Vivre et mourir au milieu des arbres de la Forêt de Fontainebleau, vivre et agir en refusant sans cesse que l'art fasse l'objet de commerce, vivre et entendre la petite voix qui va jusqu'au bout des mains qui tordent, fondent, taillent, martèlent, étalent, disposent, brûlent les matériaux de hasard, branches, grillage, bouteilles, craie, plastique, tôles de voiture ... - voilà Chomo, celui qui créa le Village d'Art Préludien à Achères, près de Milly la Forêt, non loin d'un autre lieu inouï, Le Cyclop de Tinguely.
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Roger Chomeaux, 1907 - 1999.
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Chomo est mort il y a dix ans, et la Halle Saint Pierre (Paris 18ème) rend hommage à celui qui disait s'adresser aux "hommes de la terre remuée".
À ceux qui n'ont d'autre ambition que de faire germer la graine.
À ceux qui ont des femmes qui arrosent les fleurs
et bercent les petits qui bavent des aurores.
Aux effacés...
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Auparavant, une seule et unique exposition, ce fut en 1960, à la galerie Jean Camion, à Paris. Le jour du vernissage, 3 500 personnes sont là, la rue des Beaux-Arts bloquée. André Breton y passe des heures. Dali admire. Picasso vient aussi. Et Cocteau, qui se fait insulter par Chomo, Henri Michaux qui s'entend dire qu'il "pue le cadavre". Un amateur négocie une sculpture et quand on s'apprête à lui faire un rabais, Chomo surprend la conversation et crie : "Nom de Dieu, Camion, tu fais le marchand de fromages ? Foutez-moi le camp, Monsieur !" Il débarque aussi une Rothschild, mécène de la galerie, qui voulait lui acheter cinquante dessins.
Alors, il décide de rompre tout lien marchand avec le monde et se réfugie sur un terrain en forêt. Là il construit, il avance. Chaque journée se passe à sculpter dehors, de midi jusqu'à la tombée de la nuit; il cultive aussi de petites parcelles dont il tire un peu de sa subsistance ; puis il parle à ses abeilles à qui il a offert des ruches : un jour Jean Camion le voit, la tête plongée dans une de ses ruches, il l'entend murmurer à ses insectes : "Zzzzzzz... Mes chéries, ne piquez pas mon ami Jean Camion, ne le piquez pas, soyez sages ! Zzzzzz."
Le samedi et le dimanche, il ouvre son domaine à qui veut lui rendre visite : en sa compagnie, on passe d'abord par l'Eglise des pauvres, admirer des sculptures de verre et de plastique, puis dans la maison préfabriquée qu'il habite, où il abrite une autre partie de ses sculptures, dont les oeuvres parfaitement classiques qu'il avait exécutées lors de ses études à l'Ecole des beaux-arts ; là aussi des dessins réalisés pendant sa captitivité en Pologne, de 1940 à 1942 - ceux qui ont vu ces dessins parlent d'oeuvres puissantes et humaines. On va ensuite jusqu'au Sanctuaire des bois brûlés, avant de terminer la balade dans le Refuge, autrefois nommé le Remorqueur réfrigéré, sous la toiture faite de capots de voiture récupérés dans des casses ; là il offre parfois un hydromel de sa fabrication. L'entrée du site est libre : on donne en sortant ce que l'on veut.
On est tenté de rapprocher Chomo du Facteur Cheval, de Petit Pierre, d'Aloïse et de tous ces artistes "bruts" comme eux, il réhabilite sans cesse le déchet, le rebut, le dérisoire, le fêtu que chacun ignore, comme eux il vit à la marge du monde et les mains dedans. Mais il s'en distingue par le fait qu'il a appris la peinture académique puis a passé sa vie à s'en "décrotter". Son oeuvre protéiforme est invisible depuis quatorze ans, lorsque peu d'années avant sa mort, sa femme l'a soigné, interdisant l'accès du Village aux passants.
L'exposition de La Halle Saint Pierre - Le débarquement spirituel - nous offre jusqu'au 7 mars 2010, un choix remarquable des oeuvres de ce "clochard céleste".
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Chomo en son jardin.

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La grande Totoche
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La chorale silencieuse (photo du jardin et statues de roche calcaire), présentée à La Halle
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