Marilza de Melo Foucher (avatar)

Marilza de Melo Foucher

Docteur en Economie (Sorbonne), journaliste et écrivaine franco-brésilienne

Abonné·e de Mediapart

112 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 janvier 2025

Marilza de Melo Foucher (avatar)

Marilza de Melo Foucher

Docteur en Economie (Sorbonne), journaliste et écrivaine franco-brésilienne

Abonné·e de Mediapart

Le pouvoir mondial de l’extrême droite : le capital financier, les réseaux sociaux et les menaces pour la démocratie

Ces derniers mois, j’ai hésité à écrire des textes sur mes questionnements politiques. Je pense que l’espace de réflexion politique diminue face à l’accumulation de désinformation. Aujourd’hui, compte tenu de la réorganisation de l’extrême droite mondiale, bénéficiant d’un large soutien financier des Big Tech, une refondation internationale de la démocratie est urgente.

Marilza de Melo Foucher (avatar)

Marilza de Melo Foucher

Docteur en Economie (Sorbonne), journaliste et écrivaine franco-brésilienne

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ces derniers mois, j’ai hésité à écrire des textes sur mes questionnements politiques. Je pense que l’espace de réflexion politique diminue face à l’accumulation de désinformation, dont une grande partie est mâchée sans être digérée, sur les réseaux sociaux.

Paradoxalement, nous agissons dans des espaces numériques créés principalement pour discréditer ou anéantir la politique. C’est la contradiction à laquelle sont confrontés les passionnés de sciences politiques qui tentent de résister à l’avancée de cette stratégie idéologique élaborée par les patrons des plateformes numériques pour déconstruire la souveraineté des États ainsi que les valeurs qui ont donné des fondements à la démocratie et les droits de l’homme. Il est important de souligner que les arguments au nom de la liberté d’expression menacent la démocratie et exaltent les idéologies nazies et fascistes.

La liberté d’expression est le résultat de nombreuses luttes à travers l’histoire. Cette liberté fondamentale a été consacrée en 1789 dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), qui stipule dans son article 10 : « Nul ne sera inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur expression ne soit pas contraire à la dignité humaine et "ne perturbe pas l'ordre public" établi par la loi. »

Ces principes définis par la Révolution française sont logiquement très présents dans les réseaux sociaux et on pourrait dire qu'ils constituent la pierre angulaire de la démocratie qui favorise la libre circulation des idées. La liberté d’expression est un droit fondamental, défini et garanti par la loi. Quelle que soit l’opinion que l’on ait sur la liberté d’expression, elle est étroitement liée à la question de la coexistence et à la question de la démocratie.

L’émergence des réseaux sociaux dans l’espace public a sans aucun doute apporté d’énormes opportunités pour la liberté d’expression, cependant, l’absence de régulation entraînera de grands risques sociaux liés aux bulles d’information ou à la diffusion massive de contenus haineux, de désinformation et informations tronquées.

Face aux abus des réseaux sociaux de nombreux pays ont commencé à faire pression sur les plateformes digitales pour définir des règles spécifiques face aux abus des internautes. Pourtant, de plus en plus, au nom de la liberté d’expression, les réseaux sociaux commettent les abus les plus sordides. Les patrons des plateformes numériques partent en guerre contre toute forme de régulation étatique. Et, au nom de la liberté d’expression, ils menacent la souveraineté des États et ce qui est le plus fondamental : le fonctionnement des institutions démocratiques qui établissent des devoirs et des obligations pour la société. La liberté d’expression ne s’applique pas de la même manière dans tous les pays. Cela dépend de la législation, de la culture, des traditions, des régimes politiques, etc.

Un État démocratique doit garantir la protection de chaque citoyen, en lui permettant d’être protégé quelles que soient ses opinions, sa religion ou son origine sociale. La loi contribue donc à assurer la paix entre les citoyens en limitant les propos haineux et les attitudes qui appellent à la violence. Dans l’Union européenne, nous avons des lois qui protègent la liberté d’expression sur Internet. Aujourd’hui, c’est dangereux de laisser les plateformes agir comme des arbitres et de les laisser déterminer ce qui constitue ou non la liberté d’expression.

La victoire de l’oligarchie américaine

Je me sens perplexe en lisant les analyses des trois jours de célébrations de la victoire trumpiste, à la radio, à la télévision et dans les journaux que je lis ici à Paris. Je fais également référence aux journaux et chaînes alternatifs présents sur les réseaux sociaux au Brésil (je ne supporte plus de lire la presse conservatrice brésilienne depuis des années). Ce qui a le plus retenu mon attention, c’est la convergence des diagnostics concernant la domination de la future gouvernance mondiale de l’actuel président Trump, compte tenu du pouvoir économique de ses partisans.

