De plus en plus souvent, voyant des films, je me demande pourquoi ils ont été faits (à vrai dire ce que j’écris ci-dessous vaut pour les livres tout autant, et pas mal d’autres objets dits culturels ou artistiques, mais moi, c’est majoritairement de cinéma que je m’occupe et me préoccupe encore, alors c’est de cinéma que je parle). De quel désir ils sont le fruit ; ce qu’ils veulent porter, ce qu’ils portent réellement, pour moi, du moins. Problème à moi certainement – mais pas seulement je crois – la réponse m’échappe souvent. Et n’est-ce pas la seule question pourtant ? Pourquoi un film, ce film, pour quoi faire, pour raconter quoi ? « raconter » naturellement est un mot-valise ici. Raconter, faire sentir, faire vivre, porter, que sais-je (nous ne manquons pas de quasi-synonymes avec lesquels alterner dans nos notes d’intentions sans fin, n’est-ce pas). Pour raconter qu’il n’y a plus rien à raconter ? Juste pour le plaisir de cette histoire-ci ? Pour l’existence du film lui-même, fin à soi (ou pierre d’une carrière en construction, parfois, trop souvent) ? Mille autres raisons... Est-ce qu’un film ne doit pas tout entier être tendu vers la réalisation de sa propre nécessité à apparaître, quoi d’autre ? Et – de manière beaucoup plus personnelle – pourquoi ai-je tant de mal à ressentir cette nécessité ? Peut-être je devrais le formuler autrement. Il y a de plus en plus fréquemment quelque chose, entre les films que je vois et moi, mais aussi dans ces films eux-mêmes je crois, qui me laisse avec cette question-là, cette sensation plus que question d’ailleurs, d’absence de raison. C’est très bien mais. Ça n’empêche pas le plaisir, ou du plaisir, à tout le moins, un certain plaisir ; ni la qualité : de la qualité, à tout le moins, une qualité certaine. Il y a énormément de talents à l’œuvre dans nos œuvres de cinéma et ça se voit. Mais il y a aussi… Est-ce que je suis usée, moi, spectatrice ? Oui certainement mais pas que. Parce qu’un film avec raison, ça me saute aux yeux. RAISON comme la RAISON d’une suite mathématique. RAISON comme le cœur, le pouls, la vérité au centre ; le seul moteur légitime. Et d’autres je ne sais pas.
Longue introduction pour parler brièvement de ces deux films, LES PIRES et CORSAGE, que mon propos n’est absolument pas de rabaisser ici comme s’ils étaient « sans raison », comme si je pouvais affirmer ça d’eux, je ne l’affirme pas du tout, j’ai même pris pas mal de plaisir face à eux. Mais je me suis aussi trouvée sans l’avoir cherché, et de manière opposée pour l’un et pour l’autre, face à cette question-là. Un caillou dans la chaussure du plaisir, en quelque sorte ; une insatisfaction qui taraude, une certaine insatisfaction, oui, qui taraude mon plaisir de spectatrice en général en ce moment, SAUF EXCEPTION, spectatrice qui fait des films ce qui n’est pas absolument sans rapport évidemment. Est-ce que, comme je viens de le lire dans une interview de Lupa, le monde n’est pas aujourd’hui (le monde n’est pas toujours) (particulièrement aujourd’hui) "un défi lancé à chaque artiste pour échapper à la vacuité" ? A moi aussi. Et à moi aussi quand je regarde les films des autres – et c’est peut-être précisément la RAISON pour laquelle j’écris ces textes ici.
Bref : les deux films sont également talentueux, jusqu’à la virtuosité, même, et je l’écris avec d’autant moins d’ironie qu’à mon sens le plaisir – et la nécessité – du cinéma passent aussi beaucoup, pas seulement mais beaucoup alors qu’on tend à le disqualifier, par la brillance d’exécution. Le corps même du film : ce n’est pas rien… Et ils prennent des risques consistants, et l’un, et l’autre : films casse-gueule ça c’est sûr, qui ne se cassent pas la gueule, chapeau. Quelques afféteries, facilités et limites dans l’un et l’autre cas : mais est-ce reprochable, au milieu de toutes ces qualités ? Peut-être oui, fonction de ce qu’elles racontent – puisque toute la question est savoir ce que ça raconte ; ce qu’il se raconte.
