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Billet de blog 19 mars 2011

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Science, démocratie, être "humain" : un questionnement politique

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Ce samedi matin, Alain Finkielkraut a reçu Etienne Klein et Olivier Rey, sous le titre : L'enjeu des nanotechnologies.

Etienne Klein, physicien, chercheur au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) et professeur à l'Ecole Centrale de Paris


Olivier Rey, chercheur au CNRS, enseignant à l'École polytechnique et à l'université Panthéon-Sorbonne, philosophe

Cetter discussion était passionnante, on en aimerait très souvent du même tonneau.

Je ne suis pas le moins du monde physicienne, et mon univers ressemble encore beaucoup à celui de Newton, bien plus qu'à celui de la mécanique quantique, de la physique nucléaire, des biosciences ... ou à celui des nanotechnologies.

Je sais que je ne sais rien de ces domaines, si ce n'est la crête de quelques vagues.

Voilà pourquoi de telles discussions sont bonnes à mon esprit égaré : elles font lien entre ce domaine devenu très ésotérique (les sciences et technologies nouvelles) et le citoyen de base, vaguement au courant, à la fois concerné et pas fichu d'y voir un peu clair.

O.REY rappelle au fil des ses ouvrages les trois blessures narcissiques de l’homme moderne : la première étant la découverte de l’héliocentrisme par Copernic, la découverte que l’homme sur la terre n’est pas le centre du monde. La seconde déception lui vient avec la théorie de l’évolution et la découverte de sa filiation avec le monde animal ou sa descendance du singe. Et la troisième blessure est celle de la découverte de l’inconscient par Freud, à savoir la part pulsionnelle et non maîtrisable en lui. Jusqu'à ce jour, il a semblé "normal" de concevoir la recherche scientifique comme une tendance inéluctable, un vrai besoin humain ; mais on peut interroger cette tendance prométhéenne : l'humaine condition n'est-elle pas menacée par ce refus de plus en plus fort de la finitude des choses, finitude du vivant lui même ? par l'idée que toute impuissance est mauvaise ?

E. KLEIN de son côté avance :" la tentation de faire ce qu'il est possible de faire est presque irrépressible (chez l'homme). Toutefois, je pense qu'il y a encore une place pour le "jeu" démocratique, pour une sorte de contrôle global des applications de la science, qui passe bien sûr par la pédagogie, mais pas seulement."

C'est autour de ce "pas seulement" que je me sens très concernée.

Je vais illustrer mon propos d'un petit récit assez dérisoire, mais c'est aussi ma manière d'ensisager le rapport avec le monde qui m'entoure.

Lorsque le téléphone portable s'est "démocratisé", j'ai trouvé cet objet technologique lourd de quelque chose : il supposait que j'aie besoin d'être en lien rapide, partout et toujours, avec d'autres. C'était là une petite façon de faire entrer par cette porte-là plusieurs questions : pourquoi chercher ce lien permanent ? pourquoi ne pas pouvoir différer au retour à la maison, la réception des messages et leur envoi ? comment comprendre l'argument qui m'était présenté "c'est pratique" ? en quoi cet instrument pouvait changer la nature du lien avec les autres ? pouvait changer le rapport avec la solitude ou l'isolement ? et même avec l'accident, la difficulté imprévue, le risque ?

J'ai donc décidé de m'en passer toujours. En effet, les réponses à ces questions ne m'ont jamais donné le goût de l'usage de l'objet : il me disait quelque chose d'une modification du rapport au monde, modification insidieuse et influente, mais pas pour de bonnes raisons.

Je mesure le minuscule de mon affaire, mais pour autant c'est une porte pour moi : ce qui m'interroge beaucoup, et les paroles d'O. Rey et E. Klein y ont fait écho, c'est ce besoin d'aller du côté du "tout", de ce qui "comble", de ce qui veut donner solution à tout et un peu plus, de ce qui produit l'impression qu'être humain, c'est être maître. Et en parallèle, le peu de questions sur le "bien" pour l'homme.

Ceci est d'autant plus lancinant comme question qu'en parallèle, l'exclusion (celles des pauvres, des fous, de pans entiers des populations du globe) s'érige insidieusement comme modus vivendi : ce que ces deux intellectuels interrogent ce sont les agents (ici , les sciences et technologies) qui aident à une prise du pouvoir sur le monde, prise de pouvoir non régulée, non cadrée par la voix populaire. On peut pointer à ce moment du billet, la grande carrence du politique dans ce domaine :

si je reprends l'amorce du débat sur la sortie du nucléaire, je ne peux ignorer que ce ne sera pas qu'une question de changement de technologies (passer aux énergies renouvelables, par exemple) ; ce sera aussi, dans le meilleur des cas, une question politique; celle du comment vivre ensemble - mettre au jour le lien entre science, technologie, marché et pouvoir, et s'en occuper par un réel souci de donner les connaissances de base aux gens. Mais aussi vivre sans gaspiller, réduire le pouvoir de ceux qui pensent "argent" à la place du "mieux-vivre" (ex : la bourse, les "marchés"), dénoncer et réduire l'exploitation des matières premières en Afrique (au delà du pétrole, le lithium, l'uranium ...), promouvoir les idées de partage, de mise en commun (facteur d'économie et de lien) etc ....

En conclusion, je signale qu'O. Rey se référe volontiers à Simone Weil, et qu'il peut être fécond de rappeler rapidement comment elle réfléchit en son temps, au lien des sciences et de la société humaine, et posa la question d'une science qui lui paraiisant ne plus s'occuper du "bien", au profit du tout savoir, tout pouvoir (je rajoute) :

en effet Simone Weil insiste sur la nécessité, pour toute pensée qui vaille, de demeurer en permanence habitée par la question morale — parce que « rien n’est si essentiel à la vie humaine, pour tous les hommes et à tous les instants, que le bien et le mal ». Et pour elle, c’est précisément parce que la science moderne se situe dans l’indifférence morale qu’elle se condamne au superficiel. Elle ne rejette pas la science, mais elle imagine une autre science, qui ne serait pas seulement source de connaissance, mais de vérités.

L'époque sera peut être (ou pas) celle de tout un chantier culturel, politique, économique, personnel, en un mot "poétique" puisque cela signifie : création ... une chance de "Renaissance" ?

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