Il est clair que les géants de la technologie – d’Elon Musk à Jeff Bezos, en passant par Marc Andreessen et Peter Thiel (Gafam) et une partie de l’élite de la Silicon Valley ont rejoint Trump dans un effort pour maximiser les profits du second mandat présidentiel. On peut dire qu’une oligarchie s’est consolidée et qu’elle a pris le pouvoir : intelligence artificielle, contrôle numérique, armée privée… Ils ont 530 000 milliards de dollars et un plan pour diriger l’Amérique comme une entreprise.

Sans le sursaut de l’Union Européenne et d’autres pays au monde la démocratie est finie, place aux PDG des entreprises Tech. La conclusion semble confirmer qu’il n’y a plus besoin de démocratie, il n’y a plus besoin de débats. Seulement du pouvoir concentré dans quelques mains. Ainsi, cette nouvelle technologie remodèle le monde à sa guise et selon ses critères idéologiques. Les dirigeants d’Europe et d’autres pays, avec leurs citoyens stupéfaits, observent depuis le balcon, comme s’ils étaient des vassaux, le nouvel empire Trump/Elon Musk qui prend les rênes de la gouvernance mondiale.

Le jour de l'investiture de Donald Trump, la grande majorité des caméras de télévision était braquée sur les hommes les plus riches du monde ! Cette image illustre que depuis le début du mandat de Trump, tout le monde a voulu gagner la sympathie du Big Boss, craignant à la fois pour ses affaires et pour l'avenir de la réglementation du secteur. Des GAFAM à MAGA, le slogan « Make America Great Again », de la campagne de Donald Trump devient réalité.

Elon Musk gagne en notoriété et en puissance. Il s’identifie clairement à l’extrême droite qu’il a contribué à réorganiser internationalement, tant aux États-Unis que dans d’autres pays. L’exemple le plus récent est son ingérence en Europe et au Brésil. Il a récemment déclaré son soutien au parti nazi allemand : « Seule l’AFD peut sauver l’Allemagne.»

Il convient de noter que le milliardaire américain Elon Musk, désormais bras droit de Donald Trump, s'est effectivement immiscé dans la campagne électorale en Allemagne en soutenant Alice Weidel du parti d'extrême droite, deux mois avant le scrutin de février. Elon Musk soutient avec enthousiasme la cheffe du gouvernement italien, la fasciste Giorgia Meloni, la dirigeante d'extrême droite qu'il considère comme un « génie ». Il a également rencontré le Premier ministre hongrois Viktor Orban, figure de proue de la droite fasciste, lorsque ce dernier lui a rendu visite en Floride début décembre.

Défendre le nazisme constitue un crime !

 Elon Musk avec son pouvoir financier et politique aux côtés de Trump pense que tout est possible ! Son geste nazi était parfaitement conscient ! Plusieurs voix à travers le monde se sont élevées pour condamner le geste du milliardaire, cependant, en regardant l'impact médiatique négatif, certains de ses partisans sont immédiatement apparus pour le défendre, niant que son geste soit un salut nazi. De plus, ils s’appuient sur l’ignorance des internautes. L'historienne Claire Aubin, spécialiste du nazisme aux Etats-Unis, a estimé que le geste d'Elon Musk était en réalité un "Sieg Heil". Une autre historienne et spécialiste du fascisme, Ruth Ben-Ghiat, a également déclaré dans X que « c'était en effet un salut nazi, et qui plus est assez agressif ».

Le geste nazi d’Elon Musk ne doit pas être banalisé, il a imité Hitler dans son exaltation du nazisme. Sa plateforme numérique devient un instrument de propagande nazie-fasciste. L'idéal serait d'appeler à la résistance et que tous les progressistes et humanistes du monde ferment leur compte X ! Ce serait un acte de résistance internationale !

Nous ne pouvons pas laisser la Silicon Valley américaine définir notre avenir avec une idéologie qui nous a conduit à la Seconde Guerre mondiale et à la barbarie nazie qui a causé la mort de juifs, d'homosexuels, de gitans et d'autres minorités qui, selon cette idéologie, pourraient dégénérer la suprématie blanche en Europe.

L'internationalisme de la démocratie numérique pour faire face à la propagande nazie-fasciste.