Dans l’ordre de visionnage : LES PIRES. On peut haha évidemment s’attendre au pire, surtout au vu du résumé et des ingrédients. Entre film sur le film et drague en eaux profondes du lumpen prolétariat et du discours sur sa représentation, tous les tics malins et racoleurs sont à craindre, toutes les confusions et facilités. Mais le film échappe très vite à ces dangers, en tout cas dans un premier temps, par la voie royale du cinéma : il sait regarder, il regarde avec amour. Il y a des corps, des visages, des attitudes, des situations, des gens, et ils sont vraiment regardés, c’est infiniment précieux, on les regarde en même temps que le film, au début on regarde surtout ceux que le film dans le film regarde, les enfants et globalement la "population locale", puis on se met même à regarder les autres, ceux qui font le film : finalement on regarde tout le monde, parce que tout le monde a sa justesse et son intelligence en tant que personnage, parce que le film donne place à tout le monde. Leurs corps, leurs accents, leurs yeux, leurs petites lâchetés, leurs peurs, leurs reculades, leurs prétentions, leurs ridicules, leur tendresse surtout. Naturellement on a bonheur à regarder tout ce monde-là d’autant plus qu’ils sont choisis pour donner du bonheur : ils sont beaux. Mais pourquoi pas ! Ils sont beaux, ils nous donnent du grain à moudre, on a « l’impression d’y être », et sur le plateau de ce tournage mis en abîme, et avec ces mômes, on les toucherait du doigt. Une réussite incontestable, dans une narration qui ne cesse d’échapper aux pièges du dispositif : de l’ironie il y en a, mais qui ne se transforme pas en ricanement, ne sape pas l’adhésion au récit, ne travaille pas contre ses personnages ; de la contradiction il y en a aussi, le film osant la cruauté – envers la pratique du cinéma et le personnage du réalisateur notamment, voir la scène de mise en scène de bagarre avec le petit ; mais aussi envers l’ado-qui-ne-veut-pas-se-laisser-toucher, à qui le récit n’offrira pas d’épiphanie, c’est dur mais cette dureté est forte, elle raconte quelque chose (pour le coup) ; de la conscience des écarts et de ce que vient travailler et la représentation du film, et le film dans le film, il y en a aussi. « Sans faute ». Puis aussi ce vertige de : mais qu’est-ce qui est vrai, est-ce que tout n’est pas vrai, est-ce que ces enfants ont vraiment la vie que le film leur montre, est-ce qu’ils jouent leur propre double, ou eux-mêmes, où sommes-nous ? (à la « Aucun ours » auquel on se prend à penser).
Mais il y a une gêne qui grandit peu à peu ; légère cependant, au milieu de tant de plaisir ; mais dont le titillement croise cette question du « pourquoi », à quoi bon finalement, ou pour raconter quoi finalement. Ce jeu avec la frontière entre réalité de la vie des enfants comédiens, des prolétaires comédiens, qui trouve son acmé dans la séquence finale avec le frère qui pleure sa sœur et la sœur qui pleure son frère (ceux qui ont vu comprendront, pour ceux qui n’ont pas vu je leur laisse découvrir), mais qui est exploité à de multiples reprises (et très souvent avec une grande efficacité) dans le courant du film, qu’est-ce qu’il nous raconte finalement ? Cet accord parfait du scénario où tout se retrouve dans tout, où tout se raccroche et fait parfaitement sens, petits accrocs de cruauté et débrayages subtils inclus, qu’est-ce qu’il fabrique ? Cette qualité invraisemblable du jeu avec ce sentiment qu’elle provoque du « comme si vous y étiez » ? Qualités, évidemment. Mais juste un peu trop peut-être.
