Luiz Gonzaga da Silva, mieux connu sous le prénom de Gégé, est membre de la Centrale des Mouvements Populaires-CMP, a été arrêté pendant la dictature militaire. L’histoire de sa participation aux mobilisations est liée au mouvement populaire urbain de São Paulo, notamment dans la lutte pour un logement décent et à son engagement contre le racisme et dans la défense du SUS- le Système Unique de Santé au Brésil.
En raison de l'intense engagement social de Gégé, cet entretien a été légèrement retardé.
Gégé, revenons au contexte politique brésilien.
La situation politique au Brésil est complexe et se détériore. Le pouvoir exécutif semble muselé, soumis au chantage d'un « système semi-parlementaire » imposé par le gouvernement Bolsonaro, en connivence avec le président de la chambre des députés fédérale M. Arthur Lira lorsqu’ils ont créé un budget secret qui a permis au gouvernement de l’ancien président de fournir des enveloppes parlementaires à des députés et sénateurs afin de s’assurer de leur soutien. Le Président de la Chambre des députés a acquis un super pouvoir, dans le gouvernement Bolsonaro. Des versements de l’argent publique ont été réalisés sans aucune transparence et cela a été considéré comme le plus grand schéma d'institutionnalisation de la corruption de l'histoire du Brésil.
Le gouvernement de Lula est face à de multiples défis pour restaurer le caractère présidentialiste du régime politique brésilien, mettre en ordre l’administration publique et rétablir la normalisation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
On constate qu'aujourd'hui les médias traditionnels, de nombreux analystes politiques, députés et sénateurs semblent oublier que le régime brésilien est présidentiel.
Le présidentialisme brésilien est un système de gouvernement marqué par l'existence équilibrée des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Le président y est élu directement, étant responsable de la représentation de l'État et de l'administration du gouvernement. Le chef de l'État est aussi le chef du gouvernement.
Face à cette réalité politique, comment la Centrale des Mouvements Populaires analyse-t-elle cette situation ?
Nous sommes aujourd’hui et plus que jamais très préoccupés par le sort de ce gouvernement. Ces dernières élections nous ont coûté beaucoup d’efforts qu’il faut aujourd’hui redoubler pour garantir la pérennité d’un gouvernement qui ne dispose pas de majorité. Malheureusement, nous n'avons pas réussi à élire une base parlementaire qui soutienne fortement les actes du gouvernement Lula, pour tenir ses promesses électorales, issues d'un consensus populaire.
Face à une situation politique défavorable, nous voyons aujourd'hui que le président Lula se voit contraint de conclure des accords avec certains partis politiques qui n'ont montré aucun effort pour soutenir le programme de gouvernabilité et les projets proposés par le gouvernement. Par exemple, la proposition du nouveau programme « Minha Casa Minha Vida », en plus de garantir un logement décent, contribue également à la création d'emplois et de revenus qui aideront le Brésil à réduire les inégalités sociales.
Existe-t-il une articulation entre tous les mouvements sociaux pour discuter de cette situation ?
Je vois l’urgence et la nécessité d’articuler une nouvelle base de soutien au gouvernement afin que Lula puisse sortir le Brésil de la stagnation de ces dernières années, avec les gouvernements de Michel Temer et Jair Bolsonaro. Il faut sortir aussi de ce climat de violence fasciste qui prévaut encore. Il existe, par exemple, un secteur de la bourgeoisie représenté au Parlement qui tente à tout prix de saigner le gouvernement, cherchant à obtenir des financements en échange d'un certain soutien pour l'approbation d'une mesure parlementaire. Logiquement, ces partis recherchent des ressources pour payer leurs dettes de campagne et commencer à préparer les prochaines élections de 2024. L'année prochaine, nous aurons des élections pour élire les maires et les conseillers municipaux dans toutes les villes brésiliennes.
