(Billet sensiblement identique et différent du précédent avec adresse à Montebourg)
Si je devais ne dégager qu'un seul bénéfice de ce documentaire de Ken Loach sort le 8 mai, ce serait bien celui-là : lancer ouvertement une réflexion sur ce que pourraient être aujourd'hui un processus de nationalisation.
Ken Loach construit une enquête historique, sociologique et politique formidable sur le processus des nationalisations en Grande Bretagne mené après 45. Ce film devrait nous aider à comprendre ce qui a aidé et ce qui a entravé (par la suite) ce remarquable mouvement social.
Je reprends ici quelques axes du film :
- En 1945, la Grande Bretagne (plus exactement les Britanniques eux mêmes) prend conscience que les populations ont pu être mobilisées pour vaincre le nazisme et que la victoire est là : ils ont donc été très puissants, ils mesurent leur force. En même temps, ils savent dans quelle misère la première guerre mondiale les a laissés, et ils ne peuvent plus imaginer replonger. En bref, ils ouvrent les yeux sur leur propre force et affirment leur droit de vivre bien : de l’inouï devient possible. Le Parti travailliste engage une campagne politique audacieuse, et très ancrée au sein du peuple lui même, sur les lieux de vie et de travail.
- Il faut donc redresser le pays et garantir une croissance réfléchie, organisée au service du pays ; les nationalisations sont décidées avec le but précis et hautement affirmé qu'on va donner à chacun ce à quoi il a droit (logement, salaire décent, protection sociale, transports...). Il ne s'agit pas d'une décision bureaucratique prise par certains, loin du peuple (avec l'antienne : "Laissez-nous faire, on sait pour vous") mais d'une véritable mise en acte d'une ferveur démocratique pour la justice sociale. Voilà la vraie force : des gens de conviction qui s'appuient sur le peuple, un peuple qui se mobilise et exige.

- On connaît la croissance et le bien être qui s'en sont suivis, et puis on connaît le détricotage obstiné et violent de toute ces constructions collectives par la Dame Thatcher, je ne m'y attarde pas. Je souligne seulement que son travail a été bien aidé par ce qui avait progressivement déserté la politique et le syndicalisme britannique : le souci de poursuivre sans cesse les processus démocratiques de décision, de contrôle ...Les syndicats, abîmés par une approche très peu politique et très bureaucratique (ces places qu'on a et qu'on garde) ont lâché les ouvriers et leurs luttes. Ceux-ci ont donc été anéantis et l'ouvrage de 30 ans, défait.
Quelle leçon pour nous tous ?
Rien ne se fait sans analyse politique profonde, exigeante, et sans ferveur "socialiste" (n'est-ce pas l'adjectif utilisé ?) : ce qui donne la force, c'est le courage créé par le sens du bien commun qu'on met en acte ; ce qui fonde ce courage, c'est le recul suffisant qui nous fait ne pas confondre sur-occupation gouvernementale (française ou européenne) et engagement profond pour la cause envisagée. C'est là qu'il faut savoir s'appuyer sur les bonnes forces. Où a-t-on vu qu'on puisse changer un pays sans s'adresser à son peuple et compter sur lui ? Cette mise en mouvement se crée.
Des obstacles à vaincre aujourd'hui ?
La faible syndicalisation et la bureaucratisation des syndicats n’aident pas (pour ne pas dire la chute de l'analyse politique dans les syndicats).
Ce qui entraîne une véritable torpeur syndicale européenne ; car comment comprendre qu'avec tous ces mouvements de révoltes dans de nombreux pays, rien ne s'organise ?
L'entrave est aussi à chercher du côté de toutes les politiques attachées à l'Europe, conditionnées par ses choix politiques profonds : là, nous touchons à un presque tabou car le sujet est publiquement monopolisé par le FN (et de quelle manière !), ce qui forme une sorte de cordon idéologique infranchissable --> impossibilité de réfléchir à ce qui plombe notre devenir européen, à réfléchir à d'autres alternatives.
Interdire un domaine à la pensée (dans le tâtonnement qui fonde l'invention) c'est assurer la progression de la bêtise ; il en est de l'intelligence en général comme de l'intelligence politique.
L'esprit de 45 montre comment tout un peuple décentre son point de vue bloqué historiquement (combien savoureux d'écouter la campagne de Churchill après la guerre et les réactions dans ses meetings !) et marche avec une énergie nouvelle vers de l'invention sociale.
Merci Monsieur Ken Loach !

Allez voir ce film, sorti le 8 mai, protestons contre le fait qu'il ne soit diffusé que dans un seul cinéma à Paris !!!
