Tu imagines - un voyageur est d'abord un rêveur -
Tu prends le train ; pas trop longtemps, juste le temps de te sentir comme Cendrars :
"En ce temps-là j'étais en mon adolescence"
Tu débarques dans un hangar peint et repeint, parfumé de gingembre frais et d'un ragoût de boeuf mijoté. Puis tu entres dans un lieu vaste, éclairé d'un jour blanc qui perce par une verrière, et là , c'est la glace, la terre gelée de Magellanie aux confins de la Terre de Feu. La neige tourbillonne, envolée par un dispositif simple et efficace : des ventilateurs au ras du sol qui fouettent des poignées de confettis blancs.
Tu les vois, ces fous de cinéma muet, tous saisis par l'utopie d'une création libre, en rupture avec les studios Pathé : Jean Lapalette et sa soeur Gabrielle, celle qui "tourne la manivelle", créent dans ce grenier de la guinguette - Le Fol Espoir - l'aventure d'un nouveau monde.
Sur l'ïle de Hoste, révélée par Jules Verne et arpentée par Ariane Mnouchkine, tu vis le désir fou et vif de quelques naufragés. Tu pleures : Jules Verne les a envoyés dans le désert et la bourrasque, pour faire vibrer, juste avant sa propre mort, son espérance libertaire, celle que ses personnages baptisent - L'humanité - Ces pauvres perdus sauront faire advenir un monde heureux de vivre et de partager.
Oui ils sauront ; comme Jean et ses complices : ils sauront faire avancer le rêve à la barbe du capital et des querelles meutrières de l'intérêt. Jean pourra faire un film indépendant, les naufragés sauront vivre dans l'égalité et la liberté avec les indiens de cette terre neuve.
Mais l'or est là qui veille : tu vois son rictus nerveux, tu entends ses coups de fusil.
L'or, la guerre. Tout menace, tout éclate. Jaures est assassiné.
Mais les naufragés, dans l'ultime scène que Jean peut tourner en ce jour de deuil et de guerre imminente, transformeront leur rêve. Regarde-les : ils pagayent, corps et âme, sur un esquif menu, tous habités du rêve : ils construiront un phare pour orienter les navires perdus.
"Le phare venait de jeter ses premiers éclats sur les parages magellaniques" (J. Verne)
Tu ris et tu pleures.
La lumière est là, tu clignes des yeux, oui le phare, c'est le phare, tu n'es plus perdue.
" Si nous cherchions la lune sur la terre ? De quoi aurait-elle l’air ? Elle serait blanche, brillante et vierge. Ce serait une île. Imaginons. On pourrait y tracer le modèle de l’humanité future. On dessinerait la démocratie idéale trois mille ans après Eschyle (…) Hélène Cixous
Les naufragés du Fol Espoir, création collective du Théâtre du Soleil, mi-écrite par Hélène Cixous. Musique de Jean-Jacques Lemêtre.
La location ré-ouvrira le 23avril pour la reprise, le 15 septembre.
En Magellanie - roman posthume de Jules Verne, re-publié dans sa version originale (Folio), et non dans la version réécrite de son frère, Michel Verne (Les naufragés du Jonathan).
Et aussi l'article d'Antoine Perraud sur MDP :
http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/140210/ariane-mnouchkine-bat-le-rappel-utopiste