On dira et peut-être c’est vrai que je cherche à trouver un problème. Mais ces qualités pleines de qualités qui s’agencent pour me donner des seaux et des seaux de plaisir (et ça marche diablement), avec tellement d’amour (et je bois les personnages des yeux et je les aime oh la comme ça marche, vraiment) : c’est juste un peu trop, peut-être. La recette est juste un peu trop nickel : et après quelques heures, j’ai le goût du sucre en bouche, mais pour le reste ? Bien sûr le jeu avec le réel est fabriqué (et n’a-t-on pas le droit) ? Fabriqué, et vissé, de telle sorte que tout tombe exactement comme il faut, pour la bonne dose d’intelligence, de subtilité, d’émotion (beaucoup d’émotion). Et ?
Eh bien, et peut-être c’est tout, justement. Peut-être c’est parce que c’est tellement fabriqué, coups de pied donnés au rapport classique de fiction, à-côtés ou transgressions apparentes incluses ; fabriqué comme un produit, et c’est ça qui finit par tarauder, parce qu’en y repensant ce qui reste c’est un goût de produit. Et ce point de la vacuité, ou de la raison, ou de ce que moi, spectatrice, je cherche dans un film, a à voir bien sûr avec cette notion de « produit », ce qui en est, ce qui n’en est pas ; mais la notion ne recouvre pas non plus le tout de la question. N’y a-t-il pas des « produits » - objets fabriqués pour être des produits, et totalement et parfaitement fabriqués – que j’aime infiniment, qui m’emportent totalement, et peu m’importe qu’ils soient des produits ? Bien sûr que si, et ils sont nombreux.
Mais ils sont innocents, peut-être. Bien qu’évidemment il y ait une forme de naïveté ou de mauvaise foi de ma part à parler d’innocence à propos de produits dont l’objet est précisément de m’emporter au nom de l’innocence (notamment du récit). Alors quoi ? Ils jouent leur jeu. Ils ne prétendent pas être autre chose que ce qu’ils sont (et ce faisant ils sont parfois infiniment plus).
« Les pires », peut-être, joue un jeu un peu différent ; prétend à une forme de vérité que sa fabrication trop vissée interdit, non pas dans le sentiment immédiat qui en ressort, mais dans le fond, par structure ? Ce jeu de proximité avec le réel : pour dire quoi, finalement, sinon montrer sa propre virtuosité et nous offrir ce supplément d’émotion que la caution du réel provoque ? Pas seulement : parce que parfois en effet la réalité de ces corps transperce le film. Et pour cela, précisément pour cela, les pleurs de la jeune fille, le moment d’hésitation du petit garçon, et une foule d’autres gestes infimes et très beaux que le film nous offre réellement, je ne veux pas ne pas l’applaudir aussi.
Mais beaucoup, tout de même, ce "produit avec supplément inclus dans le produit". Et de même que tous les éléments de mises en échos ; de mise en scène de sa propre subtilité, d’ultra réalisme mais tout de même infléchi par un scénario où tout raccorde finalement avec tout, où chaque trou sera bouché : tout est fait pour ne-pas-être-un-produit en se tenant à un certain référentiel de représentation, mais de sorte que le produit soit réussi, comme produit. Et quelque chose d’une innocence, cette fois j’assume le mot, manque ; c’est trop malin, ça se referme sur soi au bout du compte, et ça manque sa cible. Pas la cible du produit, mais la cible de ce qui échappe : la cible qui fait qu’il y a une raison. Mais je ne veux pas conclure sur cette phrase trop définitive et au bord d'être injuste. Dire peut-être seulement : quelque chose du manque manque, je grince, ça fait partie de mon rapport d'interrogation aux films que je vois en ce moment.
CORSAGE
J’ai dit la brillance du film ? Tout y est très impressionnant, très bien fait, jusque dans l’ellipse et l’à-côté. Et l’on est bien loin de Sissi en effet… (Mais peut-être y avait-il quelque chose dans Sissi ? et voici la question de l’innocence qui revient sans crier gare, pourtant je ne crois pas que l’innocence soit ma question – mais peut-être je serai obligée de me rendre compte que si, ça travaille là).
