN TEMPS DE CHIEN, 1984
AGNEAU MORT, 1952
et comme souvent, un écho qui perdure à travers la peinture, ici celle du sacrifié, victime expiatoire, comme encore plus bas la figure du chien :
AGNEAU MYSTIQUE, XVIIème, Zurbaran
Rebeyrolle, présent à ce qui est, se fait souvent sanglier - présence de la bête à la force brute, autoportrait de l'artiste en résistant - Mais il aime aussi bien la truite glissante, lui qui a émigré du côté de Chaumont : « La Haute Seine , dit-il, était l'une des meilleures rivières à truites d'Europe. Je venais pêcher là tous les ans. Jusqu'au jour où je suis tombé sur un vieux moulin abandonné... ». «Pour bien pêcher, il faut se faire truite, vous comprenez... »
Est-il truite ou sanglier ? Il n'hésite pas : «Mon animal préféré, c'est le chien. Le sanglier incarne la force et la résistance. La truite, la ruse et la beauté. Le chien, c'est la victime. Je considère que nous vivons dans un monde de victimes. »
CHIEN années 75, bronze, grillage
« La vulgarité, c'est l'absence d'engagement – pas de manière politique, bien que ce soit quelque chose qui compte pour moi, mais d'engagement plastique : trouver des solutions plastiques qui ne soient justement pas de bon goût, comme beaucoup font. »
Toute l'année, on peut retrouver le travail de ce peintre au Centre d'Art d' Eymoutiers (87), qui expose de nombreuses oeuvres dans l'Espace Rebeyrolle.