Il est vrai que la présidence des deux Chambres ont acquis sous Bolsonaro un rôle important et une délégation de la plupart des arbitrages budgétaires en échange d’appui politique. La base politique qui soutient le Président de la Chambre de députés appelé « Centrao » est majoritaire ; ce qu’on appelle « grand centre » est un groupe informel composé de partis opportunistes dont les alliances varient en fonction des intérêts. Arthur Lira exerce un énorme chantage politique sur Lula pour acquérir des ministères clés qui leur donneront la visibilité sociale dont ils ont besoin pour acquérir des voix.
Le parlement brésilien dans sa majorité est composé par les secteurs du pouvoir économique et religieux qui agissent de manière égoïste pour garantir leur pouvoir de négociation et non pour défendre les intérêts et le bien commun du peuple brésilien. Ils ne constitueront jamais une base de soutien pour le gouvernement Lula et continueront à négocier des positions et des pouvoirs. Sans majorité, le gouvernement Lula tente de négocier avec ses opposants pour garantir le bien-être de la population brésilienne, en accordant avant tout une attention particulière aux plus nécessiteux de la population qui mourait de faim et vivait dans la misère.
Cette situation exige que nous cherchions à renforcer le soutien populaire au gouvernement et, en même temps, à exercer une pression sur le Parlement. Pour ce faire, il faut que la gauche apprenne à négocier pour défendre les intérêts de la population et comprenne que le bolsonarisme s’alimente du germe de la haine, ce qui nous oblige à travailler de façon pédagogique avec ceux qui ont été manipulés par le mensonge. Ce contexte politique exige de notre part des efforts redoublés et une forte mobilisation pour que les promesses du gouvernement Lula puissent se réaliser.
Quel type de mobilisation envisagez-vous de faire pour défendre le gouvernement Lula, dont la carrière politique a toujours été liée aux mouvements populaires ?
Nous devons être plus actifs et plus coordonnés. Nous avons besoin d’une majorité populaire pour faire pression sur la Chambre et le Sénat et soutenir le gouvernement Lula. Logiquement, nous ne pouvons pas perdre notre vision critique pour faire avancer nos revendications. Nous devons nous unir pour conquérir le pouvoir local et éviter une défaite électorale dans ce processus de 2024. Nous devons nous unir pour garantir le soutien populaire afin que le gouvernement Lula puisse venir au bout de ces 4 années de gouvernement ! Cependant, nous reconnaissons que les mouvements sociaux devraient être davantage présents dans les quartiers, en périphérie, dans les zones rurales pour rencontrer des groupes locaux, des communautés pour discuter sur ces problèmes quotidiens, sur la réalité laissée par l’extrême droite, sur les conflits stimulés par des mensonges pour diviser le pays. On ne peut pas seulement débattre entre nous, sur les réseaux sociaux via internet, les deux sont nécessaires !
La lutte politique est une bataille permanente, même si Lula ne devient pas candidat, mais le candidat qu'il va désigner ne peut pas subir la défaite. Cela représenterait une défaite pour notre projet politique de lutte contre toutes les formes d’exclusion ! Nous devons créer les conditions pour continuer à organiser la lutte pour nos libérations.
Existe-t-il une possibilité de construire une alliance plus large rassemblant davantage de représentants de la société civile, comme le monde associatif, les centrales syndicales, les syndicats d'enseignants, le mouvement étudiant, les artistes associatifs, etc. ?
Écoutez, je vois la nécessité d'étendre ce processus d'ALLIANCE à tous ces segments ; ce processus est encore lent et nous devons être plus attentifs, car le gouvernement Lula ne peut survivre sans le soutien de nous tous. Il faut cependant que le gouvernement fasse attention à ne pas tout donner comme dit le diction « On lui donne le doigt et il vous prend le bras » ! Nous devons tenir compte du fait que de nombreux secteurs de la bourgeoisie brésilienne souhaitent et espèrent que Lula ne soit pas en mesure de gouverner ou de tenir ses promesses, afin de pouvoir revenir au pouvoir. Ils ont besoin d'un nouveau gouvernement de droite ou d'un gouvernement comme le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (PSDB), pour finaliser le programme de privatisation de tous les secteurs au Brésil, principalement les secteurs clés de l'économie, par exemple Banco do Brasil, Caisse d’épargne économique Fédéral (« Caixa Econômica Federal»), et ce qu'il nous reste de la Petrobras. L'objectif de cette soi-disant élite économique conservatrice est de confier tous les actifs du Brésil à un contrôle étranger, c'est-à-dire de mettre un terme à nos rêves d'un pays souverain et autonome, de préparer un avenir meilleur en tant que nation et d'améliorer les besoins fondamentaux de sa population.