Drôle de chemin avec ce film. Beaucoup de talent, donc, à commencer naturellement par Vicky Krieps qui incarne le personnage dans un jeu de parallèles qui semblent vertigineux, même si c’est anecdotique, je me demande à quel point elle-même peut en prendre la mesure et le supporter. Vicky Krieps, l’extraordinaire jeune fille de Phantom Thread, la révélation, cette peau diaphane qui rougit soudain dans une pureté de jeu qui l’a aussitôt faite remarquer et applaudir. Puis, quelques petites années plus tard, cette fraîcheur est fanée, déjà, elle est déjà une comédienne pour femmes usées. Il y a quelque chose d’une bascule sans milieu, comme si la fraîcheur avait comme pendant immédiat cette usure, pas d’intermédiaire. De Sissi à cette Elizabeth obsédée par la perte de sa jeunesse et de sa beauté qui s’effondre b(toutes proportions gardées, entendons-nous!), par la vieillesse qui guette et la disqualifie déjà, donc, rien entre les deux, c’est assez troublant, j’imagine que la réalisatrice l’a choisie pour ça.
(« femme usée », on comprendra que de là où je parle, moi-même une femme qui n’ai certes pas envie d’être évaluée à la fraîcheur ou l’usure, je parle d’une image, celle que les films nous donnent, celle avec laquelle les comédiens travaillent : surface de leur visage et de leur corps, surface de l’écran).
Mais le film. Du point de vue pictural, c’est vraiment réussi, entre sobriété et profusion, hiératisme de l’Empire, bonbonnières à strudels, et modernité réelle (cadres, décors épurés…). La mise en scène, séquence après séquence, est d'une élégance tenue, ce n’est pas un vain compliment. Mais le film. Entre les séquences – pourquoi ici plutôt que là. On avance sans trop savoir vers où ni pourquoi, ce n’est pas inintéressant mais peu à peu se fait jour un manque en même temps difficile à nommer. L’Impératrice est belle. L’Impératrice soigne son image de manière obsessionnelle. L’Impératrice est tyrannique. L’Impératrice déprime. « Impératrice » est un enfermement – bien sûr. « Femme » est un enfermement. Impératrice est une position de toute-puissance et un enfermement. « Femme » est une irresponsabilité et un savoir, et on lui demande de n’en rien faire.
Bien sûr c’est un film « féministe », dans le sens où il nous fait toucher du doigt les contraintes à nous aujourd’hui insupportables qui pèsent sur les femmes de l’époque, et dont nous supportons encore, certes, les traces, ou restes. C’est aussi un film féministe dans le sens où il parle du désir de la femme elle-même (ce qui est beaucoup plus rare et mérite d'être relevé et applaudi), son désir propre : mais ce désir ici n’est qu’empêché et hystérique. Le personnage bataille avec sa position et sa fonction ; rue puis rentre dans le rang ; esquive, attaque frontalement, finalement négocie ; jouit de sa toute-puissance, chute dans la dépression. Le récit n’est composé que de ça, ces allers-retours, ces écarts et reprises entre le refus et l’appropriation du jeu (le jeu de la fonction), qui croisent le mouvement répétitif de la montée maniaque et de la chute mélancolique.
Figure hautement mélancolique, en effet, que cette Elizabeth d’Autriche : pathologiquement mélancolique. Le film aussi est mélancolique, sans conteste. Mais que raconte-t-il ? Ou, plus précisément, pour raconter quoi plonge-t-il dans cette mélancolie ? raconter la mélancolie ? Oui, mais encore ?
Le film lui-même semble hésiter entre ces différents pôles, l’exaltation d’une liberté à conquérir et la reprise en main, y compris par l’héroïne elle-même, qui écrase (ou calme, selon les lectures et les tempéraments). Parle-t-il politique ? Bien peu, puisque la politique est refusée à Elizabeth et que nous sommes avec elle. Parle-t-il faste, oh oui. Parle-t-il cinéma ? oui, aussi, il essaie, il compose, il propose, il cherche. Mais sait-il ce qu’il cherche ? Moi je ne sais pas très bien, pas assez.
