Madame la Ministre,
J'ai apprécié le signe explicite que vous avez fait à la lutte anti-corruption en France par votre présence à la soirée du 19 octobre « La corruption, ça suffit ». Le chemin est semé d'obstacles politiques et économiques, d'empêchements puissants, et requiert de notre part une grande vigilance.
Ainsi en est-il du statut des Lanceurs d'alerte en France.
Vous écrivez dans votre intervention sur le Club de Médiapart le 23 octobre :
« Nous avons consolidé le statut de lanceur d’alerte, élargi son champ pénal, en assurant la protection juridique de tout salarié ; nous avons étendu ce statut aux fonctionnaires, procédé au renversement de la preuve à la charge de l’employeur, instauré l’accompagnement par le SCPC (Service central de prévention de la corruption). Il s’agit d’une mission nouvelle pour ce service, de composition interministérielle, et que nous avons renforcé de 3 emplois Justice en loi de finances 2013. »
L'intégralité est ici :
http://blogs.mediapart.fr/blog/christiane-taubira/231014/le-feu-qui-brule-est-celui-qui-eclaire-etienne-de-la-boetie?onglet=commentaires#comment-5483597
Pour être complet, il faut préciser que ce statut est encore très précaire, très incomplet, et les lanceurs d'alerte, très mal protégés.
Rappelons que contrairement au délateur, qui tire profit personnel de sa dénonciation (Madame la Ministre, vous évoquez dans votre texte, le statut des repentis), le lanceur d’alerte, s'engage pour l’intérêt général : par cette prise de risque individuelle, il se retrouve en conflit entre ses devoirs professionnel (ex : obéissance hiérarchique, devoir de réserve) et son engagement éthique ; du fait de son acte d'alerte, il risque de tout perdre (emploi, famille, crédit). Il peut même être agressé ou tué. Il peut aussi se suicider : Nicole Marie Meyer (Transparency International France) rappelle le cas du Dr Jean-Jacques Melet (pionnier ayant alerté sur la nocivité du mercure dentaire, et dont l’œuvre et la vie furent détruites).
Comme le souligne Transparency International France, il manque avant tout une loi globale, explicite et complète pour les secteurs public et privé. Nicole Marie Meyer explique en juillet 2013 lors d'une conférence *:
« Le concept de droit d’alerte a du mal à s’implanter en France. Il n’existe ni obligation générale qui s’imposerait à l’ensemble des citoyens de signaler crimes et délits, atteintes à l’intérêt général ou à la santé publique, ni définition légale du lanceur d’alerte, ni protection globale des lanceurs d’alerte »
Elle poursuit :
« Une première définition a été donnée avec la loi sur l’alerte sanitaire et environnementale, votée en avril 2013. Cette loi opère également un renversement de la charge de la preuve (c’est à l’employeur de prouver que sa décision de licencier, ou de toute autre forme de représailles, n’a aucun lien avec l’alerte de l’intéressé). Cependant, les décrets d’application des lois de 2011 (sécurité sanitaire du médicament) ou 2013 (alerte sanitaire) n’ont pas encore été adoptés. Ainsi à ce jour, seule une loi, en vigueur depuis 2008, adaptation de la Convention des Nations-Unies (2003), protège contre toutes représailles les salariés du secteur privé dans le champ comptable et financier.
L’agent public, qui a pourtant le devoir de signaler crimes et délits (article 40.2 du code de procédure pénale), ne dispose pour sa part d’aucune protection explicite. »
Elle souligne également ceci, essentiel si l'on veut réellement protéger les Lanceurs d'alerte :
« Les signalements protégés par cette législation doivent inclure, sans s’y limiter, crimes et délits, erreurs judiciaires, atteintes à la santé, la sécurité ou l’environnement, abus de pouvoir, usage illicite des fonds et biens publics, graves erreurs de gestion, conflits d’intérêts et dissimulation des preuves afférentes. »
*Intégralité de la conférence en fichier attaché.
Pour conclure provisoirement, je tiens à rappeler combien une loi globale et explicite permettrait au Lanceur d'alerte d'être reconnu et protégé par notre société, en mal de démocratie. Et parmi les priorités, il nous faut disposer d'une définition complète et claire du lanceur d'alerte ; pour l'instant, la définition est plus que lacunaire : elle se limite à la santé publique et à l’environnement
(loi du 16 avril 2013 dite loi Blandin, art. 1er) !
PS : il me paraît utile de donner ici l'outil suivant – le guide pratique pour les lanceurs d'alerte – en fichier attaché.
Retrouvez également Nicole Marie Meyer (Transparency International France) ici sur le blog de l'édition de CAMédia :
http://blogs.mediapart.fr/edition/camedia/article/210914/frioul-2014-n-m-meyer-le-droit-dalerte-au-coeur-de-la-refondation-du-bien-commun