Aujourd’hui, compte tenu de la réorganisation de l’extrême droite mondiale, bénéficiant d’un large soutien financier de l’oligarchie gouvernementale des Big Tech, une refondation internationale de la démocratie est urgente. Il est essentiel d’ouvrir le débat sur les transformations politiques nécessaires pour faire face à ces défis du 21e siècle : la croissance des inégalités sociales, la crise de la représentation politique, le changement climatique, le manque de démocratie dans la sphère économique, le manque de présence des jeunes dans la démocratie, etc.

Il est essentiel d’organiser des campagnes internationales pour créer une alliance afin de combattre ces idéologies nazies-fascistes qui sont désormais associées au fondamentalisme religieux. Nous devons disposer d’un fonds financier pour l’enseignement pédagogique dans les écoles afin d’expliquer cette idéologie et le mal que représente toute dictature, en soulignant la démocratie comme un bien essentiel aux conquêtes humanitaires. Il est essentiel de démontrer aux jeunes l’importance de la tolérance et du respect de toutes les religions et de la souveraineté de l’espace public dans une république laïque. Il est essentiel également d’expliquer la signification de ce respect.

Comment affronter la suprématie de l’extrême droite sur les réseaux sociaux, la web TV, les influenceurs… ?

Cette victoire sur les forces progressistes n’est pas due au hasard, mais plutôt à une stratégie bien planifiée et à une mobilisation constante dans les réseaux qui imposent les débats et les idées du mouvement de Big Tech partisan de l’extrême droite. Ce constat est alarmant. Selon les observateurs, dont plusieurs scientifiques, l’Europe est hors-jeu. Comme tous les pays du monde, à l’exception des États-Unis et, dans une moindre mesure, de la Chine, son sort est entre les mains des Big Tech.

Pour libérer l’Europe de sa dépendance vis-à-vis des Big Tech, une politique numérique non alignée est nécessaire. Ce sont les suggestions du professeur d’économie politique Cédric Durant de l’Université de Genève et de la professeure Cecilia Rikap, économiste et directrice de recherche à l’Institut pour l’innovation et les propositions publiques de l’Université Collège de Londres. Ils concluent un article du Monde du 9 janvier : pour mettre fin à la colonisation numérique des États-Unis de D. Trump, ils proposent la construction d'une option non alignée avec la participation des citoyens, des États et des entreprises, brisant ainsi la souveraineté numérique concentré dans un seul pays (Etats-Unis). La France et l’Europe peuvent trouver des alliés pour créer un paysage numérique qui réponde aux modes de développement choisis par les peuples. Le Brésil, dont la démocratie est menacée en permanence, peut participer à ce front de résistance, notamment en réunissant des instances judiciaires pour renforcer les instruments de protection contre les fake-news (les informations tronquées) et la propagande nazie-fasciste.

Bref, ce n’est pas seulement le monde scientifique qui est menacé par le monopole des Big Tech américaines. La démocratie est la première à être bâillonnée au nom du faux slogan appelé à tort « liberté d’expression ».

 Et collaborer à l’élaboration de cette proposition m’a fait sortir d’un état de simple perplexité. J’ai senti que le malaise devait s’exprimer par des mots et des gestes. J’espère que les citoyens et citoyennes s’engageront pour empêcher l’élargissement de la haine et du négationnisme dans les réseaux sociaux.

Victor Hugo disait : La liberté commence où l’ignorance finie !

Note : Les cinq groupes américains composant les Gafam : Google-Alphabet (Chrome, Android, Youtube), Amazon, Facebook-Meta (Instagram, Whatsapp, Messenger), Apple (iOS, Safari, App Store), Microsoft (Windows, LinkedIn), ont vu leur capitalisation totale dépasser la barre des 10 000 milliards de dollars, soit quatre fois la capitalisation de tout le CAC 40!

https://www.consulendo.com/2024/11/usa-les-magnats-des-big-tech-nouveaux-maitres-du-monde-sans-contre-pouvoirs/

Christine Kerdellant, journaliste économique, essayiste. Ces milliardaires plus fort que les États »Editeur l’Observatoire 2024

https://information.tv5monde.com/international/video/economie-des-milliardaires-qui-pesent-plus-que-des-gouvernements-2710793

Geraldine Delacroix (son article d’alerte en 2018) https://www.mediapart.fr/journal/economie/161018/la-regulation-des-gafam-un-chantier-debattu-des-deux-cotes-de-l-atlantique

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.