Un fil rouge (pour le coup, vraiment) circule à travers quelques blogs, en particulier ceux de Fantie, de JC Charrié, de Hêtre ... je le saisis à mon tour pour lui faire quelques noeuds, quelques mailles, ou quelques franges : communisme.
L'idée m'est venue lorsque j'ai appris que le Théâtre du Soleil montre son spectacle Les naufragés du Fol Espoir depuis presque une année, avec salle comble chaque fois. Le spectacle va partir en tournée, et va devenir un film ! Aventure formidable d'un théâtre qui parle du cinéma et qui redevient cinéma !
J'ai déjà en son temps parlé de ce spectacle :
http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/marielle-billy/120410/ton-fol-espoir-est-aussi-le-mien
J'avais mesuré en voyant ce Fol espoir combien il était magnifique, mais aujourd'hui je mesure combien il est aussi comme un sémaphore - porteur d'un signe lumineux -
Ces foules qui se sont déplacées sont peut être venues chercher plus que du théâtre à Vincennes, ou alors, du théâtre, oui mais à la mode grecque : scène comme espace suffisamment proche et sacré pour faire entendre une parole sur notre monde, nos peurs et nos désirs.
Ariane Mnouchkine est parti de ce texte de Jules Verne (1897), En Magellanie, publié longtemps après sa mort. L'auteur y examine l'utopie anarchiste, mais on pourrait aussi bien dire, communiste. Car c'est bien la double question du partage égalitaire et du pouvoir qui est scrutée à travers les personnages : désir de partage / organisation du partage ? - refus du pouvoir (repris de Proudhon) / désir du pouvoir / nécessité d'un pouvoir ? (les points d'interrogation signalent que ces questions sont posées dans le texte, celles de l'organisation et du pouvoir)
Mais c'est la fin qui nous fait signe, c'est peut être là que la foule des spectateurs comprend le mieux ce que cherche à dire ce théâtre : après plusieurs malheurs, quelques survivants défient la tempête pour construire un phare à l'endroit la plus dangereux de la passe.
"Le phare venait de jeter ses premiers éclats sur les parages magellaniques" (J. Verne)
Voilà où nous sommes, voilà la terre d'utopie qu'ouvrent Ariane Mnouchkine et Hélène Cixous : une aventure de création de phare - partir même si on ne sait pas si on arrivera, s'engager dans l'expérience du chemin, avec le désir de partage vrillé au coeur et à la tête - Ce qui a draîné les foules à Vincennes, c'est peut être aussi ce qui a mené les manifestants par milliers durant des semaines à battre le pavé de tout le pays - rappelez-vous, jamais on n'avait vu 2500 manifestants à Coutances (Manche), 4600 à Aubenas ni 7500 à Dole (Jura) !
C'est bien plus que la réforme des retraites qui a pu mobiliser ainsi, Le Fol Espoir nous le dit, c'est le désir d'agir ensemble, le désir de se (re)mettre sur le chantier de notre gouvernement - entendez par là, "nous voulons nous gouverner", "je veux prendre ma part d'initiative, de décision" - C'est le désir de faire corps, le désir d'incorporer l'expérience politique, désir dont nous sommes tellement dessaisis mais qui existe toujours.
Mais aucun modèle n'existe vraiment, même si nous sommes les héritiers de notre histoire - rien n'existe de créé pour nous d'avance - le texte de J. Verne nous le suggère aussi : tout est à inventer, et si l'espoir d'édifier un phare soutient le groupe, celui-ci peut alors dépasser ses peurs et prendre force. De cela, le Théâtre du Soleil propose également un signe : l'homme comprend en vivant que rien n'est joué, que tout peut le précipiter vers le vide ou vers la joie de la création aboutie. Et pour métaphoriser cette posture, Hélène Cixoux évoque un tableau de Goya, dont elle dit que c'est son "tableau de coeur": Un chien (1820-1823), qui fait partie des fresques de la Maison du sourd.
On ne sait si ce petit chien va s'enfouir à tout jamais ou, au contraire, s'il commence à pointer son museau et à reprendre force pour sortir de la glaise ....

J'ai essayé d'écrire ici en quoi cette oeuvre participait pour moi de la recherche du communisme, ou du socialisme - puisqu'en terme de vocabulaire, au départ, quelle différence ? - il s'agit d'une affirmation de l'énergie humaine qui se dresse contre le fatalisme, qui mobilise un désir de création collectif et partageur, et qui se découvre parfois plus forte qu'elle ne croyait.
Et je ne peux terminer sans vous rappeler que le Théâtre du soleil, sous la direction d'Ariane Mnouchkine, expérimente depuis des années une organisation économique de partage collectif : bel exemple d'utopie durable !