La flamme de cette luciole, Ernest Pignon-Ernest la fait trembler dans son dernier travail de street-art photographié pour ce livre :
Dans la lumière déchirante de la mer Pasolini assassiné
André Velter ; Karin Espinosa ; Ernest Pignon-Ernest
Et pour l' exposition, hélas terminée le 23 janvier, à la gallerie Openspace (Bd Richard Lenoir, Paris 11ème) :
Pasolini, si je reviens
Un bilet de blog a été récemment consacré à cette exposition, ici
Pasolini a été assassiné la nuit du 1er au 2 novembre 1975, sur la plage d’Ostie, près de Rome. Les circonstances et raisons de sa mort restent encore assez floues.
C’est le retour de Pasolini qu’Ernest Pigon-Ernest a mis en scène en peignant et prenant en photographie son oeuvre dans différents endroits chers à ce grand artiste : Rome, Ostie, Naples, Matera. Il dit lui même que sa préoccupation n'est pas de "représenter" mais de "rendre présent".
Au sujet de son grand intérêt pour Pasolini depuis les années 80, il écrit :
"Au fond, il y avait mille raisons pour que je tente de me saisir de cette figure : son oeuvre de poète, de cinéaste, de faiseur d’images ; le caractère de son engagement ; le corps nu, cet élément de vocabulaire que nous avons en commun ; le choix des peintres qui l’ont inspiré (Masaccio, Mantegna, Piero della Francesca, Duccio, Bacon, Caravage, Giotto, dont il incarne lui-même le disciple dans son Décaméron) ; sa façon singulière de parler d’aujourd’hui en s’appuyant sur les grands mythes qui ont formé notre conscience (Médée, OEdipe, Jésus), en interrogeant la Grèce, l’Afrique, les deux rives de la Méditerranée ; également, la charge charnelle qu’il a donnée à cette intuition qui veut que les hommes et les mythes communiquent."
Je reviens sur cette photo prise sur les rives de la Méditerranée, à Ostie.
S'il y a un lieu géographique aussi ignoré à ce jour que puissamment chargé de mythe, c'est bien cette plage d'Ostie, proche de l'embouchure du Tibre. C'est donc sur ce terrain vague que Pasolini a été assassiné dans des circonstances terrifiantes non élucidées.
Mais il est un croisement de hasards ? de mythes ? qui nous entraîne sur un chemin d'étrange rêverie-réflexion :
La dernière oeuvre écrite par Pasolini est : La divine mimesis (publié en 1975). Il l'a livrée à son éditeur quelques jours avant sa mort, le livre rassemble les fragments d’un projet inabouti : une sorte de réécriture contemporaine de la Divine Comédie.
Pasolini révèle : "C’est une idée qui date de 1963, mais je n’ai pas réussi à trouver la bonne clé. Je voulais faire quelque chose de bouillonnant et magmatique, il en est sorti quelque chose de poétique, comme Les cendres de Gramsci, mais en prose. Pour cela je publie les deux premiers chants : un enfer médiéval avec les anciennes peines trouve son contrepoint dans un enfer néocapitaliste."
Ainsi il décide de rendre public un projet avorté, de montrer cette tendance qui se développe dans ses derniers travaux, à savoir l’ouverture du laboratoire de l’écrivain et l’exhibition des aspirations qui accompagnent la genèse d’une œuvre. On pourrait encore creuser les filiations Dante - Pasolini, au delà de sa déclaration copiée ci-dessus (ex : question de la langue d'écriture - dimension politique du texte de Dante, fortement engagé dans la défense de la division à opérer entre pouvoir religieux et pouvoir politique ...)
Quel lien avec Ostie ?
Dans la Divine Comédie (début du XIVéme siècle, années 1300...) Dante situe en ce bord de mer le lieu où patientent les âmes du Purgatoire avant qu'un ange ne vienne les convoyer jusqu'au Paradis, et c'est en ce lieu que le personnage-pellerin Dante laissera Virgile et accèdera au Paradis promis, grâce au relai de Béatrice.
Mais si Pasolini replace ses pas dans le grand livre de Dante, ce dernier avait déjà fait une démarche assez proche, vis à vis de Virgile, et son Enéide (1er siècle avt notre ére) : c'est alors mystérieusement que l'on redécouvre qu'Énée, à la suite de son périple d'exil depuis Troie enflammée, arrive un beau jour à cette embouchure du Tibre, et commence une nouvelle étape de sa vie mythique, et c'est à ce moment du récit que Virgile intervient pour déclarer qu'il est arrivé au point culminant de son œuvre ! Cette dernière étape du voyage d'Énée constituera le coeur du projet virgilien, ce moment de l'oeuvre où l'auteur n'est plus dans l'imitation (mot pris au sens classique) d'Homère mais le narrateur d'un mythe à tonalité « patriote » : le récit de la lointaine fondation de Rome.
Ainsi, au fil des siècles, se devine ici une de ces filiations profondes qui font la littérature et l'art, un retour pour reconnaître les héritages et les lancer dans le temps.