Il convient de souligner que la société civile latino-américaine, en particulier la société brésilienne, croit toujours fermement à la voie « démocratique », où les processus électoraux viennent résoudre les problèmes de nos sociétés. Pourtant, nous vivons entre le désir et la dure réalité.
Nous aimerions avoir une démocratie plus large et plus réelle, une démocratie qui ne permette pas à une demi-douzaine de détenir tous les pouvoirs et une grande majorité vivant dans la pauvreté et la misère absolue. Ce type de démocratie néolibérale a créé une manière de gouverner de plus en plus exclusive qui nous conduit à la faillite, avec plus de faim/misère, avec un nombre croissant de prostitution enfantine, avec une véritable armée du crime organisé ; nos jeunes sont impliqués dans la drogue, soumis au pouvoir des trafiquants.
Les milices organisées pénètrent dans les sphères du pouvoir politique ou facilitent son ascension. Nous courons un grand risque de voir le Brésil et l’Amérique latine désorganisés socialement et politiquement, comme cela s’est produit en Afrique et en Haïti. Nous ne pouvons pas permettre le retour de gouvernements de type bolsonariste ; cela serait désastreux pour la cohésion sociale au Brésil et constituerait une menace majeure de guerre civile. Nous devons et avons l’obligation d’être conscient des dangers qui nous entourent, depuis un certain temps déjà.
Quel message souhaiteriez-vous transmettre au journalisme brésilien lié aux médias traditionnels qui semble ne viser que la fragilité du pouvoir exécutif dont Lula continue d’être la cible principale ?
Ce que je peux dire aux médias traditionnels, aux médias bourgeois toujours au service du système capitaliste néolibéral, c’est qu’ils ont cessé de remplir le rôle de gardien de la démocratie. Ce devrait être un acteur de formation pour cette grande masse que sont les plus pauvres, ceux qui vivent dans une misère presque totale et sans éducation politique. Ces médias commerciaux ont contribué à un processus de dépolitisation, optant pour le maintien de l’ignorance politique, remplissant le rôle d’une désinformation permanente. Les chaînes de télévision envahissent les foyers pendant 24 heures, répétant parfois les mêmes mensonges qui finissent par devenir vérité. C'est ainsi qu'ils ont agi en faveur du coup d'Etat contre Dilma et c'est ainsi qu'ils ont contribué à discréditer les gouvernements du PT, jusqu'à l'arrestation de Lula.
Nous avons vu comment les médias conservateurs ont contribué au projet politique du juge Sergio Moro et ses associés, détruisant l'image de Lula et empêchant sa candidature à la présidence, favorisant l'élection de Bolsonaro, Sergio Moro devenant ministre de la Justice. Malheureusement, ces médias ont contribué au rejet de la citoyenneté politique, augmentant ainsi l’ignorance politique. Ces médias ont donné la priorité à la désinformation plutôt qu’à l’analyse politique et critique et a ridiculisé le journalisme brésilien.
Le mea culpa tant exigé par eux, pour que Lula reconnaisse que tout ce que dit Lava-Jato était vrai, n'a pas eu lieu pour les journalistes des médias conservateurs (à de rares exceptions près), après la manipulation juridique et le parti pris de Moro. Le grand public brésilien manquait d'informations pour reconnaître l'innocence de Lula ! La désinformation semblait être l’arme d’un média qui agissait comme un parti politique d’opposition à la gauche et au centre gauche brésilien. Heureusement, nous disposons aujourd’hui d’une presse alternative jouant le rôle de gardienne de la fragile démocratie brésilienne. Je crois que la presse alternative sauve la crédibilité du journalisme et de la presse nationale.
Qui sait, un jour nous serons convoqués pour un débat sur la société que nous voulons construire au Brésil...