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Billet de blog 15 septembre 2014

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Politique pulsionnelle : attention à la contagion !

Ce petit billet est un écho au billet suivant, écrit par Hêtre : Le retour de la bêtise. Bêtise ? pulsion ? politique ?

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Ce petit billet est un écho au billet suivant, écrit par Hêtre : Le retour de la bêtise

Bêtise ? pulsion ? politique ?

Rapide tour d'horizon : à partir des années 1980, sous l'impulsion de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, l'état de choc (voir concept chez Naomie Klein) technologique a été suscité par un marketing planétaire ne rencontrant plus aucune limite, imposant la prolétarisation* généralisée, et détruisant l'économie libidinale** : ainsi s'est installé le capitalisme pulsionnel où la "destruction créatrice" est devenue une destruction du monde.

* Prolétarisation (concept repris par l'association Ars Industrialis, connue à travers les travaux de B. Stiegler)

http://arsindustrialis.org/prol%C3%A9tarisation

La prolétarisation est, d’une manière générale, ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). Rappelons tout d’abord que Marx ne dit pas que le prolétariat est la classe ouvrière : il dit que la classe ouvrière est la première classe à être touchée par la prolétarisation. Les prolétaires n’ont pas disparu : la prolétarisation, c’est à dire la perte des savoirs, a au contraire envahi « toutes les couches de la société »

** Economie libidinale : la libido est un concept freudien ("manifestation dynamique dans la vie psychique de la pulsion sexuelle", Freud) ; il évoque une énergie (d'attachement) qui est toujours projetée, canalisée, réorientée.  "L’économie" de cette énergie (la libido) transforme les pulsions (dont la pulsion sexuelle) en les mettant "en réserve". Toute société repose sur une "économie libidinale" qui transforme la satisfaction des pulsions, par essence asociales, en un acte social : pour dire vite, le sujet se socialise en apprenant à différer (pas tout, tout de suite) et à réorienter son énergie pulsionnelle vers de nouveaux "objets". Le désir d'apprendre se greffe sur une telle économie libidinale. C'est la base de ce qu'on nomme processus de "sublimation" : l'énergie libidinale est réorientée, elle se met au service de la création et réflexion humaines. Le sujet accepte de différer une satisfaction.

Il ne faut pas chercher longtemps pour se rendre compte que tout ce qui favorise la vitesse de satisfaction du sujet risque de lui faire manquer le processus de transformation (de l'énergie libidinale) et de l'enchaîner à une forme d'aspiration par l'objet à "consommer".

Une économie de marché saine est une économie où les tendances à l’investissement se combinent avec des tendances sublimatoires – ce qui n’est précisément plus le cas.(Ars industrialis).

L'exploitation managériale contemporaine de la libido consiste à façonner les désirs selon les besoins de la rentabilité des investissements - c’est à dire rabattre les désirs sur les besoins - (Ars industrialis)

Il me semble qu'une des nécessités aujourd'hui est de traquer tout ce qui nous aspire du côté de cette vitesse de satisfaction ; on voit à travers le monde une tendance majeure à faire triompher l'idée (ou plutôt le comportement) qu'à tout problème, correspond une réponse rapide - je vois, par exemple, l'érection de murs aux frontières comme une illustration de ce processus : un problème survient (ex : immigration en hausse), les gouvernements donnent une réponse - un mur -

Plus largement, face à toute difficulté, toute question, on voit triompher un impérieux besoin de donner une réponse (ex : c'est le sort de ces mots creux, parce que non pensés,  éléments de langage qui font florès - évaluation, compétences, compétitivité, pacte de ..., rythme scolaire ... -). On assiste à une course générale à la formule qui fera mouche, et la piste est glissante : utiliser des notions qui feront "buzz", choc (à notre tour, nous sommes alors les petits vecteurs d'une "stratégie du choc" (je te la cloue avec le mot qui te laissera sans voix, je démolis tout processus d'interrogation, je ferme le ban par la formule et parfois l'insulte) sans se soucier de la confusion induite (ex : utilisation des mots "nazi", "génocide", "fasciste"...). Le slogan remplace la réflexion, et je pense ici à ce que Roland Barthes a nommé "les briques", terme issu de la cybernétique, qu'il utilise pour qualifier la parole fermée, prise dans la bonne conscience et les clichés (il s'en sert pour qualifier certaines paroles marquées par la bien-pensance bourgeoise ou le discours militant).

C'est la même précipitation qui peut caractériser la course à l'info, la recherche effreinée du discours qui dira vite et mieux. Même précipitation qui peut frapper le commentaire, la réaction à chaud, l'impérieux besoin "d'en dire quelque chose" : vitesse qui gobe au passage tout ce qui pourrait se mettre au service du temps pour questionner, tourner et retourner la question, réfléchir. Même précipitation qui peut transformer la politique en objet de spectacle : donner au pékin de base l'image du jour, celle qui chassera celle du jour précédent et sera tout aussi vite chassée (ex : livre de l'ex-compagne du Président, Kerviel chez le pape, titres accrocheurs,  ...). Processus qui rabat la réflexion sur l'émotion.

Je pourrais poursuivre sur les risques induits par un triomphe rapide des émotions, ou l'adhésion, le soutien (rapides) le disputent parfois à l'agression "spontanée", la dénonciation véhémente.

Voici donc un écho au billet de Hêtre sur la bêtise...

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