Ce billet est né de celui de Patric Jean, ici.
Je partirai de la formule de l'auteur du billet qui interroge ce que chacun est prêt à perdre, pour faire mieux collectivement dans l'intérêt du plus grand nombre, afin de poser la question au niveau politique en ce qui nous concerne.
La victoire de Trump illustre la victoire idéologique d'une certaine version du "populisme", aux USA celle qui capte la colère d'une classe (petite classe moyenne blanche et masculine - à 60% -) qui est venue voter (ce qu'elle ne faisait pas forcément) par un discours menteur tissé de la nostalgie du retour à un monde américain mythifié - une Amérique blanche croyante centrée sur la famille, celle de l'american way of life - et de la méfiance traditionnelle vis à vis d'un état "trop" interventionniste ramenée par Trump à un état qui protège toujours davantage les "autres" que soi, état capté par une "élite".
Qu'avons-nous à opposer ? la reconstruction d'un système social réellement protecteur construit de haute lutte après la 2ème guerre mondiale, système détruit méticuleusement depuis 40 ans.
Je rappelle au passage comment ont "réussi" les idéologies fascistes, par exemple entre 1919 et 1922 en Italie : Mussolini utilisa des slogans simples indéfiniment répétés dans des discours qui tentaient de toucher le plus grand nombre de personnes. Ces discours se voulaient anticapitalistes, antimarxistes, favorables à l’ordre et au travail et prônaient un renouveau national face au déclin. Ceci profitant d'une forte division de la gauche.
Encore une remarque : ce populisme utilise à fond la technique du mensonge - réécrire la réalité afin de la rendre homogène au sentiment de colère, de désespoir, d'abandon.... du grand nombre - ce mensonge se présentant comme une vérité de dévoilement : dévoilement du mensonge d'une élite qui opprime. Ainsi le tout est joué : un bout de vérité (l'oppression et l'inégalité grandisssantes) est utilisé comme carburant d'un nouveau système (menteur à son tour, et toujours plus inégalitaire).
Ce qui fait la fortune de ce nouveau discours menteur (populiste d'extrême droite) c'est précisément que les discours politiques, dominants jusqu'à ce jour, sont eux aussi menteurs, toujours plus menteurs (et dissimulateurs) : ainsi la catégorie de "populisme" peut largement s'appliquer à autre chose qu'à l'extrême droite.
N'oublions pas que les gens, potentiellement électeurs, ont bien repéré que la marge est toujours plus énorme entre les discours de campagne politique et les actes des ceux qui ont pris le pouvoir, que le mensonge est la règle ; c'est d'ailleurs en partie là dessus que les candidats de la primaire de la droite ont construit leur propagande : il faut avoir le "courage" et le souci de véracité afin de dire clairement ce que nous ferons et le faire.
Notre paysage politique est donc : d'une part, divers populismes - avec peut être un avantage à celui qui est porté par ceux qui n'ont jamais eu le pouvoir (FN), comme Trump au USA -, d'autre part : une gauche de gouvernement disqualifiée par un méli-mélo de trahison de la parole (encore et toujours ce mensonge pratiqué et repéré), d'abandon en rase campagne du politique face aux logiques financières et économiques libérales, démission devenue une sorte de règle du jeu inévitable. Et puis, toute une "autre" gauche aussi diverse que profondément divisée. (cf : similitude avec le contexte du fascisme naissant, voir plus haut).
Sur un plan électoral, voilà comment je perçois où nous en sommes. Je précise bien "électoral", car si l'on évoque ce qu'il en est d'un mouvement profond de soulèvement social, on ne peut que dire qu'on n'en sait rien : qu'est-ce qui fera passer de soulèvements divers et partiels (qui existent bel et bien) à un mouvement d'ampleur décisive, chi lo sa *?
* Petite précision historique tirée de La rebellion française, de Jean Nicolas, 2002 : sur une époque qui court de 1661 à 1789, ce sont plus de 8500 "événements", du tumulte léger, à l'émeute, à la véritable révolte, qui ont précédé la Révolution, avec dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, une montée irrépressible du phénomène "rébellionnaire". Ceci, simplement, pour pointer un phénomène : le lien entre la mémoire et le désir de révolution - un passé de luttes accumulé reconfiguré par le désir révolutionnaire (et citons la vieille tradition des "dolléances" qui archivent tous ces soulèvements) -
Tout ceci pour réintroduire la question du temps long et des soulèvements décisifs....
Mais pour revenir au plan électoral immédiat : qu'est-ce qui peut faire le poids face au rouleau compresseur de tous ces populismes, et des terribles arrangements avec la logique libérale destructrice ?
Je dirais : ce qui pourrait donner aux gens le sentiment qu'il existe un discours légitime d'une autre gauche prenant ses distances avec l'usage du mensonge et de la dissimulation des réels rapports de force et de domination économique*, et ne s'évanouissant pas dans la passion diviseuse**.
* pour dire vite, non demain on ne rasera pas gratis, et n'importe comment : il faut donc montrer 1) ce qui nous emprisonne depuis des lustres, en particulier, tout ce qui tourne autour du nerf de la guerre - l'argent, provenance, ressources possibles, recettes, dépendance ou indéprendance budgétaires, choix budgétaires hiérarchisés, euro ou pas euro, .... ? - cette question, fortement liée à un corpus d'idées politiques comme axe de fond, comme guide d'action 2) et ce qui nous menace quant au ravage climatique et donc notre double responsabilité : sociale et écologique.
** là on a le choix, puisque où qu'on se tourne, on trouve toujours des lignes d'affrontement qui nourrissent la rage fratricide (laquelle reproduit en version locale la division amis //ennemis) . Non que je veuille nier les différences entre les gauches, elles sont de tout temps. Ce qui est en cause, c'est la capacité de négocier - ou pas - un nouveau terrain pour l'union, sans omettre les divergences, mais en rendant prioritaire la lutte contre le danger imminent d'un chantier de destruction définitive des acquis sociaux de l'après guerre. (et je rappelle le contexte de forte division des gauches en 1919 en Italie, puisque c'est l'exemple que j'ai pris). Tout est question d'équilibre-déséquilibre entre divergences d'analyses, d'intérêts (donc de multiples rapports de force idéologiques) et sens d'une plus haute responsabilité. J'avoue mon pessimisme pour l'immédiat !
Et là, je refais un lien avec le billet de Patric Jean par cette question - qu'est-ce que je suis prêt à perdre (dans mon camp politique) pour gagner (un peu, dans un premier temps) collectivement ? -