Régulièrement m'est venue l'idée de faire un billet sur la psychanalyse, je ne l'ai jamais écrit.
Les divers papiers evoquant l'argumentaire de M. Onfray dans son dernier livre me servent aujourd'hui de levier.
L'objet de mon billet sera le mot lui même - analyser - et je partirai de ce qu'on dit être sa première occurence : L'Odyssée d'Homère, dans le chant qui évoque la patient travail de Pénélope : la nuit, elle revient sur le métier et détisse le voile qu'elle a tissé pendant le jour ; en effet, pour résister aux assauts des prétendants au trône d'Ulysse, elle a demandé d'avoir le temps de faire elle- même le linceul qui enveloppera Laërte, père d'Ulysse (Chant II) :
- Jeunes hommes, mes prétendants, puisque le divin Odysseus est mort, cessez de hâter mes noces jusqu'à ce que j'aie achevé, pour que mes fils ne restent pas inutiles, ce linceul du héros Laertes,
quand la Moire mauvaise de la mort inexorable l'aura saisi, afin qu'aucune des femmes Akhaiennes ne puisse me reprocher, devant tout le peuple, qu'un homme qui a possédé tant de biens ait été enseveli sans linceul.
[Pénélope] parla ainsi, et notre coeur généreux fut aussitôt persuadé. Et, alors, pendant le jour, elle tissait la grande toile, et, pendant la nuit, ayant allumé les torches, elle la défaisait.
Ainsi, trois ans, elle cacha sa ruse et trompa les Akhaiens ; mais quand vint la quatrième année, et quand les saisons recommencèrent, une de ses femmes, sachant bien sa ruse, nous la dit. Et nous la trouvâmes défaisant sa belle toile. Mais, contre sa volonté, elle fut contrainte de l'achever.
Souvent, cet ouvrage patient de Pénélope est associé à tout travail incessant, qui n'a jamais de terme.Voici déjà, un lien signifiant avec la démarche psychanalytique : analyse sans fin ? bien sûr, comme est sans fin le désir, tant que vie lui donne carrière. Un esprit chagrin ou moqueur pourra ironiser sur la durée de la cure : mais analyse sans fin ne signifie pas cure sans fin. Mais là est un autre débat.
Ce tissage-détissage de Pénélope (du grec : pênê = tissu / lépô = déchirer) est donc ce qui exige du temps (la ruse dure trois ans) et suppose chaque nuit un retour en arrière (sens grec du préfixe ana-). Ce retour sur l'ouvrage, pour le défaire (grec luein = dissoudre) immobilise l'opération des prétendants, paralyse le cours prévu des choses et le ré-oriente. Par cet acte, elle prend la main dans une situation saturée par la demande des prétendants au trône, sur l'évolution "normale" du processus de succession. Le temps aura passé et Ulysse approchera des rives d'Ithaque.
Ce tissage (activité féminine dans la mythologie et la réalité aussi) est l'acte de Pénélope, traduction de sa ruse intelligente (métis, qualité attribuée à Ulysse). C'est l'acte silencieux de ses mains qui joue comme équivalent inversé du discours incesssant des princes qui la guettent, c'est l'activité qui suspend le temps ordinaire.
Ainsi, revenir en arrière, non pour répéter, mais pour qu'un autre possible advienne (le retour d'Ulysse), c'est la tâche que se donne Pénélope, ce peut être aussi la décison du sujet qui s'analyse - retrait du monde, acte déterminé qui ré-ouvre la voie-x de son désir propre.
La tisserande, ou Pénélope défaisant son ouvrage de Francesco Bassano, fin du XVIème siècle.
