
Judith décapitant Holopherne, Caravage,1598 (Gallerie nationale, Rome)
(Le tableau apparaît ici tronqué en sa partie gauche,droite pour nous, - personnage de la vieille femme qui attend avec un sac pour emporter la tête -)
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D'autre peintres avaient déjà peint le sujet - Botticelli, Michelange - mais ils avaient situé l'action juste après l'assassinat, lorsque Judith emporte la tête de sa victime. Caravage va où personne n'est allé.
Il semble vouloir toucher aux limites du représentable, c'est bien un défi de peintre. Il ne fera pas école et ce thème ne sera traité de cette façon qu'une ou deux fois après lui, par Artemisia Gentileschi quelques vingt ans après, à Naples et par Valentin Bologne.
Tout est énergie ici. Regardez ! la lègère cambrure de la jeune femme pour s'assurer stabilité, ses bras blancs tenus dans l'effort mais pas raidis, les seins qui pointent et tendent la cotonnade, le geste net qui fait jaillir la source rouge.
Tout est lumière ; les blancs se répondent par deux : le blanc du drap froissé, lit de plaisir, lit de mort, et en écho le blanc du bustier de la femme. Les rouges également se font écho de haut en bas : le rideau drapé dans une folie décorative et le sang qui gicle.
Tout est mouvement : geste de Judith saisi dans son suspens mortel, mains d'Holopherne qui ne peuvent plus s'accrocher à rien et attrapent à peine le drap, rideau voluptueux qui roule son velours au dessus de la scène, ciel d'orage de théâtre. Mouvement intime, secousse, provoqués par cette proximité inouïe entre la mort et le plaisir de la matière.
Car tout est matière aussi : le corps, la peau qui prend la lumière, le cou et sa béance, le sang, la bouche ouverte, les draps et les tissus. On touche avant de voir ; il y a possession brutale des choses - spectateur qui prend ou qui est pris ? - Possession et captation grâce à cette lumière associée au mouvement.
C'est incandescent, rapide, irrépressible et furtif comme l'éclair ou le désir.