Le film est le portrait brillant et fragmentaire, avançant tout de même vers sa perte – ou sa libération – et ce « ou » raconte non pas la magnifique équivalence ambivalente entre les deux termes qu’il parviendrait à créer mais son hésitation, il me semble, entre les deux termes, son envie d’avoir le beurre et l’argent du beurre : pathos ET grandeur du geste, en se trompant de chemin pour ce faire –, d’un personnage très particulier, puisqu’impératrice. Ça n’arrive pas à tout le monde, comme on sait. Il le fait avec beaucoup de brio, tout est magnifiquement tenu, sauf peut-être le fond, le corps de la chose. Quelle est la question au travail, par quel chemin la faire vivre ? Féminisme, certes – mais ce que le film en propose a du mal à excéder un discours convenu, à la « on va rappeler comme la condition des femmes était terrible ». Elegie noire, ode à ce personnage, Elizabeth d’Autriche, qui, probablement maniaco-dépressive, très moderne pour son temps, bien qu’en même temps entièrement dans son rôle, a beaucoup rué dans les brancards et beaucoup souffert ? Oui, certainement : mais c’est une porte d’entrée terriblement étroite car dans le fond, si ça n’y échappe pas, qu’y a-t-il de plus ici qu’une monographie sur un personnage au destin (et aux tourments) par définition unique, sans universalité ? Monographie sur la bipolarité ? Il n’y avait pas besoin de tant de décors ni costumes pour cela, et la question de la toute-puissance du fait de la position d’Impératrice vient dans ce cas brouiller le tableau et le travail.
On oscille entre ces différentes définitions, parce que la définition manque (plus exactement, parce que le sentiment n’est pas net). Le personnage est odieux, souvent – pourquoi pas. Il est pris dans des contradictions effectivement insolubles. Il s’enfonce. Tout est très élégant. Les personnages autour sont très bien dessinés. On semble avancer vers la tragédie. Tout cela est trop long. On grince (parce que le personnage est vraiment très antipathique à de nombreuses reprises et qu’il est difficile de l’aimer, même si on l’aime aussi, ce qui est une réussite). Scènes fortes. Ça tiraille en tous sens, de plus en plus brutalement. Congédier un amant qui n’a même pas eu le droit de vous toucher. S’éloigner de sa fille, chaque instant un peu plus. Interdire à sa dame de compagnie de vivre. Lui imposer de porter sa charge à sa place. Plonger dans l’héroïne (si si). La fiction gagne du terrain (même si je ne sais pas, à ce point du récit, je ne suis pas allée creuser, ce qui est ou n’est pas fiction). L’anachronisme aussi gagne du terrain, qui rôdait depuis le début avec la chanson thème du film, musique pop évidemment totalement déplacée mais assez belle, pourquoi pas. Il y a les Rolling Stones, et puis un tracteur, soudain – peu importe, pourquoi pas, encore. Puis peut-être si, ça importe. Parce que ça fait partie de ce qu’on raconte.
Qu’est-ce qu’on raconte ? Une histoire vraie qui glisse de plus en plus vers la fiction (la fin à mon avis totalement à côté de la plaque en étant l’illustration la plus criante, et aussi peut-être l'illustration de ne pas savoir comment se sortir d'un récit dont on ne sait pas exactement ce qu'on lui fait porter), en voulant tout de même s’appuyer sur le corps et la force de l’histoire réelle, sa caution ; histoire d’une femme enfermée, toute-puissante et mélancolique – c’est assez beau – tableau de la mélancolie – mais n’est-ce pas terriblement étroit et vain ?
Je reste avec cette question, taraudée par les images si soignées du film. Anachronismes, destin fictif, images et situations choc avec ce personnage iconique défait, retourné : geste pop, geste branché, geste extrêmement maîtrisé, performance de la comédienne, qu’est-ce qui échappe au geste, justement ? La mélancolie réelle des situations, leur grincement, échappe. Mais dans un cadre qui reste trop étroit peut-être : celui de ce destin trop singulier, dans un cadre narratif qui se regarde trop, au lieu, peut-être de plonger vraiment dans la folie. Défaire le geste, basculer au-delà, c’est peut-être ce qui manque au film. Laisser tomber Sofia Coppola pour aller vers Visconti. Et bien sûr c’est un fait d’époque : un geste qui se regarde, un produit (à nouveau), à l’intérieur de quoi le tragique recherché ne peut pas advenir, pas vraiment, un tout petit peu seulement.