Monsieur le Ministre,
Vous n'êtes plus abonné de Médiapart ou alors sous pseudo. Qu'importe, cette adresse n'est que pure forme, quoique ...si vous allez voir ce film - L'esprit de 45 : dernier documentaire de Ken Loach* - vous allez prendre un sain recul, celui qui dégage du guidon, de l'éphémère du pouvoir, et qui ressource une belle capacité d'analyse et de désir d'agir.
Vous y verrez et surtout entendrez une foule de gens ordinaires qui témoignent d'une capacité de compréhension de la situation actuelle, épatante et stimulante. Si vous n'avez pas le temps d'aller au cinéma ? permettez que je vous donne quelques lignes fortes.
- En 1945, la Grande Bretagne (et surtout les Britanniques eux mêmes) prend conscience que les populations ont pu être mobilisées pour vaincre le nazisme et que la victoire est là : ils ont donc été très puissants, ils mesurent leur force. En même temps, ils savent dans quelle misère la première guerre mondiale les a laissés, et ils ne peuvent pas imaginer replonger. En bref, ils ouvrent les yeux sur leur propre force et affirment leur droit de vivre bien.
- Il faut donc redresser le pays et garantir une croissance réfléchie, organisée au service du pays ; les nationalisations sont décidées avec le but précis et hautement affirmé qu'on va donner à chacun ce à quoi il a droit (logement, salaire décent, protection sociale, transports...). Il ne s'agit pas d'une décision bureaucratique prise par certains, loin du peuple (avec l'antienne : "Laissez-nous faire, on sait pour vous") mais d'une véritable mise en acte d'une ferveur démocratique pour la justice sociale. Voilà la vraie force : des gens de conviction qui s'appuient sur le peuple, un peuple qui se mobilise et exige.
- On connaît la croissance et le bien être qui s'en sont suivis, et puis on connaît le détricotage obstiné et violent de toute ces constructions collectives par la Dame Thatcher, je ne m'y attarde pas. Je souligne seulement que son travail a été bien aidé par ce qui avait progressivement déserté la politique et le syndicalisme britannique : le souci de poursuivre sans cesse les processus démocratiques de décision, de contrôle ...Les syndicats, abîmés par une approche très peu politique et très bureaucratique (ces places qu'on a et qu'on garde) ont lâché les ouvriers et leurs luttes. Ils ont donc été anéantis et l'ouvrage de 30 ans, défait.
Quelle leçon pour nous tous ?
Rien ne se fait sans analyse politique large et sans ferveur socialiste (n'est-ce pas l'adjectif utilisé ?) - c'est là que je veux insister : ce qui donne la force, c'est le courage créé par le sens du bien commun qu'on met en acte ; ce qui fonde ce courage, c'est le recul suffisant qui nous fait ne pas confondre sur-activité ministérielle et engagement profond pour la cause envisagée. C'est là qu'il faut savoir s'appuyer sur les bonnes forces, et là, vous n'êtes pas aidés : la faible syndicalisation et la bureaucratisation des syndicats n’aident pas (pour ne pas dire la chute de l'analyse politique dans les syndicats).
Où a-t-on vu qu'on peut changer un pays sans s'adresser à son peuple et compter sur lui ? Cette mise en mouvement se crée.
Vous avez évoqué plus d'une fois les nationalisations, il faut donc faire un véritable travail d'explication afin de tordre le coup aux rengaines réactionnaires ( nationalisation = perte de compétiti ... je ne peux même plus écrire ce mot !). Vous ne pouvez pas ? vous serez très mal vu au gouvernement ? qu'importe, si vous y croyez : quittez-le, cherchez les forces vives qui existent !
En réalité, comprendre ce qui se passe est très simple - depuis 2008, on a eu le temps de saisir - mais réveiller le désir de faire de la politique pour le bien commun, voilà la difficulté et même, le tabou, désormais.
A vous de voir, Monsieur le Ministre.
En attendant, rendez-vous à Florange ou à Gemenos !

* Chose extravagante : ce film n'est que dans une seule salle à Paris. Allez prendre un bol d'air politique au ciné !